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Horaires atypiques : attention, danger

Enquête | publié le : 08.09.2009 |

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Horaires atypiques : attention, danger

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Les horaires atypiques sont le lot commun de toujours plus de salariés. Ils peuvent avoir des effets plus ou moins graves sur la santé et posent des problèmes de conciliation entre vie privée et vie professionnelle. Certaines entreprises tentent d'en atténuer les effets.

La récente loi sur le travail du dimanche ne fera que conforter cette situation. Près de deux salariés sur trois travaillent en horaires atypiques. Travail de nuit ou du week-end, travail à temps partiel, horaires imprévisibles ou décalés, semaines irrégulières... Selon la Dares (1), seuls 37 % des salariés ont des horaires dits «normaux», c'est-à-dire prévus à l'avance, avec des journées débutant le matin et s'achevant en fin d'après-midi, et un repos le week-end. Ce type d'horaire étant considéré comme « le plus adapté aux rythmes biologiques et sociaux », souligne la Dares.

A l'inverse, les salariés soumis aux horaires atypiques peuvent être sujets à des troubles de santé liés à la perturbation de leurs rythmes biologiques et à des risques de désocialisation. « Les troubles les plus rapides à se déclencher sont les troubles du sommeil. Les conséquences peuvent être des troubles nerveux, des phénomènes d'irritabilité, de surexcitation, et les effets peuvent aller jusqu'à la dépression », rapporte Béatrice Barthe, chercheuse en ergonomie à l'université Toulouse-2.

Probablement cancérogène

Des troubles cardio-vasculaires et digestifs sont également signalés. Plus grave encore, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a classé, fin 2007, le travail en horaires décalés comme « probablement cancérogène pour l'homme ». Le travail posté de nuit, sur une longue période, augmenterait le risque de cancer du sein chez les infirmières et les hôtesses de l'air, comparé à celui observé chez celles qui travaillent de jour. Et, tout récemment, en mars 2009, le Danemark a décidé d'indemniser 37 femmes atteintes d'un cancer du sein, qui serait lié à leur travail de nuit.

Horloge biologique

Comment explique-t-on ces phénomènes ? «Nous sommes des animaux diurnes programmés biologiquement pour vivre le jour et dormir la nuit. Notre horloge biologique, principalement localisée dans le cerveau, est synchronisée sur le cycle lumière/obscurité. Notre vigilance sera, par conséquent, plus élevée le jour que la nuit », explique Laurence Weibel, neurobiologiste, chargée de prévention à la Cram Alsace-Moselle. La sécrétion d'une hormone, la mélatonine, qui se produit uniquement la nuit, est perturbée et sa suppression favoriserait le développement de tumeurs. « Une grande majorité des travailleurs postés présentent des troubles chronobiogiques liés à une mauvaise synchronisation de leur horloge biologique », indique Claude Gronfier, chronobiologiste, chargé de recherche à l'Inserm de Lyon.

Risques d'accident de trajet

Non seulement les horaires atypiques engendrent des risques sur la santé, mais ils accroissent des risques de perte de vigilance sur les postes de travail et les risques d'accident de trajet. Des analyses scientifiques ont, par exemple, montré que les risques d'accidents étaient accrus à compter de la neuvième heure de travail (Akerstedt, 1995). Le risque d'accident est plus élevé pendant les postes de nuit (Smith, 1994). « Le nombre d'accidents de la route est le plus élevé entre 2 et 5 heures du matin », ajoute Claude Gronfier, et les catastrophes comme Tchernobyl ou le naufrage de l'Exxon Valdès sont survenues pendant la nuit, suite à des erreurs d'individus en situation de dette de sommeil ou qui n'avaient pas pu s'adapter au travail de nuit », poursuit-il (2).

Autre symptôme révélateur d'une mauvaise acceptation des horaires atypiques : l'absentéisme. Un indicateur moteur pour inciter les entreprises à agir... Joël Paquereau, président de l'Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV), et professeur de neuro-physiologie au CHU de Poitiers, souligne qu'il y a « quatre à cinq fois plus d'absentéisme chez les travailleurs postés et les travailleurs de nuit ».

