Apparemment, la sphère politique et la sphère économique fonctionnent actuellement selon des principes opposés. Liberté individuelle, d'un côté, et contrainte de plus en plus forte dans l'entreprise, de l'autre. Pourtant, Pierre-Yves Gomez et Harry Korine, professeurs de management, respectivement à l'EM Lyon et à la London Business School, expliquent que l'entreprise est là pour mettre en cohérence l'action des salariés dont les libertés individuelles pourraient s'opposer dramatiquement si on ne parvenait pas à les faire travailler de concert.

La démocratisation gagne sans cesse du terrain dans l'entreprise puisque celle-ci est passée d'un gouvernement individuel, puis à un management familial et, aujourd'hui, à la gouvernance des actionnaires. Autre paradoxe : la prospérité des entreprises, fondée, il y a peu, sur la propriété des moyens de production, repose désormais sur le capital humain alors même que l'entreprise globale est de plus en plus indifférente aux particularités identitaires des producteurs. Seuls les bénéfices importent.

Il est inévitable que la manière dont l'entreprise réussira à gérer cette contradiction influencera l'avenir politique de nos sociétés. L'un des problèmes qui se posera à la démocratie, en effet, sera de maintenir l'égalité entre des individus aux compétences valorisables et ceux qui en sont dépourvus. Les non-qualifiés risquent fort, malheureusement, de venir grossir les rangs des assistés. A moins qu'une tendance à les exclure de l'assistance au nom même de la responsabilité individuelle de chacun à développer ses compétences n'en fasse des marginaux représentant un danger pour la cohésion de nos sociétés libérales.