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Les sites Seveso sous haute surveillance

Enquête | publié le : 13.10.2009 |

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Les sites Seveso sous haute surveillance

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Des accidents se sont multipliés, dernièrement, sur des sites industriels à haut risque, alors qu'ils sont soumis à une réglementation très stricte en matière de sécurité. Recherche d'économies, mauvaise gestion de la coactivité et défaillances dans l'organisation du travail mettent en danger la sécurité des salariés. Pourtant, certaines entreprises tentent de mettre en oeuvre des politiques vertueuses.

Depuis fin septembre, et jusqu'à la fin janvier 2010, le groupe Total inspectera treize de ses sites français, pour faire un état des lieux de la sécurité, suite à la recrudescence d'accidents graves et mortels survenus depuis le début de l'année. Quatre salariés ont trouvé la mort et 14 ont été blessés. En attendant, l'entreprise ne souhaite pas communiquer avant les résultats de ces enquêtes.

Le 18 septembre, le syndicat CGT du complexe pétrochimique de Lavéra (Bouches-du-Rhône) portait plainte pour «mise en danger de la vie d'autrui» contre les sociétés Total, Ineos et Arkema, et contre les services de l'Etat concernés, DRTEFP (Direction régionale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle) et Dreal (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement). Le 12 août, deux salariés à Lavéra avaient été brûlés alors qu'ils allumaient un four et, le 5 septembre, une fuite de vapeur avait entraîné l'arrêt complet du site.

Enfin, le 2 octobre, le CHSCT de la centrale nucléaire EDF de Flamanville déposait un droit d'alerte auprès de la direction sur les conditions dans lesquelles se déroulait la maintenance d'un réacteur. Dans la foulée, la direction a suspendu une partie des activités de maintenance pendant deux jours, avant reprise.

Améliorer la prévention

Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat à l'Ecologie, a annoncé, le 10 septembre, le renforcement des contrôles des canalisations de transport de matières dangereuses, par le doublement des effectifs affectés (20 personnes actuellement). Le gouvernement a également déposé un amendement, lors de l'examen de la loi Grenelle 2 de l'environnement, pour améliorer la prévention des accidents liés aux dommages causés par les canalisations lors de travaux réalisés à proximité. En effet, ces circonstances sont souvent à l'origine des accidents.

Système de gestion de la sécurité obligatoire

Pourtant, toutes ces entreprises sont très réglementées. La directive Seveso, transposée en droit français par l'arrêté du 10 mai 2000, impose aux exploitants d'établissement à risques majeurs de construire une politique de prévention. Les sites Seveso seuil haut ont « l'obligation de mettre en place un système de gestion de la sécurité (SGS) qui définit l'organisation, la politique de prévention, les procédures et les ressources permettant la maîtrise des risques majeurs susceptibles d'être générés par les substances présentes sur le site », explique Denis Lucas, responsable Business développement au Centre national des risques industriels (CNRI). La directive insiste aussi sur l'implication de la hiérarchie dans la gestion de la sécurité et sur la logique d'amélioration continue tirée de l'étude de chaque incident et accident.

Depuis l'explosion de l'usine AZF, en septembre 2001, la loi du 30 juillet 2003, dite loi «Bachelot», sur la prévention des risques technologiques et naturels et la réparation des dommages, est venue renforcer les mesures de prévention à mettre en oeuvre dans les installations classées Seveso 2.

Les entreprises ont dû mettre à jour leurs études de danger, qui décrivent tous les scénarios d'accident important que l'activité peut générer. Les entreprises utilisatrices doivent, avant la venue d'un sous-traitant, établir un plan de prévention intégrant ses modalités d'intervention. Le donneur d'ordres habilite l'entreprise extérieure en fonction d'un référentiel et forme les salariés aux risques particuliers de l'intervention.

L'Union des industries chimiques (UIC), particulièrement concernée par le sujet (plus de la moitié des sites Seveso sont des industries chimiques et pétrolières), a signé un accord pour l'amélioration de la sécurité dès juillet 2002 et a proposé, en 2003, « une méthode pour identifier et analyser les risques », rapporte Ithier d'Avout, directeur des affaires sociales de l'organisation patronale. Et, en septembre 2008, son manuel d'habilitation des entreprises extérieures de l'industrie chimique (DT 78) a fusionné avec le référentiel Mase (Manuel d'amélioration de la sécurité des entreprises). Quand une société extérieure pénètre sur un site Seveso, elle est auditée par un organisme qui travaille avec ce référentiel. Toutefois, « même si l'on constate des réussites, le risque est de tomber dans une relation purement commerciale, rapporte Hervé Laubertie, ingénieur-conseil régional adjoint à la Cram de Normandie, sans réelle volonté d'assurer la sécurité des salariés » (lire p. 29).

Par ailleurs, depuis la loi de 2003, le rôle du CHSCT est renforcé. « Les CHSCT émettent des avis sur la nature du dossier de demande d'exploiter et ils sont consultés quand l'entreprise décide de sous-traiter une activité à risques. Ils peuvent recourir à un expert, bénéficient de formations aux risques et d'une majoration d'heures de 30 % », explique Alain Goarant, consultant en prévention des risques. De plus, des CHSCT «élargis» accueillent les entreprises extérieures. « Nous sommes en contact direct avec les Dreal, les Cram et l'inspection du travail, ajoute Christian Rault, secrétaire (CFDT) du CHSCT d'ExxonMobil Chemical France. Il nous est déjà arrivé, avec leur appui, de convaincre la direction d'arrêter une unité pendant trois jours, face à un danger grave. » Un événement rare dans une entreprise américaine, où la politique de sécurité est clairement affichée : objectif zéro blessé (lire p. 27).

