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Deux poids, deux mesures

Enjeux | Chronique juridique par AVOSIAL | publié le : 21.04.2009 |

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Deux poids, deux mesures

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C'est un fait entendu, lorsque le contrat à durée déterminée ne respecte pas le formalisme prévu aux articles L 1242-1 et suivants du Code du travail, il est automatiquement requalifié en contrat à durée indéterminée. C'est imparable.

Sans grande conséquence si le salarié est toujours en poste, cette règle en a de redoutables si le contrat est arrivé à son terme et que le salarié a quitté l'entreprise : indemnité pour requalification, indemnité pour non respect de la procédure de licenciement, indemnité de préavis, indemnité pour rupture abusive. Le pactole espéré peut atteindre facilement six mois de salaire. Plusieurs entreprises artisanales de ma connaissance ont frôlé la liquidation pour l'avoir ignoré.

Que le non-respect du formalisme prévu dans le Code du travail soit sanctionné est une chose, une autre est de transformer l'affaire en véritable aubaine pour le salarié. Il est quelque peu choquant qu'une simple erreur de forme ait pour résultat une sanction souvent disproportionnée. «Dura lex sed lex», «la Loi est dure mais c'est la Loi». Certes, mais encore faudrait-il que son application ne soit pas «à géométrie variable» : implacable pour les employeurs, inoffensive pour les salariés.

Or, en matière de CDD, seule la rupture pour faute grave est admise. Imaginons un contentieux où le motif du licenciement soit «un peu court» pour constituer une faute grave. L'employeur risque de se voir condamné alors que le motif resterait suffisamment solide pour constituer une cause réelle et sérieuse. Si, en même temps, on constate que le CDD ne respectait pas les exigences légales, il peut être judicieux de demander d'abord au juge la requalification du CDD en CDI. Etant alors en présence d'un CDI, on demandera, ensuite, la requalification du licenciement pour faute grave en un licenciement pour cause réelle et sérieuse. Ainsi, l'employeur évitera d'être condamné à des dommages et intérêts pour rupture abusive. Las ! Cela fait belle lurette que la manoeuvre a échoué...

La Haute Cour considère, en effet, que les règles légales ont été prévues pour protéger le salarié. Certes, mais dans l'immense majorité des cas, l'erreur provient non d'une turpitude de l'employeur, mais d'une méconnaissance ou d'une négligence de sa part. Rappelons que l'article L 1245-1 ne dit que : « Est réputé à durée indéterminée tout contrat de travail conclu en méconnaissance [des dispositions légales] », rien de plus. Au nom de quelle équité, l'employeur ne pourrait pas s'en prévaloir ?

Dans le même ordre d'idée, les clauses de non-concurrence sont devenues un véritable piège pour les employeurs. La Cour de cassation considère qu'un salarié soumis à une clause de non-concurrence illicite a subi un préjudice qui doit être indemnisé. Or, les juristes en droit social savent que les conditions de validité de telles clauses sont à la fois draconiennes et nombreuses, surtout lorsque l'employeur est soumis à une convention collective.

Ainsi, on en arrive au résultat surprenant suivant : le salarié soumis à une clause illicite serait nécessairement indemnisé alors que si l'employeur devait la faire jouer, il serait débouté. Résultat qui mérite d'être nuancé : si, en toute bonne foi, le salarié se croyant tenu par une clause de non-concurrence illicite l'a respectée, il apparaît effectivement normal qu'il soit indemnisé. Mais, là encore, c'est le caractère automatique de la jurisprudence qui est en cause : la Cour de cassation considère que le salarié a nécessairement subi un préjudice. Reste à se battre sur le préjudice, mais l'employeur est prévenu : de toute façon, il paiera.

Résultat caricatural : un salarié parti en retraite s'est vu attribué, par la cour d'appel de Versailles, deux ans de salaires (!) pour une clause de non-concurrence mal rédigée. Lorsqu'on sait que le salarié ne justifiait d'aucune recherche sérieuse d'emploi (un malheureux mail à un cabinet de recrutement), un tel arrêt choque le sens de l'équité...

Bien établies depuis des années, au point de devenir des évidences, ces jurisprudences n'appellent que des commentaires désabusés et résignés de la part des avocats d'employeurs. Il est parfois utile de rappeler que les évidences mériteraient de n'en être plus... Droit inégalitaire dans son principe, le droit du travail ne doit pas devenir un droit injuste.

Jacques Rémond, avocat au barreau de Versailles, membre d'Avosial, le syndicat des avocats d'entreprise en droit social.