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Le revanche de la province

Enquête | publié le : 19.05.2009 |

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Le revanche de la province

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Temps de trajet, climat, coût et qualité de la vie : la province séduit de plus en plus de Franciliens, même en ces temps de crise. Les entreprises viennent aussi y trouver des locaux moins chers, une image plus facilement acquise d'employeurs de référence et des salariés davantage fidélisés.

Cette fois, Marc a décidé de franchir le pas. A 43 ans, ce chef de projet qui travaille dans le secteur bancaire pour une grosse SSII à La Défense (92) prépare des lettres de candidature spontanée pour des recruteurs régionaux, et s'apprête à prendre contact avec des cabinets de chasse de têtes spécialisés, en leur signifiant bien qu'il n'est pas opposé à une mobilité géographique. « C'est un projet familial, explique-t-il. Nous en avons longuement discuté et nous y voyons un moyen d'améliorer notre qualité de vie. Ma femme travaillant elle aussi, nous recherchons tout de même des régions où le bassin d'emploi est suffisant pour lui procurer des opportunités. »

Résidant dans l'Est parisien, Marc vit de plus en plus difficilement les contraintes des transports sur la ligne A du RER, la plus fréquentée d'Europe, et rêve d'une maison proche d'un centre-ville. D'ores et déjà, il a coché sur son agenda la case du 13 octobre prochain, date de la deuxième édition de Provemploi, un salon de l'emploi d'un nouveau genre, propre à satisfaire les aspirations centrifuges de Franciliens toujours plus nombreux.

Candidats à un nouveau départ

Principe de cet événement dans l'air du temps : rassembler à Paris des recruteurs régionaux venus chasser les candidats de la région capitale. Lors da la première édition, en 2008, ils étaient une soixantaine d'exposants - de la multinationale (Alstom, Areva, AXA, Volvo...) à la PME - qui proposaient quelque 20 000 postes et ont vu se presser près de 4 000 candidats à un nouveau départ.

La crise économique risquet-elle de rogner les ailes de ce salon ? « De nombreux participants renouvelleront l'exercice, infirme Antoine Colson, l'un des deux créateurs de Provemploi. Dans la banque, le bâtiment, l'agroalimentaire, l'informatique, l'énergie..., les besoins demeurent. En outre, les collectivités locales seront de nouveau présentes pour faire la promotion de leur territoire, notamment au bénéfice des PME. »

La ville à la campagne

L'année dernière déjà, Lactalis et un groupe d'entreprises mayennaises, accompagnées par les services de la ville de Laval, avaient obtenu un bon succès. Ce que mettent en avant ces collectivité locales et ces entreprises : la qualité de vie d'une « ville à la campagne » - proximité des lieux de travail et d'un centre-ville historique, logement plus facile, coût de la vie souvent inférieur de 30 % à 35 % à celui de Paris, avantage que grignote peu un différentiel de salaire moyen de 15 % entre la capitale et la province.

De quoi satisfaire le «régiotropisme» de toute une catégorie d'actifs du grand Paris. « Le phénomène touche essentiellement les gens expérimentés et en poste, détaille Antoine Colson. La moyenne d'âge des visiteurs, en 2008, était de 32 ans, près de la moitié avaient un niveau bac + 5 ou plus et 60 % d'entre eux avaient un emploi. »

Alors que les jeunes diplômés, y compris provinciaux, viennent majoritairement chercher leur premier poste en région parisienne, une fois ancienneté et expérience acquises, l'idée de partir ou de repartir en région devient fréquente.

Equilibre vie professionnellevie familiale

Le projet de quitter dès que possible cette gigantesque conurbation capitale semble même chevillé, dès le départ, à l'esprit de la génération Y. Une enquête, datée du printemps 2008, sur les aspirations des jeunes diplômés d'écoles supérieures, réalisée par le cabinet de communication sociale Quatre Vents, en atteste : « Leur premier objectif à trois ans est d'atteindre un équilibre vie privée-vie professionnelle satisfaisant, indique Laurence Chavot- Villette, directrice du cabinet. Et beaucoup de jeunes diplômés rejettent formellement l'idée de travailler en région parisienne. Tout le monde ne se sent pas prêt à passer de une heure à une heure et demie dans les transports pour aller au travail. »

Passage à l'acte

« Depuis trois ou quatre ans, de plus en plus de gens passent à l'acte, confirme Laurent Hurstel, directeur associé, chargé du recrutement en région, du cabinet de chasse de têtes Robert Walters. Par ailleurs, les salariés franciliens sont plus facilement mobiles que ceux des régions, souvent habitués à un marché de l'emploi moins dynamique. Sur nos recrutements en province, 30 % à 35 % des candidats sélectionnés viennent d'Ile-de-France. »

Mais toutes les destinations ne présentent pas les mêmes atours aux yeux des Parisiens prêts au départ. Rhône-Alpes et la région nantaise ont le plus de facilité à séduire les candidats, notamment grâce à la taille de leur bassin d'emploi et à l'attractivité de leur climat. Les régions du Nord et de l'Est, même dynamiques, n'ont pas le bonus du soleil, celles du Sud-Est et du Sud-Ouest n'ont pas celui du business.

