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Peut-on compter sur les tiers employeurs ?

Enquête | publié le : 21.04.2009 |

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Peut-on compter sur les tiers employeurs ?

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En ces temps de crise, les «recettes» pour développer l'emploi sont rares. Autant dire que le gouvernement compte bien suivre la piste des tiers employeurs. Mais les formes atypiques d'emploi qu'ils proposent ont aussi leurs revers : l'insécurité juridique des contrats et le faible niveau de protection sociale des salariés, entre autres.

Intérim, portage salarial, groupements d'employeurs, travail en régie... Avec la crise, ces formes atypiques d'emploi sont scrutées avec intérêt. Certes, le phénomène n'est pas nouveau. L'intérim est né dans les années 1970 et les groupements d'employeurs existent depuis vingt-cinq ans. Mais ces emplois progressent vite. En 2007, l'intérim représentait, en France, 2,1 % de la population active, soit 547 000 emplois équivalents temps plein. C'est cinq fois plus qu'en 1985. Quant au portage salarial, marginal de 1985 à 1990, il connaît une croissance de 15 % par an depuis 2000. La raison ? Selon l'ESC Chambéry, qui vient de publier une étude sur le sujet (1), « l'intérim et les nouvelles sociétés d'intermédiation ont pris le relais des formes traditionnelles du travail salarié en entreprise en se substituant à leur gestion des ressources humaines ». Concrètement, les entreprises transfèrent de plus en plus à des tiers la qualité d'employeur, en externalisant «la prise de risque» que constitue l'embauche. Avec un avantage de taille, la baisse de leurs coûts sociaux. A tort ou à raison ?

Si ces formes d'emploi gagnent du terrain, l'insécurité juridique demeure. Le Code du travail et les conventions collectives n'ont pas suivi l'évolution de ces nouvelles pratiques. La protection sociale est minimale. Certes, l'intérim a fait des avancées en assurant protection sociale, formation et validation des acquis grâce à l'existence de deux guichets uniques, le Fonds d'action pour la formation (FafTT) et le Fonds d'actions sociales (Fastt). De même, le Sneps (Syndicat national des entreprises de portage salarial), en quête de notoriété, a multiplié la signature d'accords sociaux. Mais les filets de protection sont plus faibles que pour les salariés classiques.

La question de fond concerne, évidemment, la reconnaissance de ces salariés atypiques qui se situent à la frontière du travail salarié et du statut d'indépendant. Un espace intermédiaire matérialisé par un degré d'autonomie et une certaine indépendance dans l'exercice professionnel.

Prêt illicite de main-d'oeuvre

Dans l'informatique, par exemple, l'assistance technique (ou travail en régie) flirte, parfois, avec le prêt illicite de main-d'oeuvre, voire le délit de marchandage. Dans l'intérim, les cas de recours sont régulièrement contournés. Des dérives qui freinent le développement de ces emplois. Déjà, en 2003, Bernard Vivier, directeur général de l'Institut supérieur du travail (IST) et membre du Conseil économique et social, notait l'effacement progressif des limites entre travail salarié et travail non salarié. Avant lui, des experts, économistes ou juristes - Jean Boissonat, Alain Supiot ou Frédéric Tiberghien -, avaient planché sur ces formes de travail. Jacques Barthélémy avait poursuivi la réflexion en lançant l'idée d'un contrat de parasubordination - statut intermédiaire entre contrat de travail et contrat commercial. Puis, plus récemment, Paul-Henri Antonmattéi et Jean-Christophe Sciberras ont analysé le phénomène des travailleurs «économiquement dépendants».

Gisement d'emplois

De nombreux rapports ont, ainsi, vu le jour, mais peu d'avancées concrètes ont été observées. Une analyse qui n'a pas échappé à Xavier Bertrand, ministre du Travail de l'époque, qui a commandé, en novembre dernier, à Thomas Chaudron, l'ancien président du Centre des jeunes dirigeants (CJD) et Pdg de Mecanalu, un rapport sur le sujet (2). Car, en ces temps de crise, toutes les pistes doivent être suivies. Le Pdg n'avait que deux mois pour le réaliser. Mais les conclusions sont encourageantes : le rapporteur met en évidence ce « formidable » gisement d'emplois. « Sur les 16 millions de travailleurs salariés dans le secteur marchand, écrit-il, on estime, par exemple, à 600 000 le nombre d'intérimaires et à 30 000 les salariés au sein d'un groupement d'employeurs en 2008. Soit moins de 5 % au total. » Les tiers employeurs sont donc à considérer comme « des pistes à explorer pour développer l'emploi en France, au-delà des critères habituels ». Avec, pour objectif, l'amélioration de la sécurité juridique et sociale de ces salariés.

Mesures novatrices

L'Assemblée nationale acquiesce également. Le 6 avril, Jean-Frédéric Poisson et huit de ses collègues UMP déposent une proposition de loi sur les «mesures novatrices en matière d'emploi» en reprenant deux des thèmes de Thomas Chaudron. Elle prévoit de favoriser la constitution de groupements d'employeurs et de faciliter le prêt de main-d'oeuvre (lire p. 24). Le débat risque, toutefois, d'être houleux. Car les tiers employeurs sont loin de faire l'unanimité dans l'opposition.

Premières victimes de la crise

Si tout le monde y trouve son compte en période de croissance, les salariés «atypiques» sont aussi les premières victimes de la crise. Pour preuve, dans le travail temporaire, 200 000 emplois en équivalent temps plein ont été perdus depuis l'an dernier, selon le Prisme, la fédération des professionnels de l'intérim... Et, en mars, la baisse du nombre d'intérimaires atteignait 38 % par rapport au même mois de 2008.

Les filets de sécurité restent donc à trouver. Un premier pas a été franchi avec la nouvelle convention d'assurance chômage, qui prévoit une indemnisation après quatre mois de travail (au lieu de six auparavant). Mais la violence de la crise risque de mettre à mal ce fragile équilibre.

(1) Sociétés d'intérim et sociétés de portage : des acteurs socialement responsables sur le marché de l'emploi flexible, d'Isabelle Galois, enseignante-chercheuse, mars 2009.

(2) Les tiers employeurs ou comment conjuguer compétitivité et responsabilité dans la France du XXIe siècle ?, février 2009.

L'essentiel

1 Les entreprises ont transféré de plus en plus à des tiers leur gestion des RH. D'où une montée en puissance des formes atypiques d'emploi : intérim, portage salarial, groupements d'employeurs, travail en régie...

2 Mais, le Code du travail et les conventions collectives n'ont pas suivi l'évolution de ces nouveaux emplois, à la frontière du travail salarié et du statut d'indépendant.

3 Politiques, experts, mais aussi partenaires sociaux tentent d'améliorer la sécurité juridique et sociale de ces salariés.

Les propositions de Thomas Chaudron

INTÉRIM > Suppression du délai de carence.

> Moduler l'indemnité des fins de mission : fixée actuellement à 10 %, elle passerait à 15 % au bout de six mois et à 20 % après douze mois, pour renforcer le côté ponctuel du recours à l'intérim.

GROUPEMENTS D'EMPLOYEURS > Création d'une convention collective dédiée pour les salariés. > Elargir et renforcer la solidité financière des groupements. > Elargir les possibilités d'adhésion des collectivités territoriales.

PRÊT DE MAIN-D'OEUVRE > En réserver la possibilité aux entreprises justifiant d'une expertise et d'une politique de développement des compétences.

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