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Le dossier explosif de la baisse des salaires

Les pratiques | publié le : 30.06.2009 |

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Le dossier explosif de la baisse des salaires

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Pour garantir leur survie, des entreprises n'hésitent pas à jouer la solidarité plus ou moins forcée dans leurs équipes. En jeu, la baisse de la part fixe de la rémunération. Une pratique d'exception à hauts risques. Eclairage.

Osram aurait-elle raté son coup ? En tout cas, la filiale du groupe allemand Siemens, implantée à Molsheim, en Alsace, est convoquée le 3 juillet au TGI de Saverne. L'idée de réduire de 12,5 % les salaires de 600 de ses collaborateurs (sur 800) est restée en travers de la gorge de FO. Et ceux qui ont dit «non» à la proposition se retrouvent licenciés, pour refus de modification du contrat de travail, liée à une difficulté économique prévisible. Ils sont 108 en tout, venus des métiers de la logistique. Un chiffre rond, ultra médiatisé, mais qui masque que 83 % ont répondu «oui». « On ne désespère pas de conserver certains récalcitrants, souligne Francis Louis, directeur de la qualité et de la stratégie. Car notre but est bien que les gens gardent leur emploi, pas qu'ils partent. » Or, les postes lâchés par leurs titulaires, et sauvés par la baisse des salaires, seront ouverts à l'interne et à l'externe.

Justifications et contreparties

Mises à la porte d'un côté, recrutements de l'autre. Une situation kafkaïenne qui n'est pas exceptionnelle dès qu'on aborde le délicat sujet de la diminution des salaires en entreprise. Parce que la loi l'interdit. Et que, pour faire avaler cette pilule-là, il faut de sérieuses justifications et des contreparties. Ce que les Pdg américains prennent rarement en considération. Ainsi, ceux de HP, Hertz ou IBM, qui imposent à leurs filiales européennes de drastiques réductions de salaire. N'est-ce pas pratique courante outre-Atlantique ? Même le patron de l'honorable British Airways assume sans complexes de demander à ses employés de travailler gracieusement d'une semaine à un mois pour sauver leurs jobs !* L'affaire n'est donc pas simple. Elle est même très risquée, et l'utilisation actuelle du procédé chez nous surprend les économistes et... les syndicalistes. Pourtant, les entreprises de l'Hexagone sont nombreuses à être tentées par la formule. L'activité va mal, la crise est brutale, entraînant des effondrements de 30 %, 40 %, voire 50 % du chiffre d'affaires en quelques semaines. L'industrie, l'automobile et les biens d'équipement en particulier, le BTP et le conseil sont les premiers touchés.

Traque aux économies

« On sent bien que les dirigeants s'interrogent, traquent les économies, observe Sylvain Niel, directeur associé du département GRH au cabinet Fidal. Ils recherchent un effet immédiat via le plus évident : la réduction de la masse salariale globale. Mais, dès qu'on touche au fixe, on entre dans l'usine à gaz de la modification contractuelle. » Les plus prudents associent cette baisse à une réduction du temps de travail, à proportion égale. Les PMI aux abois, telles Poclain Hydraulics, dans l'Oise (transmissions hydrauliques, 550 salariés en France sur 1 250), ou AB Fonderie, près de Lyon (pièces d'aluminium, 12 salariés), ont ainsi recherché le consensus interne, jouant cartes sur table en réunions de direction, de service ou dans les ateliers et avec les partenaires sociaux. L'une baissant la masse salariale de 20 % et l'autre de 15 %. La proximité facilitant le dialogue. « C'est dur de se séparer de gens dont on connaît les familles, souligne Frank Molle, le Pdg lyonnais. On a préféré se serrer la ceinture ensemble. » Jouant l'exemplarité, ces deux patrons ont raboté leur propre salaire d'autant, sans pour autant diminuer leur temps de travail. Ce qui, dans ce type de configuration, est globalement le lot du top management. C'est le «gagner moins pour travailler autant» des décideurs impliqués. Surtout s'ils ont un patrimoine à défendre.

La solidarité à bon prix

Cependant, maints montages sont plus complexes. Et sont d'une telle opacité qu'ils relancent la polémique autour du «marché de dupes» dénoncé par les syndicats, parfois mis hors du coup sur le terrain ! « La décision est souvent unilatérale, fustige Philippe Fontaine, secrétaire national à la CFDT Cadres. L'entreprise redécouvre la solidarité à bon prix. Y aura-t-il un retour à meilleure fortune ? Va-t-on, par la suite, partager les fruits des résultats ? »

Bien démarrer une baisse des salaires nécessite, donc, moult précautions. Primo, il faut la légitimer. Sauver l'entreprise ? Oui, mais avec des preuves. Osram, notamment, explique qu'elle anticipe la disparition de la fabrication des ampoules à incandescence condamnées en Europe d'ici à 2012. Et que, pour développer la fabrication de lampes halogènes sur son site alsacien, elle doit rester compétitive face à son usine en Slovaquie. D'où le choix d'investir 4 millions d'euros à Molsheim, assorti de la diminution directe du coût horaire en trois étapes : 6 % de moins en octobre 2009 ; 3 % en 2010 et 3 % en 2011.

Secondo, mieux vaut en limiter la durée et discuter en CE. S'il s'agit d'un nouvel accord collectif, c'est obligatoire. Exemple : Poclain Hydraulics, qui accompagne sa mesure d'amortisseurs, ce qui ramène la baisse à 5 % pour les salaires au taquet, et à 15 % pour les plus élevés, grâce, notamment, à la prime exceptionnelle d'intéressement de 1 500 euros (préconisée par Nicolas Sarkozy) versée à chacun. Et cette baisse est temporaire, du 1er avril au 31 décembre. AB Fonderie a usé du procédé six mois. Osram a négocié, de son côté, le renoncement par ses cadres à dix jours de RTT par étapes sur trois ans.

Tertio, il faut demander l'accord de chacun des salariés. Car toucher au salaire fixe relève d'une modification substantielle du contrat de travail. Une lettre explicative avec accusé de réception laissera un mois au salarié pour dire «oui» ou «non». A défaut, il sera réputé avoir accepté le deal.

Etablissement d'un quota

« L'important, pour l'employeur, c'est d'avoir en tête un quota - 80 % ou 90 % de réponses favorables - à partir duquel une baisse de salaire collective aura un effet de levier suffisant pour préserver l'emploi. Je conseille d'en faire une clause de l'accord », souligne Sylvain Niel. Si le quota n'est pas atteint, il faut rediscuter. S'il est atteint, reste à régler le sort du noyau dur des 10 % à 15 % qui auront dit «non». Doit-on les garder ? Mais au risque de créer une inégalité de traitement avec les autres en faisant une entorse au principe «à travail égal salaire égal». Doit-on les licencier ? Dans ce cas, c'est pour motif économique, et, au-delà de 9 personnes, l'entreprise s'embarque dans un PSE coûteux. Telle Osram avec ses 108 contestataires, certains profitant de l'aubaine pour partir.

Gare, également, aux façons insidieuses de réduire les salaires. Et, là-dessus, les entreprises ne manquent pas d'imagination. Soit pour transformer une part du fixe en variable, comme l'a fait IBM pour ses commerciaux. Ce qui revient, étant donné la conjoncture détestable, à amoindrir la rémunération. Soit en montant le seuil des objectifs à partir duquel se déclenche les primes, comme le pratique le fabricant d'extincteurs Sicli (filiale de l'américain UTC), qui a hissé ses exigences de 10 % à 25 %. Ou encore en dénonçant les heures supplémentaires.