Carrière et qualité de vie

« Le premier atout d'un bassin d'emploi est sa capacité à favoriser une carrière et à fournir un emploi au conjoint ; le deuxième, sa qualité de vie, c'est-à-dire les gains de temps qu'il permet, les conditions du marché immobilier, les équipements publics et de transport... », poursuit le spécialiste du recrutement. Le problème peut sembler insolite, mais pour DCNS, Direction des chantiers navals (lire p. 24), il se repose régulièrement : pourvoir les postes du site de Saint-Tropez est un casse-tête, en raison d'un bassin d'emploi inexistant, d'équipements publics dont la modestie devient pénible en hiver (pas un cinéma ouvert, par exemple), de coûts immobiliers stratosphériques. La majorité des salariés du site se rabattent d'ailleurs sur Toulon, à une heure de route.

Séduction pécuniaire

Dans les régions les plus difficiles à «vendre», les entreprises acceptent aussi, parfois, d'ouvrir un peu plus le porte-monnaie, comme GE Energy à Belfort (lire p. 23), qui déploie diverses armes de séduction auprès d'ingénieurs franciliens.

Si les recrutements ralentissent, les mêmes enjeux se reportent d'autant plus fortement sur la mobilité interne et géographique. LCL, DCNS et Thales, par exemple, mettent en oeuvre des procédures destinées à encourager et à encadrer les transferts d'un site à un autre. Prévisites de la famille, aide au logement (avec le 1 %), prime de déménagement ou «de rideaux», aide à la recherche d'emploi du conjoint peuvent faire partie d'un «package» qui, sous certains aspects, ressemble à celui d'un expatrié. SGS, l'un des leaders du contrôle et de l'audit, dont le siège est basé à Cachan (92), mais qui possède des sites, notamment à Poitiers, Rouen, Le Havre, Aix-en-Provence, Le Mans, Grenoble, propose, par exemple, de prendre en charge un éventuel différentiel de salaire du conjoint.

Mais, outre les salariés, les entreprises elles-mêmes se laissent séduire par la province. Le discours efficace et «marketé» des grandes agences de développement local comme celle de Lyon (lire p. 27) ou, plus récemment, celles de Laval ou de Reims, villes «boostées» par l'effet TGV, porte ses fruits (lire p. 28).

Qualité du tissu économique

Les directions d'entreprise sont sensibles aux économies annoncées sur les locaux, à la qualité du tissu économique local et, le cas échéant, à la proximité de Paris et d'un aéroport international. Les DRH vérifient les compétences disponibles dans le bassin d'emploi, la qualité des équipements publics (pour leurs cadres qui y seront mutés). En matière de management, ils en espèrent souvent une réduction du turn-over et une amélioration de la productivité. Le pari semble réussi pour Kuoni, qui a installé un centre d'appels à Reims, complétant celui de Paris (lire p. 28) ; pour Coriolis, qui a choisi Laval au début de cette année ; ou encore pour Alfa-Laval, qui a quitté la région parisienne pour Lyon en février dernier (lire p. 26).

Abolition des distances

Les contraintes de la mobilité géographique peuvent aussi se contourner en abolissant les distances. Chez SGS, qui a de forts besoins de recrutement, un directeur des études vient d'être recruté pour le site de Poitiers, mais sa famille restant sur Paris, l'entreprise prend en charge 9 allers-retours par mois en TGV entre les deux villes. « Dans nos métiers, les bureaux virtuels sont aussi une possibilité, complète Francis Bergeron, le DRH. Beaucoup de nos cadres dirigeants utilisent le télétravail et les réunions virtuelles. Mais ils ne sont pas les seuls : les gens travaillant en région étant parfois réticents à «monter» à Paris, nous avons commencé à tenir des CE en vidéoconférence. »

L'essentiel

1 Les salariés expérimentés, et en particulier les cadres, affichent de plus en plus souvent leur volonté de quitter la région parisienne.

2 Les entreprises régionales peuvent mettre en avant la qualité de vie locale. Les vastes bassins d'emploi, permettant une carrière pour un conjoint, restent les plus attractifs.

3 Les grandes entreprises multisites ont mis en oeuvre une politique de mobilité géographique, d'autant plus importante que les recrutements se réduisent.