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Ramadan : les entreprises s'adaptent au cas par cas

Les pratiques | publié le : 15.09.2009 |

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Ramadan : les entreprises s'adaptent au cas par cas

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Les directions préfèrent agir plutôt que communiquer sur l'aménagement de l'organisation du travail en vue de concilier la pratique du ramadan avec leurs impératifs.

Y penser toujours, n'en parler jamais : telle semble être la devise de bon nombre d'entreprises employant une proportion importante de musulmans quand on les sollicite sur l'impact du ramadan sur leur activité et l'organisation du travail. Alors que les quelque 3,7 millions de musulmans de France (selon l'Ined) sont tenus, cette année, de jeûner du 22 août au 21 septembre, beaucoup de directions ne souhaitent tout simplement pas s'exprimer sur ce sujet sensible. « Sur la gestion de la diversité religieuse, les entreprises sont, aujourd'hui, encore très frileuses pour communiquer - y compris sur les bonnes pratiques », confirme Inès Dauvergne, responsable de projets diversité à IMS-Entreprendre pour la Cité et auteure du guide Gérer la diversité religieuse en entreprise. Une attitude qui s'explique par la tradition de laïcité, et par la conviction solidement ancrée qu'il vaut mieux laisser les managers locaux régler eux-mêmes ces questions sur le terrain. A l'instar du groupe de prestation de services Onet, sollicité pour cette enquête : « Au niveau du siège, nous tenons à préserver la distinction entre la vie professionnelle et la vie privée de nos collaborateurs et ne donnons aucune consigne pour le ramadan. Les décisions d'aménagement sont laissées à la libre appréciation des managers locaux », explique Gilles Lafon, directeur de la communication du groupe. Du côté des syndicats, le ramadan ne suscite pas davantage de revendications précises. « Le salarié est dans l'entreprise pour travailler. Cela dit, nous soutenons les systèmes d'organisation du travail qui permettent à chacun, chrétien ou musulman, de pouvoir vivre sa foi », résume Pascale Coton, secrétaire générale adjointe de la CFTC.

Congés ou horaires adaptés

La discrétion des responsables patronaux et syndicaux sur cette question n'empêche cependant pas les entreprises de tenir compte des réalités du terrain : selon un sondage Ifop de 2008, réalisé auprès de 393 responsables des ressources humaines et de dirigeants d'entreprise, 44 % d'entre eux ont accordé des jours de congé pour fête religieuse (toutes religions confondues), et 26 % ont adapté les horaires de travail pour cette raison. Un chiffre loin d'être négligeable et, selon toute vraisemblance, redevable pour une bonne part au ramadan : les fêtes chrétiennes coïncidant avec les jours fériés légaux, les catholiques et les protestants sont évidemment moins concernés. Nombre d'observateurs estiment, en outre, que l'on assiste à une résurgence de la pratique religieuse chez les musulmans.

Quel profil présentent les entreprises ouvertes aux aménagements ? Selon les experts, celles-ci se trouvent dans les secteurs (BTP, nettoyage, automobile, grande distribution...) qui emploient une proportion importante de musulmans pratiquants. Dans les années 1980, les constructeurs automobiles français ont ainsi été les premiers à proposer, à l'occasion du ramadan, la journée continue, plus facile à supporter pour les salariés qui jeûnent. Nombre d'usines se sont également organisées au fil des ans pour tenir compte des demandes de congés, fréquentes durant cette période.

D'autres entreprises leur ont, par la suite, emboîté le pas. A l'hypermarché Carrefour de Sevran, la direction et les syndicats se sont appuyés sur l'accord de modulation des 35 heures pour tenir compte des attentes des musulmans. « Certains avaient attiré notre attention sur la fatigue liée au ramadan : ils ne profitaient pas de la pause de midi pour se restaurer. Nous avons donc négocié avec la direction pour leur faciliter l'accès à la journée continue », explique Joëlle Noldin, secrétaire FO du comité d'établissement du Carrefour de Sevran et membre de la commission égalité et diversité de cette entreprise.

Pause décalée

Chez Chronopost, qui accorde à ses salariés une pause de 20 minutes selon des horaires variables, les musulmans travaillant le soir souhaitent généralement la décaler à l'heure de la rupture du jeûne afin de prendre une collation pour reprendre leur service dans de bonnes conditions. « Ces demandes, formulées auprès du chef d'équipe, sont souvent acceptées », déclare Hanafi Cherrara, élu CFTC au CE de Chronopost.

Réponses pragmatiques

Tous ces aménagements résultent en fait de questions très pragmatiques : comment concilier les exigences de sécurité, de santé, de qualité et de productivité du travail quand une partie importante du personnel ne boit ni ne mange durant huit heures d'affilée ? Comment préserver un bon climat social en ménageant les intérêts de l'entreprise et les demandes des pratiquants ? Des questions auxquelles les managers répondent au cas par cas, service par service, en fonction de la proportion de salariés concernés : « Quand les musulmans occupent des fonctions subalternes et sont majoritaires, les aménagements sont facilement octroyés », remarque Dounia Bouzar, auteur de Quelle place pour Allah dans l'entreprise ?, à paraître chez Albin Michel en octobre.

Ce pragmatisme ne permet cependant pas de résoudre toutes les situations. A l'instar de la Halde (lire encadré), IMS-Entreprendre pour la Cité s'est donc penché sur ce sujet. « Il faut informer les managers sur ces questions et leur fournir des outils d'aide à la décision », explique Inès Dauvergne, qui considère que la gestion de la diversité religieuse et de la diversité au sens large doit s'inscrire dans les mêmes principes. Et de plaider pour une prise en compte globale de ces questions « pour éviter les tensions et les sentiments d'injustice dans l'entreprise ».

L'essentiel

1 Cette année, le ramadan se déroule du 22 août au 21 septembre.

2 Pendant cette période, comment concilier la liberté religieuse, les demandes des pratiquants, les exigences de sécurité, le vivre-ensemble et les intérêts de l'entreprise ?

3 Faute d'avoir une ligne claire, les directions préfèrent, en général, laisser à l'encadrement le soin de répondre à ces questions.

Les limites de l'expression religieuse

En avril 2009, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) a rappelé, à la demande de plusieurs entreprises, les règles fixées par la loi et la jurisprudence pour l'expression religieuse dans l'entreprise.

Au sein des entreprises, la liberté religieuse est la règle - a contrario, les agents publics ont l'obligation de rester neutres. Toutefois, cette liberté a ses limites.

Les abus du droit d'expression sont interdits, et peuvent être sanctionnés par l'employeur : prosélytisme, actes de pression ou d'agression à l'égard d'autres salariés...

L'employeur peut restreindre la liberté d'expression religieuse soit pour des impératifs de sécurité au travail, soit en raison de la nature des tâches à accomplir, notamment lorsque la prestation de travail est en lien avec la clientèle. L'employeur doit pouvoir démontrer que ces limitations sont objectivement fondées et proportionnées au regard des tâches à accomplir.

Le salarié ne peut invoquer des prescriptions religieuses pour refuser d'accomplir tout ou partie de ses missions contractuelles ou pour se soustraire à des obligations légales, telles que la visite médicale. Les autorisations d'absence pour les fêtes, les aménagements du temps de travail ne peuvent s'imposer face aux nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise.