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« Les réformes sociales ont aggravé les problèmes au lieu de les résoudre »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 28.04.2009 |

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« Les réformes sociales ont aggravé les problèmes au lieu de les résoudre »

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Modernisation du marché du travail, représentativité des syndicats, défiscalisation des heures supplémentaires : les réformes menées dans le domaine social sont, pour André Zylberberg, des réformes ratées. Pour réformer, il aurait fallu d'abord améliorer la qualité de la démocratie sociale et de la démocratie politique.

E & C : Les réformes lancées par Nicolas Sarkozy dans le domaine social ont été nombreuses. Or, vous estimez qu'il s'agit de réformes ratées. Pourquoi ?

André Zylberberg : Lorsqu'on compare les intentions initiales - diminuer le chômage, réhabiliter le travail, accroître le pouvoir d'achat - aux résultats, on constate que, non seulement les réformes réalisées n'atteignent pas leur but mais qu'elles ont plutôt tendance à aggraver les problèmes qu'elles devaient résoudre tout en creusant le déficit public. La raison principale de cet échec tient à la méthode générale adoptée : Nicolas Sarkozy a ouvert énormément de chantiers en même temps et il s'est très vite aperçu que cela ne marchait pas. Pour s'en sortir, il a adopté la méthode classique du deal : en échange de quelques éléments emblématiques mis en avant, il a accru les avantages des groupes qui pouvaient être menacés par la réforme.

E & C : La loi de modernisation du marché du travail était censée mettre en place la flexicurité. Qu'en est-il au final ?

A. Z. : Nicolas Sarkozy était favorable à la flexicurité. Mais il n'en avait pas une idée précise et n'a donné aucune ligne directrice claire pour y parvenir. Les partenaires sociaux ont été laissés complètement libres de négocier. Comme ils ne sont pas d'accord entre eux sur l'un des deux piliers de la flexicurité (le droit du licenciement), ils se sont arrangés pour ne rien changer mais pour ajouter une chose : la rupture conventionnelle qui est une préretraite déguisée. Elle facilite le départ des salariés de 57 ans et plus qui bénéficieront des Assedic pendant 36 mois, c'est-à-dire jusqu'à leur retraite. On se retrouve donc avec un accord qui arrange tout le monde, mais on n'a pas amélioré le fonctionnement du marché du travail, on l'a même aggravé puisque l'objectif d'emploi des seniors va en prendre un coup.

L'autre pilier de la flexicurité, l'accompagnement des chômeurs, suppose un véritable service public de l'emploi. Certes, l'ANPE et les Assedic ont fusionné, mais il s'agit d'une fusion opérationnelle qui ne représente pas une amélioration pour le demandeur d'emploi. Il se retrouve toujours dans le même enfer bureaucratique et n'est pas plus accompagné qu'avant. L'introduction de partenaires privés dans le paysage est encore réalisée de façon extrêmement parcimonieuse. Or, mettre les moyens dans l'accompagnement des chômeurs est fondamental pour réduire la durée du chômage.

E & C : La loi portant rénovation de la démocratie sociale introduit une meilleure représentativité des syndicats. Pourtant, cette loi ne vous inspire que des critiques...

A. Z. : Il est vrai que les syndicats seront désormais plus représentatifs qu'avant puisque leur représentativité sera fondée sur l'élection. Mais le problème fondamental du syndicalisme français n'est pas là. Il est dans l'absence d'incitation à l'adhésion. Or toutes les études le montrent : seul le syndicalisme de service est efficace et il repose sur l'adhésion. Car seuls ceux qui sont syndiqués bénéficient des avantages négociés par leur syndicat, contrairement à ce qui se passe en France. C'est pourquoi notre pays ne compte que 8 % de syndiqués, l'un des plus faibles taux des pays de l'OCDE. Conséquence : les syndicats français ne peuvent pas vivre de leurs cotisations mais doivent être financés autrement et de façon opaque par des subventions publiques via la gestion d'organismes paritaires et par les mises à disposition (40 000 postes en France !). Un système qui ne peut pas produire des syndicats volontiers réformateurs et indépendants.

E & C : Concernant l'exonération d'impôt sur les heures supplémentaires, vous observez que cette réforme ne favorise pas l'emploi.

A. Z. : Non seulement elle ne crée pas d'emplois mais elle creuse les déficits. La défiscalisation des heures supplémentaires coûte actuellement 4 milliards d'euros (6 milliards d'euros en régime de croisière). Elle a ouvert la voie à l'opportunisme fiscal sans augmenter, en réalité, les heures de travail. La preuve : avant cette loi, la Dares (service statistique du ministère du Travail) estimait que 40 % des heures supplémentaires n'étaient pas déclarés. Il était, en effet, plus compliqué d'y avoir recours. Depuis la défiscalisation des heures supplémentaires, il est devenu au contraire très intéressant de les déclarer. Et, comme par hasard, la Dares enregistre une augmentation de 40 % des heures supplémentaires... au même moment où l'activité économique chute et où le chômage s'accroît. Cherchez l'erreur !

E & C : Quelle méthode aurait-il fallu adopter pour réussirces réformes ?

A. Z. : Pour réformer, il faut un environnement propice à la réforme, à savoir une démocratie sociale et une démocratie politique qui fonctionnent bien. Et sur ces deux points, la France fait encore figure d'exception. Notre vie syndicale, on l'a vu, est une exception. Et, parmi les démocraties occidentales, nous sommes la seule où l'on peut cumuler les mandats. Conséquence : les parlementaires passent leur temps dans leur circonscription où ils sont plus vulnérables aux influences des lobbies et ils n'acquièrent pas l'expertise nécessaire pour comprendre les lois qu'on leur propose de voter. Le comité Balladur chargé de préparer la réforme constitutionnelle avait pourtant posé l'interdiction du cumul des mandats comme une mesure majeure. Elle n'a pas été retenue et, là encore, il s'agit d'une réforme ratée et d'une occasion manquée d'améliorer la qualité de notre démocratie politique.

PARCOURS

• André Zylberberg est directeur de recherche au CNRS, membre du Centre d'économie de la Sorbonne et de l'Ecole d'économie de Paris. Spécialiste de l'économie du travail, il est l'auteur de nombreux ouvrages et de rapports sur ce thème. Il a notamment écrit, avec Pierre Cahuc, Le chômage, fatalité ou nécessité ? (Champs-Flammarion, 2005), qui a été récompensé par de nombreux prix et Les réformes ratées du président Sarkozy (Flammarion, 2009).

SES LECTURES

La société d'indifférence, Alain-Gérard Slama, Plon, 2009

Investir dans le social, Jacques Delors et Michel Dollé, Odile Jacob, 2009

Les jeunes Français ont-ils raison d'avoir peur ?, Olivier Galland, Armand-Colin, 2009.