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La difficile alliance du portage et de l'intérim

Enquête | publié le : 21.04.2009 |

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La difficile alliance du portage et de l'intérim

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Réalité économique, le portage salarial reste, à ce jour, incompatible avec l'état actuel du droit positif. Une négociation sur les conditions de sa légalisation a été confiée à la branche de l'intérim. En jeu : la frontière entre travail salarié et travail indépendant et la définition même du contrat de travail.

L'intérim est la branche la plus proche du portage salarial. C'est, en tout cas, l'avis du législateur dans la loi du 25 juin 2008 sur la modernisation du marché du travail, qui reprend l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008. Il a ainsi demandé au Prisme, le syndicat patronal de l'intérim, d'organiser l'activité de portage salarial.

Celle-ci concerne environ 30 000 personnes et 250 structures. Le portage salarial est né au milieu des années 1980, pour permettre aux cadres, touchés de plein fouet par le chômage, de réaliser des prestations de services sans avoir à s'immatriculer en tant qu'indépendants, tout en bénéficiant du statut de salarié.

Problèmes juridiques

Longtemps réservée aux métiers du conseil, on rencontre aussi cette forme de travail chez les artisans, comme les coiffeurs, ou dans le vaste champ des services à la personne. Mais, parfois assimilé à un «prêt de main-d'oeuvre illicite», le portage salarial soulève de nombreux problèmes juridiques. « Il y a des sociétés de portage qui ne font que transformer des honoraires en salaire. Leur prestation est celle d'un simple cabinet de gestion, rien à voir avec une vraie société de portage qui accompagne ses portés sur l'aspect commercial et technique, notamment via de la formation », souligne Jean-Pierre Gendraux, responsable des professionnels autonomes à la CFDT-F3C (Fédération de la communication, du conseil et de la culture) et vice-président de l'Observatoire paritaire du portage salarial.

Nouveau contrat

Les négociations, qui ont démarré le 22 octobre 2008, ont justement pour but de « sécuriser le portage salarial et créer un nouveau contrat, original, qui sera un contrat de portage », explique François Roux, le délégué général du Prisme. Il existe pourtant un accord signé par le Sneps, le principal syndicat des entreprises de portage, et les syndicats de salariés, Ugica-CFTC, CFDT et CFE-CGC, le 15 novembre 2007, qui fixe le statut de salarié du porté et le place sous la convention collective Syntec. Mais il n'est pas étendu. La négociation engagée par l'intérim avec les cinq syndicats de salariés représentatifs doit, au contraire, aboutir à un accord de branche étendu. « Mais, six mois après le début des discussions, on n'a toujours pas de proposition écrite », ironise Jean-Charles Valet, le président du Sneps, dont les adhérents revendiquent 70 % du chiffre d'affaires du marché et 12 000 à 15 000 portés.

Contrat commercial

Le premier projet écrit devrait être présenté aux syndicats lors de la prochaine séance de négociation, le 28 avril. Jusqu'alors, la discussion a principalement achoppé sur le statut du porté. Le Prisme a commencé par proposer « un contrat commercial, régi par le droit idoine, supprimant toute référence à une quelconque convention collective et aux garanties qu'elles définissent, ne donnant aucun droit, notamment à l'assurance chômage », raconte Jean-Charles Valet, dont le syndicat, comme les autres organisations patronales du portage, n'a pas été invité à la table des négociations.

Le 10 avril dernier, dans une réunion de préparation à la négociation du 28 avril, le Prisme a proposé un nouveau schéma.

« Le porté est un salarié à part entière. Le tribunal compétent pour la partie contrat de travail est celui des prud'hommes. Il bénéficie d'une couverture santé et prévoyance et d'un droit à la formation professionnelle », résume François Roux. De quoi, a priori, satisfaire les syndicats de salariés, le Sneps et la FENPS, une autre fédération patronale du portage qui défend des positions relativement similaires.

Périmètre du portage

Mais d'autres points pourraient cristalliser les oppositions. L'un d'eux est le périmètre du portage. Les signataires de l'accord de novembre 2007 veulent réserver le portage aux cadres, contrairement à la FENPS, pour qui « il n'est pas question d'exclure du portage les très nombreux autres métiers qui bénéficient des avantages du statut depuis une dizaine d'années ».

De son côté, le Prisme convient que « le portage ne s'adresse pas à tout le monde, mais à des personnes autonomes, indépendantes, disposant d'une expertise et pouvant prétendre à une rémunération minimale », explique François Roux. Exit, alors, les coiffeurs et les actifs des services à la personne ? « On ne le dit pas », se contente de répondre le délégué général du Prisme.

Indemnité chômage

Autre motif de désaccord : la question du droit à l'indemnisation du chômage. Le Prisme estime que la question n'est pas de son ressort. « Nous pensons qu'il faut renvoyer le problème aux partenaires sociaux qui gèrent l'Unedic. » « Or, jusqu'alors, l'Unedic a considéré que la relation contractuelle n'est pas assimilable à un contrat de travail et, en dépit des cotisations versées tant par les entreprises de portage que par les portés, il arrive fréquemment que des antennes Assedic refusent aux portés le droit aux allocations chômage », rappelle Simon Denis, secrétaire national de l'Ugica-CFTC.

Quant à la rupture du contrat de travail, le Prisme estime que « celui-ci prend fin avec la fin de la mission chez le client. Le contrat de travail a une durée calée sur la durée du contrat commercial, dans une limite de trois ans. C'est, en tout cas, ce que nous proposons », indique François Roux.

Lien de subordination

En filigrane, apparaît la question de la définition du lien de subordination entre un salarié et son employeur. La qualification du contrat de travail n'implique-t-elle pas, avant tout, l'existence d'un travail fourni par l'employeur, en l'occurrence la société de portage ? « La question est en suspens. Nous proposons un contrat très original qui ne permet pas d'apprécier le lien de subordination de façon traditionnelle », déclare, « pour l'instant », le Prisme.

Selon Lise Casaux-Labrunée, professeure à l'université de Toulouse et chercheuse au laboratoire Droit et changement social de l'université de Nantes (lire p. 27), « on peut se demander si le portage salarial ne remet pas en question le seul critère qui permet de distinguer les salariés des indépendants, à savoir le lien de subordination juridique. Quelle est sa réalité, dès lors que la société de portage ne fournit pas au porté sa mission, ni n'a, d'ailleurs, les moyens techniques ni la compétence pour vérifier la qualité de l'exécution des prestations réalisées par le porté ? », s'interroge-t-elle. Il n'est pas sûr que la négociation en cours fournisse une réponse innovante ou, a minima, satisfaisante.