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« La gestion par métiers peut freiner la mobilité verticale »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 27.10.2009 |

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« La gestion par métiers peut freiner la mobilité verticale »

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Lorsque l'entreprise se recentre sur son «coeur de métier», la conséquence pour le salarié est souvent une perte d'autonomie dans son savoir-faire. L'entreprise peut, ainsi, spécifier et exiger les compétences requises pour exercer tel emploi. Au point de freiner la promotion interne, à moins de repasser par la formation, l'expérience professionnelle n'étant plus suffisante.

E & C : Le mot métier est utilisé aussi bien pour définir les savoir-faire individuels que ceux de l'entreprise. Comment peut-on passer d'un sens à l'autre ?

Sylvie Monchatre : Le terme de métier est, en effet, ambigu. Il désigne aussi bien la capacité technique individuelle que l'activité collective propre à un secteur ou à une entreprise. Comme tout signifiant polysémique, il peut donner lieu à des interprétations différentes et, à ce titre, être revendiqué aussi bien par les employeurs que par les salariés. Le «métier» est ce dont le salarié est fier parce que cela se réfère à un savoir-faire où se joue sa valeur en tant que personne, mais c'est aussi, pour lui, une promesse de liberté. Le métier rend mobile, on peut l'exercer partout et pas seulement dans l'entreprise qui vous emploie. A l'inverse, l'entreprise revendique un métier qui lui permet de faire face à «l'épreuve du marché», comme disent les économistes. Elle se recentre, notamment, sur un «coeur de métier» dans le cadre de stratégies qui visent à la différencier de ses concurrents. Elle cherche donc à développer un savoir-faire spécifique, singulier, dans lequel elle pourra exceller. Elle demande alors aux salariés de se conformer à ses priorités, quitte, pour eux, à s'éloigner des standards de leur métier ou des normes du «bel ouvrage» qu'ils peuvent, par ailleurs, revendiquer. La gestion des compétences constitue, en quelque sorte, le versant «ressources humaines» de ce type de stratégie. L'objectif de l'entreprise est de renforcer l'implication des salariés en faveur d'une performance collective. Pour ces derniers, il en résulte, au mieux, des formations afin de leur permettre de développer les compétences voulues. Au pire, le fait de rendre visible la diversité des métiers et compétences et de mettre en exergue celles qui font la spécificité de l'entreprise permet de mieux se séparer de ceux qui sont loin du coeur de métier, loin du profil d'excellence, et qui ne génèrent, de ce fait, pas assez de valeur ajoutée...

E & C : Ce double usage du mot remonte à quelle période ?

S. M. : Il est apparu à partir de la fin des années 1970, dans le sillage des restructurations qui ont frappé l'industrie lourde. Les chocs pétroliers et le ralentissement de la croissance ont conduit les entreprises à questionner leur positionnement stratégique et à anticiper les évolutions nécessaires à l'amélioration de leur compétitivité. C'est à la fin des années 1980 que l'on a vu apparaître des démarches de gestion anticipée des emplois et des compétences (GPEC, GAEC, etc.), pour gérer au mieux cette tension toujours plus forte, entre les métiers des salariés et ceux de l'entreprise. C'est, aujourd'hui, en termes de flexibilité que cette tension s'exprime le plus. Et ce phénomène ne fait que s'amplifier, car les entreprises ont gagné en latitude pour flexibiliser le travail et définir des emplois «sur mesure». Le mouvement de décentralisation de la négociation collective, les grilles de classification «à critères classants» et, maintenant, la «logique compétence» leur procurent des marges de manoeuvre supplémentaires pour assouplir les contenus d'emploi. Au-delà des tâches demandées, elles peuvent spécifier les compétences requises du salarié, ce qui permet de prescrire les comportements au travail, les attitudes d'anticipation et de contrôle, les conduites à tenir en matière de sécurité, face au client, bref, toutes sortes de savoir-être au service de l'excellence poursuivie... En cela, les exigences des métiers de l'entreprise ne sont pas synonymes d'une plus grande autonomie dans le travail, comme le voudrait l'idéal du métier, mais, au contraire, d'un renforcement des contrôles et des évaluations de l'activité des salariés.

E & C : Quelles sont alors les conséquences pour les salariés ?

S. M. : Plus les entreprises sont préoccupées par leur métier, plus elles sont sensibles aux «démarches compétence». Dans les activités d'exécution, cela se traduit par une plus grande exigence de polyvalence, et le poste de travail fait place à un emploi plus largement défini. La question est alors de savoir si la polyvalence demandée est qualifiante, donc si elle favorise les apprentissages et les évolutions professionnels, ou si, au contraire, elle ne fait que renforcer l'interchangeabilité des salariés. Dans ce dernier cas, les métiers risquent de se transformer en poches étanches dont il est difficile de sortir. Il s'agit, là, d'une source importante d'inégalités. Des salariés peuvent stagner dans des emplois où ils font pourtant preuve d'une flexibilité et d'une polyvalence hors pair, et les femmes, d'ailleurs, en font souvent les frais. Le développement des compétences ne paie donc pas toujours. Et l'exercice d'un «métier» facilite d'autant moins l'accès à des métiers de niveau supérieur dans l'entreprise qu'il y a un seuil à franchir. Y prétendre suppose de repasser par la case formation, voire diplôme, comme si l'expérience ne suffisait pas. En ce sens, la gestion par métiers renforce potentiellement la segmentation sociale, car, si elle favorise la mobilité horizontale, elle peut freiner la mobilité verticale. La question est donc de savoir si les entreprises encouragent une circulation fluide entre leurs «métiers», par la promotion interne, ou si, au contraire, elles la freinent en privilégiant les recrutements externes de salariés plus diplômés.

PARCOURS

• Sylvie Monchatre est sociologue, maître de conférences à l'université de Strasbourg, après avoir été chargée d'études au Céreq. Elle est rattachée au Cress (Centre de recherches et d'études en sciences sociales).

• Elle a coordonné deux ouvrages collectifs, Réfléchir la compétence (Octarès, 2003) et Travail et reconnaissance des compétences (Economica, 2007). Elle a publié plusieurs articles dont «Des carrières aux parcours, en passant par la compétence», Sociologie du travail, n° 4, 2007. Elle a récemment participé à l'ouvrage collectif Sociologie des groupes professionnels (La Découverte, septembre 2009).

LECTURES

Efficaces ensemble. Un défi français, J.-P. Segal, Seuil, 2009.

Le salariat. Théorie, histoire et formes, F. Vatin (sous la direction de), La Dispute, 2007.

L'idéal au travail, M.-A. Dujarier, PUF, 2006.