Organiser son planning

Pouvoir organiser son planning à l'avance est une revendication récurrente des salariés. A la RATP, par le biais d'accords locaux entre syndicats et directions de département de bus, le principe du volontariat pour les services considérés comme «peu prisés» a été adopté, afin de permettre un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Dans la grande distribution, Auchan et Carrefour ont aussi expérimenté une organisation permettant aux caissières d'être plus autonomes (lire page 28). Avec, pour résultat, une baisse de l'absentéisme. Agir sur l'organisation du travail dans l'entreprise et intervenir auprès des travailleurs pour les conseiller sur la façon de gérer leur sommeil et leur alimentation sont les premières pistes retenues par les entreprises qui souhaitent atténuer les effets néfastes des horaires atypiques. A leur demande, l'INSV peut intervenir pour sensibiliser les DRH et les médecins du travail, mais aussi les travailleurs eux-mêmes, sur les risques liés à un mauvais sommeil et donner les bons conseils à retenir.

Dette de sommeil

Pour Régis Mollard, directeur du laboratoire d'anthropologie appliquée de Paris-5 Descartes, « les rotations hebdomadaires sont les plus préjudiciables sur le plan des rythmes biologiques, du sommeil et des performances. » Il préconise alors de faire un choix entre les rotations rapides, les postes fixes et les rotations lentes. Il peut aussi être envisagé d'avoir les trois systèmes, répartis sur l'année.

Régis Mollard alerte cependant sur le conflit qui peut apparaître entre les attentes des salariés concernant le temps libre, la vie familiale et sociale et le respect des principes chronobiologiques. Un salarié peut être tenté de commencer très tôt pour voir sa famille pendant la journée, mais, faute de repos suffisant, il cumulera une dette de sommeil.

« Dormir quand la vigilance est au plus bas est la meilleure solution, quand c'est possible, souligne Béatrice Barthe. De plus en plus de postes de nuit durent longtemps, jusqu'à douze heures d'affilée. Dormir une heure la nuit ou faire une sieste anticipative peut être très bénéfique. » Autre piste de travail déjà explorée dans certaines entreprises, l'utilisation de la lumière. Claude Gronfier travaille sur la question des intensités lumineuses idéales, la relation entre la lumière et la santé, en particulier au niveau des rythmes biologiques et du sommeil. Il recommande, par exemple, d'éviter « d'exposer un salarié à une lumière trop forte à la fin de son poste, alors qu'il approche de sa phase d'endormissement. Dans le même ordre d'idées, un salarié contraint de dormir le jour devra le faire dans l'obscurité complète et le silence optimal ».

Les horaires atypiques ne sont pas encore un sujet central de préoccupation du côté des entreprises et il existe peu de formations sur le sommeil dans le cadre des études médicales. « Nous ne réalisons pas de travail spécifique sur cette question, indique Philippe Douillet, chargé de mission à l'Anact, peut-être ce mode de fonctionnement est-il tellement répandu qu'il en devient moins un sujet de préoccupation », observe-t-il.

Pour Michel Mainguy, secrétaire fédéral de FO Métaux, « les entreprises ne s'engagent pas dans un suivi particulier du travail posté, car, si elles le faisaient, elles reconnaîtraient le risque, ce qui n'est pas dans leur intérêt ».

Sélection à l'embauche

Par ailleurs, les personnes qui choisissent le travail posté sont celles qui y résistent le mieux ; « il y a un phénomène de sélection à l'embauche », indique Philippe Saunier, délégué CGT chez Total et membre du collectif santé au travail à la Fnic (Fédération nationale des industries chimiques) CGT. Parfois même, ce sont les salariés eux-mêmes qui ne sont pas demandeurs de changements de situation. Ils privilégient un effet de court terme, l'augmentation de la feuille de paie grâce aux compensations salariales liées à ces horaires, sur un effet de long terme, la détérioration de leur santé. Travailler en 2x12 pour être payé à temps complet est, en effet, attractif.

