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Les managers de terrain déstabilisés par les projets RH centraux

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 15.07.2009 |

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Les managers de terrain déstabilisés par les projets RH centraux

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Souvent issu de la base, le manager de proximité, également en charge de fonctions RH, est coincé entre le marteau hiérarchique et l'enclume opérationnelle. La montée en puissance des tâches de reporting et la centralisation des outils informatiques contribuent à augmenter son mal-être.

E & C : Les managers opérationnels et intermédiaires croulent aujourd'hui sous des tâches RH qui les rendent de plus en plus mal à l'aise. Comment en est-on arrivé là ?

Eric Vogler : L'ensemble des tâches administratives des managers opérationnels s'accroît à mesure que, sans le dire vraiment, l'entreprise recentralise nombre d'activités qu'il était de bon ton de décentraliser au cours des années 1980. Cela est vrai aussi bien pour les finances que pour la qualité, l'informatique ou le commercial, mais aussi pour les ressources humaines. A la doxa de l'autonomisation des personnels, de l'empowerment, qui consistait, pour les sièges sociaux, à déléguer les responsabilités aux niveaux régional et local, a succédé une recentralisation des directives et des outils, qui multiplie les consignes et les contrôles émanant du siège.

Les managers sont, parfois, véritablement harcelés par les multiples reportings qu'on leur impose sous prétexte de mieux saisir les réalités du terrain, et ils ne peuvent se soustraire aux exigences des systèmes informatiques intégrés (ERP) et à l'uniformisation des procédures, introduits pour homogénéiser des pratiques autrefois locales. Là où le manager opérationnel était un patron, il doit, aujourd'hui, dans un mouvement épuisant, transmettre les informations de la base vers le sommet, mais, surtout, transmettre les directives du sommet vers la base. Il sert à la fois de courroie de transmission et de tampon entre des mondes qui trop souvent s'ignorent : les directions générales ne comprennent pas pourquoi la base ne se précipite pas tête baissée dans les nouvelles stratégies corporate décidées au nom de la logique concurrentielle et de la rentabilité ; la base ne comprend pas pourquoi les directions générales imposent des objectifs et des procédures qui bouleversent les habitudes acquises et paraissent parfois absurdes au niveau local.

Par ailleurs, le contexte de crise et la pression induite sur les effectifs et les rémunérations ne font qu'aggraver le stress. Certes, c'est en haut lieu que se décide le nombre de postes qui doivent être supprimés, mais c'est au manager opérationnel qu'on demande des noms. En dehors même des plans sociaux, c'est lui qui doit transmettre les mauvaises nouvelles quand les politiques budgétaires réduisent à peu de chose les parts variables à distribuer aux salariés qu'il est censé motiver. Pour les salariés, c'est lui le représentant des décisions de la DG et c'est lui que l'on accuse de ne pas savoir défendre les efforts accomplis par ses troupes.

E & C : Quels sont les moyens de pression des directions générales ?

E. V. : Les moyens d'imposer les nouvelles stratégies RH corporate sont de trois ordres. Elles passent par des contraintes budgétaires souvent drastiques qui réduisent d'autant les marges de manoeuvre sur le terrain. Elles passent, nous l'avons vu, par les nouvelles exigences informatiques induites par les ERP, qui tendent à uniformiser les outils et les procédures. Paradoxalement, en contradiction avec la logique souvent prônée du downsizing, ces stratégies se matérialisent aussi par une augmentation des effectifs RH au niveau de l'encadrement intermédiaire, malgré l'externalisation de tâches à faible valeur ajoutée comme, par exemple, la paie. Là où le DRH du groupe s'égosillait sans être suivi sur le terrain, une nouvelle stratégie consiste à créer de petites directions RH fonctionnant comme autant de sièges intermédiaires aux niveaux régionaux. Pour être entendus des salariés, le mieux est encore de se situer au plus près d'eux. Le middle manager, quelles que soient ses autres casquettes, est souvent à la fois chargé des RH, régional ou local, et responsable de ses équipes et de leurs résultats, sans réelle marge de manoeuvre.

Il est vrai que, parfois, le siège cherche à recueillir les avis de la base via ces mêmes managers, mais les contraintes de temps réduisent souvent la concertation à une discussion entre RRH parisiens, les autres n'ayant tout simplement plus le temps de se déplacer. Rien d'étonnant, dès lors, à ce que les projets RH centraux ressemblent souvent à des usines à gaz que les managers ont toutes les peines du monde à faire fonctionner localement. Il y a, là, un véritable cercle vicieux.

E & C : Comment sortir de l'impasse ?

E. V. : Autant la décentralisation avait donné lieu à une littérature managériale abondante, autant la recentralisation est muette. Tout se passe comme si la logique de globalisation imposait une uniformisation un peu embarrassante à imposer, après avoir exalté la nécessaire autonomie des salariés en général et des cadres en particulier. Mais les questions de génération sont, ici, importantes. Les nouveaux venus, issus de cursus universitaires RH ou de management, sont plus à l'aise par rapport à cette nouvelle réalité corporate que les managers issus de la base, qui se mettent plus facilement à la place de leurs anciens collègues. Mais, dans tous les cas, il serait grand temps de faire coïncider les discours et les actes pour faciliter la tâche des managers opérationnels : l'enjeu pour les entreprises est, aujourd'hui, d'organiser la «conversation stratégique» entre un siège redevenu puissant et présent localement et les directions régionales, représentantes des réalités du terrain.

PARCOURS

• Eric Vogler est professeur de stratégie et de management des services à EM Lyon. Il intervient également auprès d'autres écoles (Insa Lyon, Ecole d'architecture de Lyon, Esta Belfort, Institut Paul-Bocuse) et développe une activité de conseil auprès de petites entreprises de services.

• Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont Le management stratégique des services : du diagnostic à la mise en oeuvre (Dunod, 2004).

LECTURES

Marketing des services, C. Lovelock, J. Wirtz, D. Lapert et A. Munos, 6e éd., Pearson, 2008.

Formation des stratégies et middle managers, Marielle-Audrey Payaud, L'Harmattan, 2005.