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« La fonction RH ne peut pas sous-traiter son âme »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 17.03.2009 |

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« La fonction RH ne peut pas sous-traiter son âme »

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De nombreuses tâches dévolues à la direction des ressources humaines sont aujourd'hui sous-traitées. Du coup, on peut s'interroger sur l'existence même de la fonction RH au sein de l'entreprise.

E & C : L'externalisation touche de plein fouet la fonction RH. Jusqu'où peut aller ce phénomène ?

Maurice Thévenet : Traditionnellement, la fonction RH utilise des services de prestataires extérieurs comme les juristes, les formateurs, les cabinets de recrutement, mais aussi les agences de travail temporaire qui sont, aujourd'hui, de véritables prestataires de l'emploi. La complexification croissante de certaines tâches est un fait. La gestion de la paie est devenue, par exemple, si complexe qu'il est souvent plus simple et surtout plus sûr de la déléguer à des cabinets spécialisés. Des compétences très pointues ont un coût relatif plus élevé en externe, mais cela dispense l'entreprise d'assumer en continu les importantes charges des salaires de spécialistes.

Il n'est pas jusqu'aux entretiens annuels d'évaluation qui ne soient, parfois, sous-traités. Sans parler du coaching, qui prétend gérer la relation humaine. Mais ce mouvement d'externalisation a également concerné les tâches apparemment plus banales de gestion administrative des salariés, déjà simplifiées par l'intranet et parfois délocalisées vers des pays francophones à bas coût de main-d'oeuvre. En effet, on peut se demander si quelques personnes ne suffiraient pas à y traiter les 95 % des problèmes courants auxquels est quotidiennement confrontée une fonction RH.

E & C : Croyez-vous à ce type d'organisation ?

M. T. : Non, ni moi ni les DRH. Il est certainement plus économique de gérer en externe les tâches très techniques. Entretenir des avocats spécialisés représente un coût exorbitant. C'est un luxe qu'une entreprise a rarement les moyens de s'offrir. Même si elle les avait, on peut se demander s'il serait raisonnable, du point de vue de la performance globale, de le faire. Mais il reste, cependant, essentiel de disposer en interne des gens qui comprennent les problématiques juridiques générales. Idem pour celles de recrutement, de formation, de coaching, etc. L'entreprise peut sous-traiter beaucoup de choses, mais certainement pas son âme, sauf à ses propres dépens.

De même, pour les services à bas coûts, il faut se garder d'une analyse de la valeur trop simpliste. Certes, 95 % des tâches administratives peuvent sans problème être sous-traitées, mais les 5 % restants demandent d'y regarder de plus près et, surtout, de connaître individuellement les salariés. Ce sont ces 5 % qui, en cas de ratés, cassent une image et font perdre à la fonction RH sa crédibilité. Sans oublier que les tâches relatives aux congés, aux maladies, à la présence journalière et aux horaires, banales pour ceux qui les traitent, ne le sont pas du tout pour les salariés concernés. Celles-ci constituent, pour eux, la trame même de la vie.

Il y a des économies qui finissent par coûter très cher à l'entreprise en termes d'image, comme, par exemple, pour les centres d'appels externalisés par certains secteurs tels l'informatique ou la téléphonie. Les 5 % de cas qui posent problème ont un impact péjoratif difficilement mesurable, mais pourtant incontestable. Les gens ont besoin de savoir qu'ils ne sont pas que des numéros et qu'on s'occupe de leur cas avec attention et respect. Leur implication au travail est à ce prix. Et c'est encore plus nécessaire dans la situation actuelle.

E & C : Quel est le périmètre pertinent pour les RH aujourd'hui ?

M. T. : Concernant le management, il est vrai que la gestion des salariés par les managers de proximité est incontournable : ce sont eux qui les connaissent le mieux. Cependant, ces managers renâclent souvent aux tâches de management RH parce qu'ils ne s'en sentent ni la vocation ni forcément les compétences et qu'ils courent toujours après le temps. Il appartient à la direction des ressources humaines de maintenir le principe et l'effort de ce management de proximité en venant les appuyer. La politique managériale ne peut pas être laissée aux seuls experts lorsqu'il s'agit d'encadrer les équipes.

Par ailleurs, paradoxalement, la crise renforce l'importance de la fonction ressources humaines. Elle oblige

à des révisions souvent douloureuses des politiques de formation et de recrutement, qui ne peuvent être gérées à la serpe. Ces coupes ont toujours un impact réel en termes de confiance et de motivation. En outre, il est clair que des arbitrages seront à faire en termes de rémunération. Là encore, il appartiendra aux services ressources humaines de faire entendre à tous les protagonistes le nécessaire respect des principes d'équité.

Les DRH, par souci de visibilité, ont souvent privilégié des plans au long cours concernant la gestion des compétences. Ces process utiles, certes, mais parfois un peu trop ambitieux, devront céder le pas devant des enjeux plus immédiats du fait de la crise. Quand le temps sera venu, la reprise ne s'effectuera pas sans l'implication des personnes. La nécessité de se serrer les coudes est propre à remettre sur le devant de la scène la fonction sociale des RH, sa justification première résidant dans l'adjectif «humaines» accolé au mot «ressources». Si les salariés sont demandeurs d'autonomie et si les employeurs rêvent parfois d'organisations qui fonctionneraient toutes seules, la réalité est loin de cette utopie mécaniste. Le rôle des RH est de créer et d'entretenir l'entreprise comme communauté de personnes soudées, par beau temps comme par gros temps.

PARCOURS

• Maurice Thévenet est professeur de GRH et de management au Cnam et à l'Essec. Agrégé en sciences de gestion et diplômé de l'Essec, il a été président de l'Association francophone de gestion des ressources humaines (AGRH).

• Il est l'auteur de nombreux articles et ouvrages, dont Je veux tout ! ; Le bonheur est dans l'équipe ; Le management est-il toxique ? ; Manager en temps de crise (tous aux éd. Eyrolles, 2008) et, en collaboration avec C. Dejoux, E. Marbot, A. Bender et E. Normand, Fonction RH (éd. Pearson Education).

LECTURES

Faits et foutaises dans le management, J. Pfeffer, R. Sutton, H. Laroche, Vuibert, 2007.

The New Science of Human Capital, JW. Boudreau, PM. Ramstad, HR. Beyond, Harvard Business School Press, 2007.