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Les pratiques

Renault veut encore faire baisser la pression

Les pratiques | Retour sur... | publié le : 06.10.2009 |

Deux ans après les suicides au Technocentre, le constructeur automobile a réussi à calmer les esprits. Mais les comportements de «petit chef» sont encore dénoncés. Pour aller plus loin, deux nouveaux chantiers vont s'engager sur l'organisation des carrières.

A Guyancourt, il serait malvenu de parler de « bon stress » ! Même les médecins l'ont proscrit de leur vocabulaire. Et pour cause. Il y a deux ans et demi, trois suicides ont eu lieu au Technocentre. Là où Renault conçoit ses véhicules du futur. L'effervescence qui régnait alors à «La Ruche», tenue de sortir non plus 3 mais 8 modèles par an, en a fait craquer plus d'un, jusqu'à ces tragédies.

Laboratoire social

Carlos Ghosn, le Pdg, lui-même, a réagi, en mars 2007, après le troisième décès. Légitimant des rafales de mesures prises pour faire baisser la pression, mêlant actes symboliques, dispositifs d'urgence et décisions essentielles (1), comme si le constructeur ne voulait pas être pris en défaut sur le front des risques psychosociaux. Au point qu'il fait figure de laboratoire social, notamment pour France Télécom, traumatisé par vingt-quatre suicides.

Difficile, pourtant, de tirer un bilan, alors que le chantier antistress est encore ouvert. Et ce, dans un contexte économique chamboulé. Le secteur est en crise. Ce sont l'inactivité et l'incertitude du lendemain qui inquiètent. Toutefois, la politique menée par l'entreprise a porté ses fruits. Le climat est apaisé, malgré les réticences des syndicats qui dénoncent des « mesurettes », tels les horaires restreints d'ouverture des locaux (2).

Sur le fond, l'industriel a eu de bonnes idées. La première, avoir choisi une seule tête pour chapeauter ses cinq établissements d'ingénierie, alors sous tension, soit 14 000 personnes. Bernard Ollivier, le nouveau patron, a su mettre de la cohérence dans la réflexion et l'action. La seconde, c'est d'avoir libéré la parole des salariés, à travers une enquête, menée en juillet 2007, par le cabinet expert des risques professionnels, Technologia. Un succès, puisque 62,7 % des effectifs du Technocentre y ont répondu.

Le résultat a été un choc : le taux de «travail tendu» s'élève à 31 %, au-delà de la moyenne de 10 %. L'analyse a permis de repérer divers facteurs de stress et des leviers de changement.

Renault a alors agi sur plusieurs plans à la fois, dont deux clés. D'abord, les services de santé, qu'il réorganise à Guyancourt. Sa médecine du travail y étant décriée, il la renouvelle, embauche une spécialiste des risques psychosociaux et un psychologue, qui vient en soutien tous les quinze jours. Le dialogue médical déculpabilise les salariés. En outre, depuis février, le groupe offre aux personnes en difficulté de consulter, en tout anonymat, divers spécialistes dans un centre extérieur axé sur les troubles psychosociaux (Pluridis, à Paris). Soit l'individu se déplace et a droit jusqu'à six séances pour évoquer ses problèmes, ses addictions, etc. Soit c'est l'un de ses collègues qui veut l'aider et ira récolter les meilleurs conseils. Une sorte de coaching de solidarité inédit !

Ensuite, l'organisation du travail a été revue afin de s'attaquer aux racines du mal : l'isolement et la surcharge mentale. L'objectif ? Dédoubler les postes exposés, identifiés par Technologia. Renault a, ainsi, recruté 350 personnes et des intérimaires en renfort. Et a même créé de nouvelles fonctions. Notamment, 13 adjoints «charge-ressource» veillent à équilibrer les tâches et les hommes affectés sur les sites d'ingénierie. Ce système gagne d'autres directions.

Dans la même veine, le constructeur a séparé, l'an passé, les rôles de pilote de projet et de responsable des métiers. Le chef d'équipe a donc délaissé sa casquette projet pour se dédier au management. Une excellente chose, selon Pierre Nicolas, délégué central CGT au Technocentre. « Mais cela ne doit pas occulter le fait que les salariés sont dans une logique infernale. Ils sont jugés en permanence sur des résultats. » Renault insiste pourtant sur les basiques de la gestion d'équipe (3).

Déjouer les «crises identitaires»

Avant Noël, les 2 700 managers des établissements d'ingénierie auront été formés à la prévention et à la gestion du stress. Mais la CFDT plaide pour une sorte de permis à points du manager, avec des indicateurs de turn-over, d'absentéisme, de visites à l'infirmerie, etc., afin de contenir les abus. L'industriel, en tout cas, va engager deux chantiers. L'un sur la filière expertise, qui ouvrirait des perspectives de carrière sans passer par la case management. L'autre, sur les mobilités fonctionnelles, afin de déjouer les « crises identitaires suite à une rupture de parcours professionnel ». L'enquête Technologia a été relancée en juillet. Les résultats tomberont d'ici à janvier 2010.

(1) Lire Entreprise & Carrières nos 861, 876, 877.

(2) Le Technocentre ouvre de 7 heures à 20 h 30 (contre 5 h 30-22 h 30 auparavant). Les réunions ne sont plus autorisées avant 8 heures ou après 18 heures.

(3) Renault a institutionnalisé les réunions de service hebdomadaires et les rencontres bilatérales manager/managé tous les quinze jours. Et a lancé une journée annuelle de l'équipe.

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