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Enquête

La peur des mots

Enquête | publié le : 25.08.2009 |

«Patron» ou «président» ? «Cadre» ou «manager» ? «Salariés» ou «collaborateurs» ? Le lexique de la communication et des ressources humaines tend à s'affadir et à se dépersonnaliser, assure une étude de l'Institut de la qualité de l'expression.

« A l'heure où les interrogations sociales s'exacerbent, au moment où le dialogue entre les différentes catégories professionnelles de l'entreprise est mis en question, qu'en est-il du lexique des ressources humaines ? », s'est interrogé l'Institut de la qualité de l'expression au début de son travail, en avril dernier, sur les mots des ressources humaines employés en communication interne et externe. Analyser le langage de l'entreprise pour mieux comprendre les rapports qui se nouent, ou pas, entre ses différents acteurs ; identifier quels sont leurs lexiques privilégiés ; préciser ce qui se dit par et sur eux : voilà les ambitions de cette étude publiée en juin dernier.

L'Institut de la qualité de l'expression a analysé les supports de communication écrits de trois grandes entreprises (L'Oréal, SNCF, Vinci), de trois grandes PME familiales (Fleury Michon, Laboratoires Boiron, Séché Environnement), ainsi que de trois entreprises confrontées à des conflits sociaux largement médiatisés ces derniers mois en raison de la séquestration de leurs responsables (Caterpillar, Continental, Molex).

Ces supports écrits sont nés des sites institutionnels des entreprises, d'une sélection des pages sociales de chaque site (pages RH, formation, emploi, RSE, stratégie...), des discours des présidents issus des rapports annuels mis en ligne.

En sus, l'étude comporte un focus sur le discours de quatre grands syndicats (CFDT, CFE-CGC, CGPME, Medef) et des définitions étymologiques d'appellations majeures : patron, dirigeant ; manager, cadre ; collaborateur, salarié.

Trois angles de présentation

Les résultats de l'étude sont présentés sous trois angles : le lexique utilisé pour désigner les patrons, les managers et autres collaborateurs ; la communication entre les différents acteurs de l'entreprise, et les principaux thèmes abordés par les présidents et les collaborateurs (lire encadré p. 26).

En termes de constats positifs, l'Institut de la qualité de l'expression met en avant : une langue claire et accessible ; des sites Internet globalement bien construits ; une mise en scène des collaborateurs, avec des témoignages et un discours cherchant à les «intégrer» au sein de l'entreprise ; une éthique d'entreprise revendiquée, généralement assortie de quelques éléments de preuve ; un thème de la diversité qui commence à apparaître, particulièrement au sein des grands groupes ; et les thèmes de la formation et de l'égalité des chances le plus souvent associés aux collaborateurs, surtout dans le cas des grands groupes.

Un discours à sens unique

Mais, en termes de constats négatifs, l'institut pointe : très peu de métiers mis concrètement en scène ; un choix de lexique propre aux différents acteurs qui ne varie que très peu ; un discours indistinct entre les managers et les collaborateurs, avec un certain effacement de l'encadrement ; un discours sur les collaborateurs souvent à sens unique, où l'entreprise dit ce qu'elle attend d'eux, et pas ce qu'elle va faire en retour pour eux (si l'épanouissement du personnel est parfois revendiqué, son mode de traitement reste maladroit et orienté vers l'entreprise) ; une faible communication entre les différentes catégories étudiées ; une hiérarchie présente à travers les lignes, particulièrement dans les PME ; des valeurs d'entreprise insuffisamment nourries ; des sites Internet parfois limités quant à la prise en compte des contraintes et possibilités offertes par le web (textes parfois trop longs, faible utilisation de la vidéo, du son, des images... « Le site de la SNCF est un contre-exemple positif de ce vers quoi il faut tendre », assure l'institut) ; et, enfin, « une langue assez neutre, anonyme, sans réelle personnalisation du discours, à l'exception des témoignages, toutefois politiquement corrects. »

Les verbes des ressources humaines

→ Voici le tableau récapitulatif des verbes les plus fréquents dans la communication des 9 entreprises étudiées par l'Institut de la qualité de l'expression.

Etre : 617 Avoir : 145 Faire : 77 Progresser/continuer/ développer : 77 Pouvoir : 56 Travailler : 52 Permettre : 49 Proposer : 25 Créer/construire/bâtir : 24 Représenter/constituer : 23 Devoir : 19 Recruter/embaucher : 16

« On se bat beaucoup avec les mots »

Jeanne Bordeau Directrice et fondatrice de l'Institut de la qualité de l'expression

E & C : Pourquoi cette étude ?

J. B. : On n'a jamais autant parlé de dialogue social, mais le combat par position hiérarchique au sein de l'entreprise n'a jamais été aussi exacerbé entre ceux qui dirigent - les patrons -, ceux qui encadrent - les cadres ou managers -, ceux, enfin, qui occupent les niveaux hiérarchiques inférieurs - les salariés. De l'extérieur, il ne semble pas exister de discours commun, partagé et réciproque. D'où cette étude sur le lexique : nous sommes à un moment où l'on se bat beaucoup avec les mots et les catégories qu'ils désignent. Ces mots sont importants, car ils portent des connotations et traduisent des réalités : entre «grand patron» et «entrepreneur», il y a des différences sensibles !

E & C : Qu'est-ce qui vous a le plus surprise ?

J. B. : Peut-être la spécificité des discours selon les typologies. Les syndicats ont un vocabulaire propre qui n'est pas celui de l'entreprise. La CGPME est, par exemple, la seule à parler des «chefs d'entreprise», tandis que la notion de «personnel encadrant» n'est employée que par la CGC. J'ai également été marquée par l'absence de discours sur ou par les managers dans toutes les sociétés ou presque.

Enfin, la plupart des entreprises portent un discours RH spécifique à travers des pages carrières, recrutement ou emploi ; mais leur discours sur ce point est détaché de l'activité ou de l'identité de l'entreprise, il n'y a pas de lien.

PROPOS RECUEILLIS PAR L. G.