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Les pratiques

Sea, sex and... contrat de travail ?

Les pratiques | Retour sur... | publié le : 12.05.2009 |

Estimant avoir signé un contrat de travail qui ne dit pas son nom, 160 anciens candidats de la téléréalité ont engagé, depuis 2003, des procédures judiciaires à l'encontre des producteurs des émissions. Quelques décisions récentes des prud'hommes et de la cour d'appel pourraient être remises en cause en cassation.

Après avoir défrayé la chronique, à l'été 2001, avec «le Loft», son premier avatar français, la téléréalité refait parler d'elle. Alors centré sur les questions de voyeurisme ou de respect de la vie privée, le débat s'est, depuis, déplacé dans le champ, apparemment moins sulfureux, du droit social. Il s'agit, en effet, de savoir si la prestation des participants, qu'ils aient mis à l'épreuve leur couple sur une île paradisiaque, tenté de séduire un faux millionnaire ou vécu dans un logement truffé de caméras, doit être considérée, ou non, comme une activité salariée.

Un contrat de participation

C'est en analysant, en 2003, le «contrat de participation» d'un ex-candidat de «l'Ile de la tentation», que Jérémie Assous, avocat au barreau de Paris, consulté pour un anodin problème de droit à l'image, ouvre la boîte de pandore, en estimant qu'il a sous les yeux, en dépit de ses sévères irrégularités, un contrat de travail qui ne dit pas son nom. « Peut-on vraiment qualifier autrement un document qui prévoit une «mise à disposition» 22 heures sur 24 pendant quatorze jours, des directives et des activités organisées à la demi-heure près, le versement de 1 500 euros sous le prétexte fantaisiste «d'avances sur les recettes de produits dérivés», le tout conditionné à des sanctions financières en plus de l'exclusion en cas de non-respect ? », interroge-t-il.

Notant des « actes d'autorité et de contrôle non équivoques » ainsi que des « sommes promises en suite de la participation à l'émission », le conseil des prud'hommes (CPH) de Paris lui donne une première fois raison, le 30 novembre 2005, en requalifiant en CDD le «contrat de participation» signé par trois anciens participants de «l'Ile de la tentation» avec Glem, la filiale de production de TF1.

Trois ans plus tard, le 12 février 2008, la cour d'appel de Paris franchit un pas supplémentaire en requalifiant le contrat en CDI et en octroyant 27 000 euros aux trois plaignants au titre d'une « indemnité légale et forfaitaire de six mois de salaire » et de « dommages et intérêts pour licenciement abusif et irrégulier ». La société Glem est, en outre, condamnée pour « travail dissimulé ». Sans déroger aux précédents arrêts, le CPH de Boulogne-Billancourt* reconnaît à son tour, le 7 avril dernier, le statut de travailleur à 24 autres participants de la même émission.

Entre-temps, encouragés par ces décisions favorables, les plaignants affluent de toutes parts : Me Assous assure, aujourd'hui, la défense de 160 ex-participants aux émissions telles que «Koh-Lanta», «The Bachelor» ou «les Colocataires». La prochaine audience, relative à «Greg le Millionnaire», une émission également produite par Glem, devait avoir lieu ce 12 mai.

Mise en cause de la compétence du tribunal

Ces déçus de la téléréalité sont-ils pour autant assurés de leur bonne fortune ? Rien n'est moins sûr. Preuve de l'ambiguïté de leur situation, une salve de commentaires contradictoires n'a pas manqué de saluer chaque arrêt rendu. A ceux qui approuvent une « solution assez peu discutable »** s'opposent ceux qui remettent en cause le caractère «professionnel» des prestations réalisées et, à partir de là, la compétence même des prud'hommes.

Pour Me Philippe Pataux, avocat au cabinet Barthélémy & Associés, les juges des prud'hommes, puis ceux de la cour d'appel, avant tout désireux d'offrir une « protection » aux participants de la téléréalité, ont raisonné « à l'envers » en déduisant l'existence d'une activité professionnelle et, par voie de conséquence, un contrat de travail de la présence de ses trois éléments dits «constitutifs» (prestation de travail, rémunération et lien de subordination) : « Il me paraît difficilement acceptable qu'une prestation dans laquelle on demande aux participants de jouer leur propre rôle puisse être de la même nature que l'activité professionnelle de celui qui est tenu de réaliser une tâche déterminée à l'avance, explique l'avocat, qui précise que le droit civil, susceptible de prendre en compte la notion de « dignité humaine », notoirement bafouée dans nombre d'émissions de téléréalité (perte de la liberté d'expression, interdiction de communiquer avec l'extérieur, privation de temps de repos) était de nature à offrir aux participants une protection aussi solide, si ce n'est plus, que celle du droit social.

Le 22 décembre dernier, un discret arrêt du CHP de Saint-Etienne était déjà venu fissurer l'apparente unanimité des tribunaux. Saisis par un participant de «l'Ile de la tentation», les juges stéphanois avaient ainsi considéré que le litige « échappait à leur compétence. » C'est, finalement, la Cour de cassation, saisie par Glem, qui devrait mettre un point final aux débats. Les juges suivront-ils les préconisations de son avocat général ? Le 29 avril, ce dernier a, en effet, estimé que « la participation à une émission de téléréalité dont l'objet consiste à exprimer ses propres sentiments et à s'impliquer dans des relations interpersonnelles [...] ne peut donc, quelles qu'en soient les contraintes, s'analyser en une prestation de travail ». Verdict le 3 juin.

* A l'époque, le siège social de Glem étant situé dans le 16e arrondissement, le CPH compétent était celui de Paris. Entre-temps, Glem a rejoint les locaux de TF1 à Boulogne-Billancourt (92).

** Philippe Stoffel-Munck, Luc Grynbaum et Cyril Chabert, chronique «Responsabilité et contrats», mensuel du Juris-Classeur, juin 2006.

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