Contrairement à ce qu'ont prétendu certains responsables d'entreprise, les suicides sur le lieu de travail ne peuvent être uniquement mis sur le compte des problèmes psychopathologiques des salariés concernés ni même sur un simple phénomène de contagion. Pour Christophe Dejours, psychiatre et psychanalyste, il est tout simplement impossible d'identifier une sphère personnelle indépendante de la sphère professionnelle tant les enjeux d'identité sociale et personnelle s'interpénètrent.

Si les problèmes personnels peuvent ressurgir au travail, de même, la sphère familiale pâtit souvent des difficultés professionnelles. Mais, a contrario, parfois, elle permet aussi de les réguler. Si les suicides liés au travail de même que les pathologies liées au stress ont effectivement augmenté depuis les années 1990, c'est que l'organisation du travail a été lentement et systématiquement modifiée dans le sens d'une logique gestionnaire fondée sur la production là où existait une logique métier fondée sur le savoir-faire.

A mesure que l'on réclamait aux salariés plus de polyvalence, de produire davantage aux noms d'objectifs sans cesse revus à la hausse et qu'on mettait en place des modes de gestion du personnel individualisés, se sont effrités les collectifs de travail qui permettaient aux salariés de s'entraider face aux exigences de l'organisation. Ces collectifs jouaient le rôle de médiation, évitant ainsi le face à face, duel et mortifère, entre les salariés et leur hiérarchie.

Pour les auteurs, remédier à la violence au travail - y compris la violence que le salarié peut retourner contre lui-même -, c'est précisément recréer la médiation du collectif entre le salarié et l'exigence gestionnaire. Un travail de longue haleine !

Christophe Dejours est psychanalyste et professeur titulaire de la chaire de psychanalyse-santé-travail au Cnam.

Florence Bègue est psychologue du travail et consultante.