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Le gel des salaires : une communication globale risquée

Enjeux | Chronique juridique par AVOSIAL | publié le : 12.05.2009 |

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Le gel des salaires : une communication globale risquée

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« A tous les salariés : 2008 a été une excellente année et notre groupe ne peut que s'en féliciter. Cependant, comme vous le savez, nous ne sommes pas épargnés par la crise économique et nous nous attendons à ce que nos revenus subissent une baisse importante en 2009. Afin de préserver le cours de l'action et de sauvegarder notre compétitivité sur notre marché, nous devons réduire substantiellement nos coûts... C'est pourquoi nous avons décidé de geler les salaires de tous les salariés du groupe à leur niveau actuel et ce, jusqu'à nouvel ordre. »

Même si ce texte imaginaire force un peu le trait, c'est le type de communication qui peut circuler dans certains groupes internationaux. Les managers français ont bien du mal à éviter une telle communication aux salariés en France. Exception française au pays d'Asterix ? Oui, une fois encore ; ce qui peut fonctionner dans certains pays, notamment anglo-saxons, ne peut être acceptable en l'état en France, comme dans d'autres pays d'Europe continentale.

En effet, une telle annonce s'oppose en bien des points au droit du travail.

D'une part, toute communication de cet ordre ne peut avoir lieu qu'une fois que le comité d'entreprise aura été informé et consulté sur le projet de l'employeur de geler les salaires, s'il s'agit de modifier le mode de rémunération des salariés. Communiquer sur une décision d'ores et déjà prise alors que l'avis du CE n'a pas été obtenu constitue un délit d'entrave et peut être pénalement sanctionné, non seulement à l'encontre de la société personne morale, mais à l'encontre du représentant légal de la société française, peu important, d'ailleurs, que l'annonce émane de la société mère, même située à l'étranger.

D'autre part, l'employeur est obligé, au titre des articles L. 2242-8 et s. du Code du travail, de négocier annuellement avec les organisations syndicales, notamment sur les salaires effectifs. Même s'il ne s'agit que d'une obligation de négocier et non d'arriver à un accord, et si rien n'impose à l'employeur d'augmenter les salaires de ses salariés, la négociation doit avoir lieu de bonne foi. Une telle annonce intervenant avant la NAO (négociation annuelle obligatoire) ôterait tout sens à cette négociation. L'employeur prendrait, sur ce point également, un risque de délit d'entrave.

Dans de rares cas, l'employeur français parvient à obtenir une modification de l'annonce avant sa diffusion : il est parfois possible de prévoir que l'annonce soit faite sous réserve des impératifs des droits locaux ; l'employeur français peut aussi, dans certains cas, obtenir qu'elle ne soit pas diffusée aux salariés français du groupe. Pour autant, le risque de délit d'entrave demeure puisque la communication, nécessairement exprimée comme globale et applicable dans l'ensemble du groupe, constitue la preuve qu'une décision en ce sens a d'ores et déjà été prise, si bien que les syndicats pourront considérer que la NAO a été faussée.

L'employeur devra, en tout état de cause, vérifier qu'aucun engagement n'a été négocié avec les représentants du personnel (accord atypique ou accord collectif) ou qu'aucun engagement unilatéral n'a été pris par l'employeur, qui rendrait impossible un tel gel des salaires. Ainsi, par exemple, certains engagements peuvent avoir été pris dans la NAO déjà conclue.

En outre, et même si c'est rare, il faudra vérifier les contrats individuels de travail pour s'assurer que rien ne s'oppose à un gel des salaires ; certains salariés peuvent s'être vu garantir une augmentation de rémunération (applicable dans les premiers mois après l'embauche, par exemple). Dans un tel cas, le gel des salaires constituerait une modification du contrat de travail du salarié, qui ne pourra être effectuée qu'après avoir respecté la procédure de proposition prévue par l'article L. 1222-6 (proposition par lettre recommandée A/R et délai de réflexion d'un mois).

Pour les bas salaires, l'employeur devra également s'assurer que le gel des salaires n'aura pas pour résultat de ramener la rémunération du salarié en dessous du Smic ou du minimum conventionnel qui lui est applicable.

En pratique, le gel des salaires est tout à fait possible à condition que l'employeur vérifie que rien ne s'oppose à une telle décision, et qu'il respecte à la fois les droits du comité d'entreprise et ceux des syndicats en matière de négociation sur les salaires.

Et si le gel des salaires s'avère possible moyennant ces précautions et vérifications, il n'en est pas de même des réductions de rémunération, qui ne peuvent être imposées sans l'accord de chaque salarié concerné et en respectant la procédure de proposition.

Viviane Stulz, avocate au cabinet Clifford Chance Europe LLP, membre d'Avosial, le syndicat des avocats d'entreprise en droit social.