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« Vouloir être reconnu est une revendication de sociabilité »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 08.09.2009 |

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« Vouloir être reconnu est une revendication de sociabilité »

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Certaines compétences au travail, supposées évidentes, demandent des efforts qui ne sont pas pris en compte au plan salarial ni même valorisés par la hiérarchie. L'implication maximale, devenue la règle, ne s'accompagne pas toujours de perspectives de carrière gratifiantes. Le malaise, qui touche toutes les catégories de salariés, est source de démotivation.

E & C : Que revendiquent exactement les salariés lorsqu'ils demandent une meilleure reconnaissance de leur travail ?

Michel Lallement : A l'heure où la logique financière bouscule continuellement les périmètres de l'entreprise, les travailleurs qui font les frais des restructurations ont le sentiment que l'on oublie un peu vite qu'ils constituent la matière vive de l'entreprise. Et cela, d'autant plus que la France était traditionnellement un pays où l'on faisait carrière en interne, c'est-à-dire où existait un lien identitaire fort d'appartenance à une entreprise. En fait, l'émergence du concept de reconnaissance du travail est liée au changement de l'organisation du travail et de la nature des activités exercées. Le développement du secteur des services, notamment, explique qu'aujourd'hui, les deux tiers des salariés sont, à un titre ou un autre, en contact avec un public. L'implication requise par l'entreprise pour remplir ces emplois en termes de disponibilité, de flexibilité, mais, plus généralement, d'accueil et d'empathie, a complètement changé la donne professionnelle. L'amabilité et le conseil font désormais partie des compétences cardinales du salarié. Cette implication qui semble aller de soi est cependant parfois coûteuse socialement dans la mesure où elle peut empiéter sur la vie de famille et où, subjectivement, être en permanence disponible n'est ni évident ni naturel. Les travailleurs ont besoin que soit reconnu cet effort.

Enfin, l'affaiblissement des collectifs de travail entraîne souvent l'impression douloureuse d'être tout simplement devenu invisible pour ses collègues, chacun étant enfermé dans la logique individuelle de sa propre performance. Réclamer d'être reconnu est alors une revendication de sociabilité.

E & C : Comment se situent, les uns par rapport aux autres, ces trois niveaux de reconnaissance : le métier, les qualifications et les compétences ?

M. L. : La reconnaissance du travail et de ceux qui l'exercent se décline effectivement à ces trois niveaux. Le métier représente la dimension de reconnaissance du professionnalisme, par les pairs, de la bonne manière de faire. Elle concerne surtout les travailleurs les plus qualifiés et peut, quelquefois, représenter un rempart de protection du salarié contre les exigences de rentabilité. Bien faire son métier est, parfois, contradictoire avec les exigences productivistes. La reconnaissance des qualifications revêt, pour sa part, une dimension essentiellement collective et se réfère à la négociation entre les partenaires sociaux de grilles catégorielles au sein desquelles se définissent les droits et obligations du travailleur. La reconnaissance des compétences, enfin, recouvre l'injonction de s'impliquer dans son travail au-delà du seul savoir-faire. Cette dimension a été largement valorisée par l'individualisation des modes de gestion des personnels, mais elle était déjà présente dans la logique tayloriste qui ne fonctionnait, à vrai dire, que si les salariés acceptaient de s'impliquer dans les résultats.

Il va de soi que ces trois dimensions sont toujours plus ou moins présentes dans la plupart des emplois. Tout l'art du manager étant d'en gérer les contradictions, notamment celles pouvant résulter des conflits entre la collaboration dans les équipes et l'individualisation des conditions de travail et de rémunération. La limite de certaines pratiques d'évaluation est qu'elles considèrent que le mérite d'un salarié n'est jamais que relatif : même s'il remplit les objectifs qui lui sont fixés, il le fera toujours mieux ou moins bien que ses collègues, ce qui ne favorise pas la coopération.

E & C : Pourquoi et comment reconnaître le travail ?

M. L. : Il est devenu difficile à reconnaître. Ce n'est plus le face-à-face avec un supérieur hiérarchique qui constitue la situation ordinaire de travail, mais, le plus souvent, une interrelation entre plusieurs personnes - supérieurs, collègues, clients. De ce fait, il n'existe plus d'interlocuteur privilégié capable d'apprécier vraiment la valeur du travail accompli. Les formes anciennes de reconnaissance par le collectif et le salaire sont désormais insuffisantes pour apprécier la complexité des paramètres et cela fragilise les identités professionnelles.

Le malaise concerne toutes les catégories de salariés, aussi bien les opérateurs que les cadres. Il est important, pour pallier le risque consécutif de démotivation, d'offrir aux jeunes générations, prêtes à s'impliquer à fond dans leurs tâches, de réelles perspectives de carrière. De même, il semble utile de revoir les outils d'évaluation du travail pour rendre visibles les petits gestes supposés naturels, mais qui demandent, en fait, une véritable compétence relationnelle. L'entretien annuel d'évaluation paraît, à cet égard, largement insuffisant. De même, il peut s'avérer utile de revoir la gestion des rapports entre travail et hors-travail à l'heure où l'on a trop tendance à demander au salarié de faire passer sa vie professionnelle avant ses autres activités, personnelles et familiales.

PARCOURS

• Michel Lallement est titulaire de la chaire d'analyse sociologique du travail, de l'emploi et des organisations au Cnam (Paris). Il y codirige le master gestion des ressources humaines et sociologie.

• Il est également chercheur au laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique (Lise-CNRS).

• Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont Le Travail : une sociologie contemporaine (Gallimard, 2007), Sociologie des relations professionnelles (La Découverte, 2008), et Le travail de l'utopie. Godin et le familistère de Guise (Les Belles Lettres, 2009).

LECTURE

La quête de reconnaissance, nouveau phénomène social total, sous la direction d'Alain Caillé, La Découverte, 2007.

La crise des identités, Claude Dubar, PUF, 2007.

La société du mépris, Axel Honneth, La Découverte, 2006.