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« Le salarié doit comprendre le sens d'une mobilité »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 20.10.2009 |

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« Le salarié doit comprendre le sens d'une mobilité »

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Dans son rapport sur les mobilités professionnelles, le Conseil d'orientation pour l'emploi constate une fluidité du marché du travail positive, et une bonne perception de la mobilité par les salariés. Mais aussi, en une décennie, une forte augmentation du nombre de passages par le chômage et un recours massif aux contrats de travail de très courte durée.

E & C : Le Conseil d'orientation pour l'emploi (COE) vient d'adopter un rapport d'ensemble sur l'évolution des trajectoires et des mobilités professionnelles des salariés. Quels sont ses enseignements dans ce contexte de crise et de hausse du chômage ?

Marie-Claire Carrère-Gée : Ce travail a consisté à rassembler et à analyser l'ensemble de l'état des connaissances sur les trajectoires professionnelles des salariés. Il restitue et met en perspective les nombreuses études économiques et économétriques qui ont été entreprises sur tel ou tel aspect du sujet, n'ayant, jusqu'alors, jamais fait l'objet d'une synthèse. Cette précision préalable vise à resituer ce rapport, réalisé avant la crise. Néanmoins, ce que nous avons constaté n'est pas sans lien avec ce qui se passe actuellement sur le marché du travail. Nous avons, ainsi, observé que les transitions d'emploi à emploi sont très sensibles au cycle économique, sans toutefois présenter une tendance à l'augmentation. En période de crise, elles diminuent, contrairement - et ce n'est pas une surprise - à celles entre le chômage et l'emploi. Toutefois, depuis quelques décennies, nous enregistrons une réelle augmentation des mouvements de cette nature. Les transitions du chômage vers l'emploi et de l'emploi vers le chômage ont représenté près d'une transition sur deux en 2000, contre seulement une sur cinq en 1975.

E & C : Vous liez également cette hausse des passages par le chômage à l'augmentation des contrats courts sur le marché du travail...

M.-C. C.-G. : En effet, cette inflation des contrats courts est la conséquence d'une modification de la nature même des contrats de travail ; 60 % des intentions d'embauche hors intérim déclarées par les employeurs se font en CDD de moins d'un mois. Cela a concerné, en 2007, 2,6 millions de salariés (contre 1,4 million en 1990), soit 11,4 % de l'emploi salarié. Leur développement invite à s'interroger sur le devenir des salariés occupant ces types d'emploi, sachant que les jeunes et les profils peu qualifiés sont les plus concernés. On sait qu'environ 3 personnes sur 10 accèdent à un CDI au bout d'un an. Certains chercheurs ont toutefois tenté de mesurer l'intérêt, pour un chômeur, d'accepter un contrat court en vue d'obtenir, à terme, un emploi stable. Ils tendent à confirmer que cela augmente leurs chances d'y parvenir.

E & C : Que vous inspire cet état des lieux ?

M.-C. C.-G. : Nous sommes préoccupés par cette consommation de contrats courts, que l'on peut comprendre en cas de surcharge de travail ou de remplacement de salariés absents. Mais, devant ce recours massif, nous devinons qu'il y a un dysfonctionnement. Si notre rapport conclut positivement à la fluidité du marché du travail, il entrevoit également des risques de davantage de décrochages. Il faut, aujourd'hui, faire en sorte que le passage par le chômage ne soit plus synonyme de déclassement. Le rapport nous montre aussi qu'une défaillance d'entreprise, dans l'industrie notamment, débouche sur un changement de métier. Sachant cela, il faut travailler aux trajectoires en amont.

E & C : Dans votre rapport, une enquête quantitative de TNS Sofres montre que 71 % des salariés contraints à une mobilité professionnelle se déclarent, aujourd'hui, globalement satisfaits de l'avoir connue. Un résultat étonnant quand on sait que les mobilités imposées peuvent parfois provoquer stress et souffrance. Comment expliquez-vous ce résultat ?

M.-C. C.-G. : Effectivement, ce chiffre est surprenant. Ce que démontre plus largement cette enquête, c'est que les Français ne sont pas, par principe, réfractaires à la mobilité, contrairement aux idées reçues. Ainsi, 46 % des salariés du privé, âgés de plus de 30 ans, ont connu au moins une mobilité professionnelle au cours des cinq dernières années. Dans 1 cas sur 2, la dernière mobilité a coïncidé avec un changement de métier et un salarié sur deux qui était en emploi a changé d'entreprise. Et ces mobilités professionnelles se font presque autant à l'initiative des personnes elles-mêmes que de leur entreprise. Mieux, 88 % des salariés ayant vécu une telle expérience au cours des cinq dernières années sont satisfaits de leur dernier changement, et 61 % souhaitent en vivre un dans les deux prochaines années. Ces statistiques confirment donc l'aspiration au changement des individus. Cela signifie que les DRH et, plus largement, les employeurs, confrontés au refus de mobilité de leurs salariés, doivent s'interroger sur les conditions dans lesquelles ils proposent ces transitions. Dans de nombreuses entreprises, il semble que la mobilité soit vécue comme une sanction, sans que les intéressés en comprennent le sens. Il est évident qu'une profonde angoisse saisit celles et ceux à qui l'on réclame l'apprentissage et l'assimilation de nouvelles compétences.

E & C : Quelles suites le COE va-t-il donner à ce travail ?

M.-C. C.-G. : L'intention des différents membres du COE (représentants syndicaux et patronaux, parlementaires, représentants de collectivités territoriales, personnalités qualifiées du monde du travail, NDLR) est de faire des propositions dès cet automne.

PARCOURS

• Marie-Claire Carrère-Gée préside le COE depuis septembre 2007.

• Ancienne administratrice à la commission des affaires sociales du Sénat, elle a été conseillère sociale puis secrétaire générale adjointe de l'Elysée sous Jacques Chirac.

SES LECTURES

Le voyage d'hiver, Amélie Nothomb, Albin Michel, 2009.

Le roman de l'été, Nicolas Fargues, POL, 2009.

L'Evangile selon Pilate, Eric-Emmanuel Schmitt, Le Livre de poche, 2006.