logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enjeux

« Le temps est venu d'une approche responsable de la gestion des départs »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 09.06.2009 |

Image

« Le temps est venu d'une approche responsable de la gestion des départs »

Crédit photo

Si les directions prennent soin de gérer les recrutements, la mobilité ou la formation des salariés, la gestion de leur départ de l'entreprise est une thématique souvent délaissée. L'évaluation de la performance des salariés permettrait une approche plus active et responsable du sujet par tous les acteurs.

E & C : Les DRH focalisent leur attention sur le recrutement. Selon vous, la gestion des départs est tout aussi cruciale pour la performance de l'entreprise. Pourquoi ?

Fabienne Autier : Il existe, dans les entreprises françaises, deux approches extrêmes de la question des départs. Chacune génère ses propres effets pervers et touche négativement la performance de l'entreprise. D'une part, certaines entreprises gèrent, sans le dire, cette question de façon cynique. Le départ des salariés fait partie intégrante de leur modèle de fonctionnement. Elles recrutent, pour un temps, des salariés à qui elles demandent de prendre en charge des activités souvent intenses, faiblement rémunérées et exigeant des rythmes élevés de travail. Elles anticipent, voire suscitent les départs réguliers de leurs salariés. Ces entreprises sont engagées dans des stratégies sacrificielles de GRH. Cette approche a le mérite de permettre une adaptation rapide aux besoins du marché, d'économiser sur les coûts de formation et d'empêcher que ne se formalise une défense collective des conditions de travail, qui suppose un minimum de constance dans l'emploi. Le bénéfice est évident : faire pression sur les salariés pour en obtenir le rendement maximal. C'est le cas, par exemple, des secteurs de la distribution ou de la restauration rapide, mais aussi d'enseignes comme le Club Med, où les salariés sont supposés taillables et corvéables à merci, motivés et, surtout, jeunes.

De manière plus marginale, certaines entreprises, dans le secteur de l'audit, notamment, orientent assez rapidement vers la sortie les nouvelles recrues très bien formées qu'elles embauchent. C'est la logique du «up or out», qui explique que la longévité dans ces cabinets d'audit excède rarement trois ans. Cette précarité étant compensée par une politique de rémunération et de formation avantageuse et l'obtention d'une expérience professionnelle extrêmement valorisée. Elle permet au partant de trouver plus facilement une place sur le marché du travail. L'enjeu, pour l'entreprise, est alors une politique de prestige vis-à-vis du client et une exigence de performance élevée : le cabinet recrute les meilleurs et en obtient le maximum.

A l'inverse, d'autres sociétés gèrent la question des départs de façon très passive. On pourrait dire, en fait, qu'elles ne les gèrent pas du tout. Leur modèle de fonctionnement consiste à recruter des salariés dans une optique de long terme et à faire, ainsi, l'économie de recrutements réguliers et coûteux. L'entreprise met des moyens pour entretenir cette relation : formation, mobilité, rémunération, avantages divers. En conséquence, les salariés restent... le temps qu'ils veulent ! L'employeur n'exerce pas, ou peu, sa responsabilité d'identification des salariés peu performants et de leur accompagnement au départ. Ces entreprises offrent incontestablement des conditions d'emploi favorables, mais cela ne veut pas dire qu'elles obtiennent des salariés motivés et engagés !

E & C : Quelles sont les limites de cette «gestion passive» ?

F. A. : Les salariés qui partent de leur propre chef sont peu nombreux, mais, malheureusement, ce sont souvent les meilleurs, ceux à qui la routine ne suffit pas et qui recherchent les challenges. Mais ce phénomène est particulièrement visible, également, lorsqu'une entreprise de ce type propose un plan de départs volontaires. Les plus compétents, les plus mobiles, les plus entreprenants partent faire valoir leurs compétences sur le marché du travail. Les salariés plus rétifs au changement, les moins confiants dans leur employabilité et leurs compétences restent. Voilà donc des entreprises qui, de par leur passivité, mettent en place les conditions conduisant à retenir les moins performants et à encourager le départ des salariés les plus motivés et compétents. Il y a là un certain paradoxe ! Autre effet pervers : l'aspiration à la baisse des ambitions de ceux qui restent. Ces entreprises ont souvent beaucoup de mal à faire adhérer leurs salariés à des dispositifs d'évaluation des objectifs et de management de la performance. Ces dispositifs n'opèrent pas puisque le sentiment partagé est, finalement, qu'il n'est pas nécessaire de se dépasser puisqu'il n'y a pas de sanctions pour ceux qui n'entrent pas dans le jeu.

E & C : Que préconisez-vous ?

F. A. : Le temps est venu d'une approche responsable et mature de la question des départs, et ce, par les deux parties. Les dégâts causés par les pratiques manipulatrices (harcèlement moral, faux motifs de licenciement, etc.) le prouvent. Elles abîment chaque jour davantage la confiance individuelle et collective vis-à-vis de la relation d'emploi. A l'inverse, l'employeur a tout à gagner à assumer et à mettre en oeuvre sa responsabilité d'évaluation et de mesure du travail fourni par les salariés. Tolérer durablement la faible performance n'est pas souhaitable, ni pour l'organisation, ni pour les individus, qui manquent de repères et de retour sur leur travail. Car les salariés ont également tout à gagner à une restitution honnête et transparente sur leur propre performance et sur les compétences mises en oeuvre. Le constat partagé d'une inadéquation peut les conduire à prendre conscience de la nécessité de se former, de s'orienter vers d'autres fonctions avant qu'il ne soit trop tard et qu'ils ne soient plus employables sur le marché externe.

PARCOURS

• Fabienne Autier est enseignante chercheuse en GRH et organisation à l'EM-Lyon. Elle est responsable du département droit, management et RH.

• Elle est l'auteure de nombreux articles et de plusieurs livres consacrés à la gestion des ressources humaines et au capital humain, dont L'antibible des ressources humaines (Pearson Education, 2009).

LECTURES

Si la GRH était de la gestion, Bernard Galambaud, éditions Liaisons, 2002.

Les stratégies des ressources humaines, Bernard Gazier, La Découverte, 2004.