Ainsi, Loxam, loueur de matériel pour le BTP et l'industrie (3 000 salariés en France), at-il passé un accord pour supprimer la 38e heure, réduisant, de facto, le salaire de 3,2 % depuis le mois de janvier. « Je crains qu'on ne dénonce très vite les deux autres heures supplémentaires, contractualisées sur nos feuilles de paie. C'est un chantage à l'emploi ! », explique René Tharagonnet, élu de la CFDT en désaccord avec la CGT, FO, la CFTC et la CFE-CGC, signataires.

Embûches

Le sujet est donc semé d'embûches pour l'employeur comme pour les partenaires sociaux. « La diminution des salaires doit rester la solution ultime, insiste Denis Falcimagne, directeur de projet spécialiste de la rémunération à Entreprise & Personnel. C'est le rôle du DRH d'étudier, en amont, toutes les alternatives possibles - réduction d'avantages sociaux, de coûts de fonctionnement, de frais divers, etc. - et de les proposer à la direction générale. » D'autant plus qu'avec les mauvais résultats 2009, attention à la chute mécanique des bonus, des variables ou de l'intéressement, qui se surajoutera à la baisse du salaire de base. Celle-ci entraînant, de surcroît, une diminution des primes - de nuit, de congés, d'ancienneté... A vos calculettes !

* Lire Entreprise & Carrières n° 960.

Pour aller plus loin : lire le quotidien Liaisons sociales du 17 juillet 2009.

L'essentiel

1 En période de crise, les entreprises sont tentées de diminuer leur masse salariale. Une solution qui concerne aussi les cadres, mais qui doit rester extrême.

2 Les patrons de PME font parfois preuve d'exemplarité en baissant leur propre salaire, sans réduire leur temps de travail.

3 Il ne faut pas sous-estimer la résistance des partenaires sociaux ou le refus des salariés, qui peut conduire au licenciement.

La clause de «retour à meilleure fortune»

Cette clause d'usage, empruntée au droit fiscal, a gagné le champ du social depuis la vague des accords collectifs des années 1990. L'idée consiste à limiter un abandon de créance ou une baisse consentie de salaire, jusqu'au retour à la profitabilité de l'entreprise. « Ainsi, le sacrifice est à durée déterminée, précise Sylvain Niel, avocat associé au cabinet Fidal. En outre, le salarié sait qu'il sera servi avant l'actionnaire et avant tout nouvel investissement de l'entreprise. » La DRH inscrira, donc, dans sa note explicative, une formule de ce type : « La direction s'engage à vous rétablir votre ancien salaire dès que les résultats financiers le permettront. » Avec deux cas de figure. Soit le salaire retrouve simplement son niveau normal, soit il s'accompagne d'un rattrapage du manque à gagner. L'employeur n'indique pas de date butoir. Ne sachant pas, par définition, quand les choses iront mieux. C'est la négociation annuelle sur les salaires qui fait office de bilan d'étape.

« Le salaire est rigide et l'emploi flexible ! »

Selon Yannick L'Horty, chercheur au CEE (Centre d'études de l'emploi) et professeur d'économie à l'université d'Evry, baisser les salaires transgresse les règles du libéralisme.

« En cas de choc, c'est l'emploi qui doit s'ajuster. Durant la grande crise de 1929, J. Maynard Keynes, célèbre économiste du début du XXe siècle, estime que seul le salaire fixe reste capable de répondre à la crise de la demande, car il garantit un pouvoir d'achat. L'emploi est flexible, le salaire est rigide. On l'apprend dans tous les manuels d'économie. En France, plus qu'ailleurs, il est intouchable. La pratique est donc exceptionnelle. » « Fin 1990, apparaît une notion de morale et d'injustice. La relation de subordination du salarié doit le préserver des revers d'activité. Les lui faire payer est considéré comme une sanction. Truman Bewley, chercheur à l'université d'Harvard*, qui a interviewé 360 dirigeants, a, ainsi, publié leur opinion. Selon eux, baisser les salaires revient à toucher le moral des collaborateurs, à dégrader l'estime d'eux-mêmes et à affecter leur bonne volonté. »

* Why wages don't fall during a recession, Harvard University Press, 1999.

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