Des interrogations sur les causes

Malgré tant de formalisme, le risque zéro n'existe pas. Mais tous les accidents et incidents survenus depuis le début de l'année interrogent. Selon Philippe Saunier, élu CGT au CHSCT du site TPF de Gonfreville-l'Archer, « le bac d'acide sulfurique (sur lequel des travaux étaient en cours et qui a basculé, faisant trois blessés le 4 août dernier, NDLR) était connu pour être pourri. On a voulu l'utiliser au-delà de ses limites ». « Les employeurs nous disent que la sécurité est leur priorité, mais ils font des économies sur les coûts de maintenance. L'activité de raffinage est déficitaire, et, depuis un an, nous ressentons fortement cette politique de maîtrise des coûts. Les investissements sont réduits ou différés », affirme Jean-Luc Gelas, secrétaire (CFDT) du CHSCT de Total Petrochemicals à Feyzin (Rhône).

« Nous avions réussi à ce que les opérationnels s'approprient la dimension HSE. Compte tenu des contraintes de productivité, il semble que cette question soit maintenant gérée par les fonctions supports. C'est regrettable », déplore même un responsable sécurité en entreprise.

Guide des bonnes pratiques

A la FGMM-CFDT (Fédération générale CFDT des mines et de la métallurgie), un guide de bonnes pratiques syndicales est en préparation (à l'horizon 2010) afin d'aider les équipes syndicales à travailler sur les facteurs humains et organisationnels de la culture sécurité.

Au regard des incidents et accidents passés, l'organisation du travail apparaît comme un point fondamental pour la prévention des risques. « L'analyse des origines des accidents majeurs met très régulièrement en cause les défaillances organisationnelles liées à la gestion des coactivités des entreprises », affirme Alain Goarant. « Même si des progrès ont été faits pour les préparer, les grands arrêts périodiques des installations sont des événements à haut risque, car ils font intervenir un grand nombre de salariés venant d'entreprises différentes, sur une courte période », rappelle Lionel Evesque, ingénieur-conseil régional adjoint à la Cram Sud-Est. Selon lui, deux voies de progrès existent en la matière, comme pour les opérations de maintenance courantes (les plus nombreuses) : agir sur la pertinence de l'analyse des risques en amont et sur la qualité de l'assainissement des équipements sur lesquels vont intervenir les sous-traitants. Autre idée suggérée par Alain Goarant : « L'analyse de risques amont sur dossiers et plans en utilisant, entre autres, la modélisation des effets, pour éviter cette scission qui existe entre l'acte de concevoir et celui d'exploiter. Mais les entreprises qui le demandent sont encore rares », reconnaît-il.

Transmission du savoir

« Il faudrait étaler les travaux de manière plus équilibrée sur l'ensemble de la journée et améliorer la formation des personnels extérieurs », suggère aussi Jean-Luc Gelas. Une formation d'autant plus fondamentale qu'aujourd'hui, estime Christian Rault, « nous assistons à un changement de génération. Les plus âgés quittent l'entreprise, mais les jeunes, qui ont un niveau de formation important, n'ont pas encore acquis l'expérience de terrain nécessaire à la maîtrise de l'outil de travail. Il faut réfléchir à la transmission de ces savoirs. »

L'essentiel

1 Depuis le drame d'AZF en 2001, la prévention des risques industriels, davantage encadrée, a fait des progrès.

2 Certains accidents pointent encore les écueils sur la sensibilisation des personnels et des sous-traitants, une insuffisance d'analyse des risques, et le danger pour les personnels de tomber dans la routine.

3 Les entreprises s'attachent de plus en plus à faire de l'individu l'acteur majeur de sa propre sécurité.

Origine et contenu des directives Seveso

L'émotion suscitée par le rejet accidentel de dioxine en 1976 sur la commune de Seveso, en Italie, a incité les Etats européens à se doter d'une politique commune en matière de prévention des risques industriels majeurs.

Le 24 juin 1982, la directive dite Seveso demande aux Etats et aux entreprises d'identifier les risques associés à certaines activités industrielles dangereuses et de prendre les mesures nécessaires pour y faire face.

La directive a, par la suite, été modifiée à diverses reprises. La directive Seveso II, en place à partir du 3 février 1999, renforce la notion de prévention des accidents majeurs en imposant, notamment, à l'exploitant la mise en oeuvre d'un système de gestion et d'une organisation proportionnés aux risques inhérents aux installations. Sa mise en application est l'une des priorités de l'inspection des installations classées, sous l'autorité des préfets.

Source : ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement durable et de l'Aménagement du territoire < www.ecologie.gouv.fr >

Défaillances organisationnelles et humaines en première ligne

Les installations classées sont à l'origine de 236 accidents mortels et de 403 décès, entre 1992 et 2008.

En 2008, des phases de travaux sont impliquées dans 3 des 6 accidents mortels répertoriés (chute d'un ouvrier et deux explosions).

30 % des accidents mortels impliquent des travaux réalisés sur les installations.

Si les causes des accidents reflètent une grande diversité de situations, elles témoignent de défaillances organisationnelles ou humaines, d'insuffisances en matière d'analyse de risques ou de prise en compte de leurs conclusions dans l'exploitation, d'insuffisances dans la maintenance ou la gestion des équipements ou systèmes de sécurité et d'intervention.

Les défaillances observées relèvent pour partie de l'accoutumance et de la perte de conscience de certains risques à l'origine d'interventions inadaptées, mais aussi d'une insuffisance de sensibilisation ou d'information des intervenants, de rappels réguliers sur les risques existants et de défauts de la mise en pratique des procédures.

Source : ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement durable et de la Mer.