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« Les entreprises doivent s'impliquer dans la lutte contre le chômage »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 10.03.2009 |

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« Les entreprises doivent s'impliquer dans la lutte contre le chômage »

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Les pratiques de sélection et de gestion des salariés par les entreprises ont une influence significative sur la durée de chômage des individus. Pour prévenir et réduire l'inemployabilité, les politiques publiques de l'emploi devraient davantage concerner les entreprises et moins les chômeurs.

E & C : On fait rarement le lien entre le chômage de longue durée et les pratiques de sélection et de gestion des salariés par les entreprises. Pourtant, ce lien existe, comme vous le montrez dans une récente étude (1)...

Marie Salognon : En effet. Rares sont les enquêtes qui permettent de faire ce lien. C'est le cas d'une enquête de la Dares (2) qui a constitué le support de notre étude. Cette enquête présente des parcours de personnes ayant travaillé dans des entreprises, et qui se sont retrouvées au chômage. Or, on a pu constater un certain nombre de liens entre leur statut dans l'entreprise et la durée de chômage. Premier résultat : le statut du dernier contrat de travail a un effet sur cette durée. Ainsi, les personnes qui étaient en contrat aidé sont celles qui restent le plus longtemps au chômage. Le contrat aidé peut alors constituer un mauvais signal aux yeux des employeurs.

En revanche, le CDD et le contrat d'intérim sont associés à des durées de chômage plus courtes. On peut penser que les personnes en CDD ou en intérim anticipent leur recherche d'emploi, mais aussi que les employeurs les recrutent plus facilement, car leur type de contrat témoigne de leur flexibilité.

Autre constat : quitter le dernier emploi suite à un licenciement économique - rupture de CDI - allonge la durée de chômage par rapport à une fin de CDD. Même pour des raisons économiques, être licencié est stigmatisant.

Nous avons aussi observé un lien entre l'allongement de la durée de chômage et l'ancienneté dans le dernier emploi. Rester longtemps dans le même emploi induit un développement de compétences spécifiques à l'entreprise et à l'emploi exercé. Ces compétences sont considérées comme difficilement transférables d'un emploi à un autre.

Dernier résultat : les individus qui ont suivi une formation professionnelle durant leur dernier contrat ont une durée de chômage plus courte. La formation professionnelle dans l'emploi aide donc à retrouver un travail ensuite.

E & C : Pourquoi est-il important de s'intéresser à la durée du chômage ?

M. S. : Parce que - c'est l'OCDE qui le dit - une bonne stratégie pour réduire le chômage global doit passer par la réduction de la durée des périodes de chômage. Le chômage de longue durée - qui représente, bon an mal an, 40 % du chômage global - correspond à une rupture de trajectoire professionnelle. C'est source de stigmatisation aux yeux des employeurs et c'est souvent le premier pas vers l'exclusion professionnelle.

E & C : Cette implication des entreprises dans la durée du chômage est-elle bien prise en compte dans les politiques publiques de l'emploi ?

M. S. : La logique dominante des dispositifs de lutte contre l'exclusion professionnelle consiste à agir sur les caractéristiques des individus. On donne des notes aux personnes en fonction de leur employabilité et on leur attribue des dispositifs en fonction de cela. Tout un travail, coûteux, est fait sur le chômeur : apprendre à faire un CV, une lettre de motivation, etc. Mais ce n'est pas forcément cela qui va être fondamental pour la réinsertion. Il serait plus efficace de se tourner davantage vers les entreprises, de passer d'une logique adaptative à une autre, plus intrusive.

E & C : Que préconisez-vous ?

M. S. : Il serait intéressant de développer d'abord des mesures préventives. Le licenciement a un coût social qui doit être compensé. On pourrait, par exemple, créer un droit à la formation professionnelle pour tout licencié, non reclassé, droit exercé avant qu'il ne quitte l'entreprise. La formation serait financée en tout ou partie par l'entreprise.

Deuxième point : il faut inciter les entreprises à adapter leur main-d'oeuvre de façon prévisionnelle aux évolutions du marché, que ce soit par la formation ou par la mobilité interne. Il est vrai que la GPEC fait partie des politiques actuelles, même si elle est davantage développée dans d'autres pays.

E & C : Et les mesures curatives ?

M. S. : Là encore, il faut passer d'une logique adaptative à une logique plus intrusive. Il existe, par exemple, la méthode IOD - Intervention sur l'offre et la demande -, mise en oeuvre par l'association Transfer (3), qui correspond bien à cela. Au lieu de développer des actions d'insertion à partir et autour des difficultés des chômeurs, la méthode IOD inverse la logique et s'intéresse surtout aux entreprises. La théorie économique considère que les entreprises sont parfaitement rationnelles, que leurs exigences en matière de recrutement correspondent au modèle productif. Dans la réalité, c'est loin d'être le cas. Déceler les vrais besoins, travailler sur l'offre d'emploi, sur la manière de recruter, accompagner l'entreprise lors de l'insertion de la personne recrutée : c'est ce que font les équipes qui utilisent cette méthode. Avec celle-ci, l'association Transfer obtient de bons résultats en matière de reclassement - le taux de retour à l'emploi était de 67 % en 2005 - et pour un coût non prohibitif, soit 2 400 euros par chômeur.

(1) In Recherches économiques de Louvain, vol. 74, 2008.

(2) Enquête Trajectoire des demandeurs d'emploi et marché local du travail, 1995.

(3) < www.transfer-iod.org >

PARCOURS

• Marie Salognon, docteur en sciences économiques, est maître de conférences à l'université Paris-1. Elle a soutenu sa thèse en 2005, intitulée Evaluation de la qualité du travail et chômage de longue durée. Elle a été conseillère scientifique au Centre d'analyse économique (CAE).

• Elle a publié plusieurs articles, dont un sur la méthode IOD paru dans l'ouvrage collectif Travailler pour être intégré ? (coordonné par Ai-Thu Dang, J.-L. Outin et H. Zajdela, CNRS éditions, 2006), et, avec Eric Delattre, Entreprises, modes de gestion de la main-d'oeuvre et allongement de la durée du chômage : une analyse économétrique, paru dans la revue Recherches économiques de Louvain, vol. 74, 2008.

LECTURES

L'insertion malgré tout - L'intervention sur l'offre et la demande, Denis Castra et Francis Valls, Octarès, 2007.

Le capitalisme d'héritiers : la crise française du travail, Thomas Philippon, Seuil, 2007.

Les raisins de la colère, John Steinbeck, Gallimard (Folio), 1972.

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