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« Le DRH est le meilleur garde-fou contre les dérives du coaching »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 16.06.2009 |

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« Le DRH est le meilleur garde-fou contre les dérives du coaching »

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Parce qu'il vise, notamment, à une normalisation du comportement, le coaching est l'expression d'un pouvoir de l'entreprise sur le salarié. Ce pouvoir n'est pas illégitime, mais les dérives existent. Le rôle du responsable RH est fondamental dans l'encadrement de cette pratique.

E & C : Le coaching est présenté soit comme une pratique visant à un épanouissement personnel, soit comme un instrument de normalisation. Qu'en est-il exactement ?

Eric Pezet : La relation d'aide personnalisée que propose le coaching peut relever de différents domaines : elle peut être très technique, psychologique, ou d'apprentissage du comportement.

Il est vrai que le coaching conduit les managers «coachés» à mener un certain nombre d'actions pour transformer leur comportement. Cela renvoie à la notion de rapport à soi, de conduite de soi. Le rapport à soi est ancien et prend ses racines dans les sagesses et dans les religions. Dans les années 1920, déjà, l'Union sociale des ingénieurs catholiques invitait ses adhérents à développer certaines qualités professionnelles par un travail sur soi. Je pense que le rapport à soi est une dimension importante de la vie dans les organisations. Les entreprises prescrivent souvent un coaching pour aider un cadre à entrer dans un rôle. En soi, ce n'est pas négatif : si l'on a envie de devenir directeur d'usine, pourquoi ne pas se faire aider pour y parvenir ?

E & C : A travers le coaching, l'entreprise exerce donc un pouvoir sur le «coaché» ?

E. P. : Si l'on définit le pouvoir comme l'orientation des conduites, alors oui, le coaching est un exercice de pouvoir. Mais, encore une fois, ce rapport de pouvoir n'est pas négatif. Là où les problèmes peuvent survenir, c'est lorsque le coaching devient un moyen de manipulation. Par exemple, lorsqu'il est utilisé par l'entreprise pour faire comprendre à une personne qu'elle n'a plus sa place dans l'organisation. Le coaching est alors un moyen de l'amener à découvrir cela elle-même et à en tirer les conclusions en s'en allant. Evidemment, la déontologie du coach interdit ce genre de pratique. Mais il est aussi dans une relation commerciale avec l'entreprise...

Une autre dérive possible est celle de l'ascendant que peut prendre le coach sur le «coaché». Quand on accompagne des gens psychologiquement, on peut avoir beaucoup d'influence sur eux. Il y a donc un risque fort de manipulation. Le marché de la formation professionnelle est déjà intéressant pour les sectes, alors, celui de la conduite de soi, c'est un boulevard !

E & C : Comment se prémunir contre ces risques ?

E. P. : S'il y a quelqu'un dans l'entreprise qui peut jouer le rôle de garde-fou contre les pratiques de manipulation, c'est le DRH. Certes, il est lui-même immergé dans les rapports de pouvoir. Mais il a un rôle central parce qu'il est, parmi tous les acteurs pris dans le réseau de relations, celui qui peut avoir le plus de recul, qui a la vision d'ensemble. Il est aussi en position d'organiser et de contrôler la pratique du coaching dans l'entreprise. D'abord en exerçant une vigilance sur les demandes de coaching. Il peut, ainsi, essayer de découvrir quelles sont les intentions du manager qui souhaite un coaching pour un collaborateur.

Il intervient sur le choix des coachs en vérifiant leur formation, leurs compétences. A cet égard, les DRH se renseignent en priorité auprès de leurs pairs. Il a aussi un rôle à jouer dans le déroulement du coaching. C'est difficile, car il doit à la fois comprendre ce qui se joue, s'assurer qu'il n'y a pas de dérive, et préserver le caractère privé de la relation coach/«coaché». Il doit aussi composer avec les attentes de certains managers pour qui la confidentialité est un peu dérangeante.

Dans le coaching, s'élaborent des idées, des stratégies que l'entreprise ne connaît pas. Mais, comme elle a investi, elle a besoin d'avoir un retour d'information. Il faut donc que s'organise une certaine communication entre le coach, le «coaché», le DRH et le manager.

E & C : Vous constatez que la pratique du coaching reste limitée à un petit nombre de cadres. Pourquoi ?

E. P. : C'est à la fois une pratique à risque - les «coachés» peuvent quitter l'entreprise ou adopter des stratégies personnelles qui ne sont pas celles qui sont attendues - et qui demande du temps. Il faut beaucoup de disponibilité pour le «coaché». Quant au DRH, s'il veut suivre avec efficacité cette pratique sans être intrusif, il doit y consacrer du temps.

Reste que le coaching est une pratique intéressante. Mais si l'on veut en tirer tous les bénéfices, il faudrait développer le mentoring. Il s'agit d'une relation d'aide personnalisée entre managers et collaborateurs, hors des liens hiérarchiques, couramment pratiquée dans les pays anglo-saxons. Plutôt que de laisser la main uniquement à des intervenants extérieurs, il faudrait réfléchir à la mise en place d'une organisation interne qui englobe l'aspect psychologique du coaching. Mais le mentoring reste encore un peu dérangeant en France, où la structure hiérarchique est extrêmement valorisée.

PARCOURS

• Eric Pezet est professeur à l'IAE de Valenciennes. Il rejoindra, en septembre, le département sciences de gestion de l'université de Paris-Ouest-NanterreLa Défense où il sera responsable du Master GRH.

• Il a auparavant occupé différentes fonctions dans les ressources humaines, dont celle de DRH dans un grand groupe industriel.

• Il est l'auteur de plusieurs articles sur le coaching et a dirigé l'ouvrage Management et conduite de soi. Enquête sur les ascèses de la performance (Vuibert, 2007).

SES LECTURES

La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, Pierre Dardot et Christian Laval, La Découverte, 2009.

L'herméneutique du sujet. Cours au collège de France (1981-1982), Michel Foucault, Gallimard-Seuil, coll. Hautes Etudes, 2001.

Personnel et DRH. L'affirmation de la fonction personnel dans les entreprises (France, 1830-1990), Jean Fombonne, Vuibert, 2001.