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Les pratiques

La «préretraite amiante» attend encore sa réforme

Les pratiques | Retour sur... | publié le : 29.09.2009 |

Utile, mais perfectible : dix ans de législation sur les départs anticipés des salariés exposés au matériau nocif débouchent sur un bilan contrasté.

«A bout de souffle », la préretraite amiante ? L'ancien député et ministre Jean Le Garrec l'affirme dans le rapport que lui a commandé le gouvernement en 2008 pour dresser le bilan de dix ans de législation sur le sujet. Son point de vue est partagé par les syndicats et les associations qui suivent le dossier au plus près. « Le dispositif a montré son utilité, mais il laisse subsister des injustices flagrantes », estiment Yves Bongiorno, à la CGT, et Alain Bobbio, pour l'Andeva, l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante.

Régime transitoire

Née deux ans après l'interdiction de l'amiante, la loi de décembre 1998, complétée en 1999, n'a pas été inutile, loin de là : à fin 2008, elle bénéficie à 33 000 salariés, qui vont partir ou sont déjà partis, à 50 ans ou plus, avec 65 % de leur dernier salaire brut. Dans ce régime transitoire - ils deviennent des retraités comme les autres une fois atteint le taux plein -, ils gagnent un an de «cessation anticipée d'activité» par tranche de trois ans d'exposition à l'amiante. Selon le rapport Le Garrec, un nombre équivalent de salariés devrait encore entrer dans le mécanisme à l'avenir. Le nombre des nouvelles admissions diminue cependant d'année en année depuis 2002. Le Fonds de cessation anticipée a versé 928 millions d'euros, dont plus de 90 % sont «mutualisés» sous forme d'apport de la branche AT-MP de la Sécu, l'Etat et les entreprises se contentant du complément.

Environ 15 % des bénéficiaires sont reconnus atteints d'une maladie professionnelle provoquée par le matériau, mais une grosse majorité touchent la «préretraite amiante» pour avoir travaillé dans l'une des catégories de la loi : les fabricants de produits contenant de l'amiante, les entreprises d'isolation (flocage/calorifugeage) à l'amiante, certains métiers de la construction-réparation navale, et les dockers dans les périodes où ce «poison» circulait dans certains ports.

Pans d'activités exclus

La définition est trop restrictive, critiquent les syndicats et associations. Elle exclut, selon eux, de nombreux pans d'activités en contact «évident» avec le matériau, comme les fonderies, la sidérurgie, divers métiers du bâtiment (démolisseurs, maçons, ascensoristes...), et des agents techniques de collectivités. Parmi les «injustices», l'Andeva cite l'exclusion des sous-traitants de la DCN à Cherbourg, « alors qu'ils ont exercé les mêmes métiers, travaillé aux mêmes endroits, partagé les mêmes vestiaires, respiré les mêmes fibres ». Les combats pour l'inscription se déroulent alors devant les tribunaux.

Pilotage de l'Etat

Autre point faible que ces spécialistes du dossier souhaitent voir gommé : le pilotage intégral par l'Etat. Celui-ci instruit les dossiers, puis décide du classement ou non en «site amiante», sur avis seulement consultatif de la commission des accidents du travail et maladies professionnelles de la Sécurité sociale. Conséquence, selon Yves Bongiorno : « L'Etat verrouille, pour des raisons financières. Sa liste des établissements classés ne se complète plus qu'au compte-gouttes, et par opportunisme : la forge Forgeval, à Valenciennes, doit son classement, en 2002, au maire Jean-Louis Borloo, devenu ministre. »

Quant au champ d'application, la proposition commune des cinq grandes organisations syndicales, de l'Andeva et de la Fnath (fédération des accidentés de la vie) demande de l'élargir en retenant le critère de l'exposition à l'amiante, quels que soient le statut ou les circonstances. Elle réclame aussi l'ouverture d'une voie d'accès par dossier individuel. Mais la réforme en gestation n'en prend pas le chemin. Seuls l'accès collectif et l'approche métier par métier figurent parmi les «orientations» dont fait part le ministre du Travail, qui précise qu'« aucun arbitrage n'a, pour l'instant, été rendu ». Avant d'ajouter qu'aucun changement ne pourra intervenir dès 2010, « compte tenu des délais des travaux d'expertise préalables ».

ALSTOM BELFORT : UN PAS EN AVANT, UN PAS EN ARRIÈRE

Le cas d'Alstom Belfort est emblématique. Le ministère du Travail en a refusé le classement en site amiante en février 2005, « trois mois, pourtant, après l'engagement favorable, consigné sur procès-verbal de réunion, d'un conseiller de Nicolas Sarkozy », alors ministre de l'Economie, impliqué dans le sauvetage du groupe, selon Bruno Kern, l'avocat des CHSCT.

Un jugement de tribunal administratif oblige le ministère du Travail à examiner le dossier... et il finit par classer le site, fin 2007. Mais, entretemps, il a contesté le jugement l'obligeant à examiner le dossier et la cour d'appel administrative lui a donné raison, en juin dernier.

L'Etat va-t-il, en conséquence, sortir Alstom Belfort de sa liste ? Que nenni ! Il a indiqué qu'il s'en tiendra au deal avec les syndicats : ne pas toucher au classement, qui concerne un millier de salariés.