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« La situation des seniors n'a guère évolué en France depuis 2002 »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 07.07.2009 |

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« La situation des seniors n'a guère évolué en France depuis 2002 »

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Les récentes déclarations du gouvernement sur le recul de l'âge de départ en retraite apparaissent éloignées des réalités du terrain. Les entreprises n'offrent toujours pas de perspectives de maintien dans l'emploi pour les seniors, et une majorité de cadres sont peu motivés pour travailler au-delà de 60 ans.

E & C : La thèse que vous venez de soutenir porte sur les «Intentions de départ à la retraite des cadres du secteur privé français», avec un échantillon de cadres âgés d'au moins 50 ans, sur la période 2005-2008. Quid de leurs réponses ?

Julie Christin-Moulin : Elles évoquent, avant tout, la possibilité de pouvoir prétendre à une pension de retraite «satisfaisante», de «rééquilibrer des vies passées au travail», et ce, «avant qu'il ne soit trop tard», compte tenu des incertitudes pesant sur l'avenir des retraites françaises. L'âge auquel les cadres pensent le plus fréquemment pouvoir partir est 65 ans (16,7 %) ; des parts égales envisageant, ensuite, de partir à 62, 63 et 64 ans (13,5 %) ; 8,4 % envisageant un départ à 60 ans. Il faut souligner que ces intentions ne coïncident avec les souhaits de départ que pour 15 % des cadres questionnés : 59 % d'entre eux aimeraient, ainsi, partir avant l'âge auquel ils l'envisagent effectivement ; 53 % souhaitant notamment partir à 60 ans ou avant.

E & C : Le maintien en emploi des seniors pose-t-il toujours question aujourd'hui ?

J. C.-M. : La situation des seniors français en emploi semble avoir peu évolué depuis 2002, alors que les institutions poussent les salariés à allonger leur vie professionnelle, que la presse managériale et les chartes d'entreprise préconisent la nécessaire mise en place d'une gestion des seniors. Malgré les diverses dispositions que la France a adoptées ces dernières années pour favoriser leur activité, le pays détient toujours, en 2009, le plus faible taux d'emploi des 60-64 ans : 13 % contre 26,7 % dans l'Union européenne à 25. Celui des seniors (plus de 55 ans) peine à décoller des 38 %, alors que la durée moyenne du chômage chez les plus de 55 ans demeure parmi les plus longues d'Europe (plus de vingt-cinq mois). Dans le contexte hexagonal, il semble qu'allonger la vie professionnelle demeure irréalisable. Ainsi, il paraît peu probable que le pays atteigne le taux d'emploi de 50 % des seniors à l'horizon 2010, objectif de l'UE que seuls 4 ou 5 membres ne réaliseront pas.

E & C : Sur quels types de leviers les entreprises agissent-elles pour fidéliser leurs ressources seniors «clés» ?

J. C.-M. : Plusieurs enquêtes démontrent que c'est le transfert des compétences qui a été majoritairement mis en place par les entreprises dans le cadre de politiques de gestion des seniors, les chefs d'entreprise confirmant régulièrement que le maintien en activité des plus âgés se révélait un enjeu complexe et délicat. En dehors de l'organisation de la transmission des savoir-faire, la majorité d'entre eux avouent, ainsi, ne pas avoir pris en compte la pénibilité physique dans l'évolution des carrières des 50 ans et plus, pas plus que d'avoir proposé des emplois pour ceux rencontrant des problèmes de santé. Or, des pratiques d'acquisition - GPEC, équité dans les recrutements, aménagement du contenu de l'emploi... -, de stimulation - gestion de la diversité des âges, de l'équité, de la santé et des conditions de travail, rémunération et avantages sociaux, aménagement des temps de travail... -, comme de développement des ressources humaines - gestion des carrières, de l'employabilité, des connaissances... - représentent des facteurs décisifs de maintien en emploi des seniors.

E & C : Des incitations financières sont-elles utilisées pour garder les seniors ?

J. C.-M. : D'après notre étude, les responsables soucieux de fidéliser leurs cadres vieillissants ne peuvent se limiter à considérer des incitations financières pour qu'ils retardent leur départ à la retraite. Celles-ci fonctionnent, certes, mais, les concepts de sens - intérêt, défi, responsabilisation et créativité -, d'organisation du travail - définition des missions et rôles attendus, objectifs... - et de reconnaissance - investissement professionnel de longue date, compétences, qualités professionnelles... - au travail semblent des leviers bien plus pertinents pour maintenir en emploi cette catégorie de population.

E & C : La crise économique actuelle est-elle de nature à modifier les intentions de départ à la retraite, mais aussi l'attitude des entreprises vis-à-vis des seniors ?

J. C.-M. : Les experts ont souvent pu constater que ce sont d'abord les populations fragilisées, parmi lesquelles les seniors, qui, en tant que «variables d'ajustement», souffrent le plus des aléas économiques. La crise actuelle nuance potentiellement les constats que nous avons pu émettre quant aux intentions de départ à la retraite sondées entre 2005 et 2008. Du côté des salariés, les bouleversements actuels peuvent accroître leur incertitude vis-à-vis des futures conditions envisagées pour leur départ à la retraite. Ce qui ne manquera pas d'attiser leur aversion au risque. Par ailleurs, les contractions actuelles d'effectifs peuvent être perçues comme un signal certain que les entreprises ne souhaitent pas les maintenir plus longtemps au travail. La crise pourrait pourtant être porteuse de réaménagements potentiellement plus favorables aux seniors si l'on considère, par exemple, que les entreprises en difficulté pourraient bénéficier des expériences et des compétences que ces salariés ont acquises pendant plusieurs années sur le terrain.

PARCOURS

• Julie Christin-Moulin est maître de conférences en sciences de gestion, spécialisée en GRH.

• Elle a soutenu, en novembre 2008, une thèse sur les «Intentions de départ à la retraite de cadres du secteur privé français» et, pour ce faire, a collaboré avec diverses institutions : GIE Agirc-Arrco, Observatoire des cadres de la CFDT, Lab'Ho d'Adecco...

SES LECTURES

La diversité des âges : regards croisés d'experts, Nicole Raoult et Bernard Quintreau, éditions Liaisons, 2005.

Les seniors dans l'entreprise, Éléonore Marbot, Jean-Marie Peretti, Village Mondial, 2004.

L'âge de l'emploi : les sociétés à l'épreuve du vieillissement, Anne-Marie Guillemard, Armand Colin, Paris, 2003.