Une palette de solutions existe pour contrer les effets néfastes des horaires atypiques. Et il y a fort à parier que les entreprises s'y intéressent de plus en plus, non seulement parce que ce type d'horaires s'étend, mais aussi parce que « la judiciarisation des questions de sécurité au travail avec les procès traitant de grands accidents industriels va les y inciter », estime Serge Volkoff, directeur de recherche au Centre d'études et de l'emploi.

(1) Dares, Premières synthèses informations, mai 2009, horaires atypiques et contraintes dans le travail : une typologie en six catégories.

(2) Le rôle et les effets physiologiques de la lumière : sommeil et horloge biologique dans le travail de nuit et posté, Claude Gronfier, Elsevier Masson, Archives des maladies professionnelles, 2009, p. 253-261. D'autres contributions sur «sommeil et travail» sont publiées par cet éditeur. Pour les lecteurs intéressés : < claude.gronfier@inserm.fr >.

L'essentiel

1 Les horaires atypiques concernent aujourd'hui près de deux salariés sur trois.

2 Outre les troubles du sommeil, les études scientifiques pointent de nombreuses pathologies, dont certains cancers.

3 Pour enrayer les effets négatifs des horaires atypiques, des modifications de l'organisation du travail sont possibles, accompagnées d'informations sur le sommeil et l'hygiène alimentaire.

Vers un système de gestion du risque fatigue dans les compagnies aériennes

« Une nouvelle réglementation européenne, datant du 16 juillet 2008, impose un temps de repos minimum pour les équipages des compagnies aériennes », indique Philippe Cabon, maître de conférences à l'université Paris V Descartes (unité ergonomie, comportement et interactions). Pour bénéficier de dérogations et pouvoir réduire dans certaines circonstances le temps de repos des salariés, les compagnies aériennes vont devoir faire la preuve que la sécurité est maintenue à un niveau acceptable. »

Pour atteindre cet objectif, la direction générale de l'aviation civile (DGAC) demande aux compagnies de mettre en place un système de gestion de la sécurité du risque fatigue.

Modèles prédictifs

« Nous sommes en charge de mettre en place les bases scientifiques de ces systèmes », indique Philippe Cabon. Plus de 50 rotations ont été observées, avec un suivi de la durée et de la qualité du sommeil des équipages. De plus, des modèles prédictifs ont été utilisés. « Nous pouvons intégrer les plannings d'un salarié dans un logiciel, puis évaluer le risque fatigue associé aux horaires de travail, ce qui peut constituer dans l'avenir une aide à la planification des équipages prenant en considération la fatigue », explique Philippe Cabon. L'étude, conduite avec trois compagnies françaises, Airlinair, Britair et Regional, ainsi qu'avec un constructeur, Airbus, sera remise à la fin de l'année. L'objectif de la DGAC est de la transformer en «guide méthodologique» pour les compagnies aériennes.

V. L.

Une réglementation spécifique

- TRAVAIL DE NUIT

Le Code du travail contient des dispositions protectrices des salariés travaillant de nuit : > Avant l'affectation au travail de nuit, le salarié doit être examiné par un médecin du travail, qui établira une fiche d'aptitude constatant la compatibilité de l'état de santé du salarié avec ce poste. > La visite médicale périodique est ensuite effectuée tous les six mois. > Le médecin du travail informe les salariés des incidences potentielles du travail de nuit sur leur santé et des précautions éventuelles à prendre. > Les travailleurs de nuit bénéficient d'une priorité d'attribution d'un emploi équivalent de jour, s'ils le souhaitent.

- TRAVAIL POSTÉ

> La directive 93/104/CE précise que doit être entendu comme «travail posté», « tout mode d'organisation du travail en équipe selon lequel des travailleurs sont occupés successivement sur les mêmes postes de travail, selon un certain rythme, y compris le rythme rotatif, et qui peut être de type continu ou discontinu, entraînant pour les travailleurs la nécessité d'accomplir un travail à des heures différentes sur une période donnée de jours ou de semaines. » > Les travailleurs postés doivent bénéficier d'une surveillance médicale spéciale et les entreprises ne peuvent pas affecter un salarié à deux équipes successives.

Source : INRS, le point des connaissances sur... Horaires atypiques de travail, ED 5023.

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