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Utiliser la notion de potentiel ouvre le recrutement à la diversité

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 10.02.2009 |

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Utiliser la notion de potentiel ouvre le recrutement à la diversité

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Traditionnellement utilisée dans la gestion des cadres dirigeants, la notion de potentiel pourrait être adaptée pour favoriser l'intégration, notamment, des minorités visibles dans l'entreprise. La notion de compétence, en effet, semble insuffisante au regard des parcours très hétérogènes des intéressés.

E & C : Alors qu'on parle surtout de «potentiel» pour les postes de direction, vous proposez de généraliser le recours à cette notion pour tous les salariés...

Alexandra Palt : L'idée qu'il faut mener des politiques de recrutement non discriminantes fait aujourd'hui consensus. L'entreprise peut d'autant moins se passer des talents issus des minorités visibles qu'elle cible l'ensemble de la population pour ses produits et ses services. Cependant, la doctrine sacro-sainte de l'égalité républicaine qui se veut aveugle aux différences pour ne considérer que la compétence est, en elle-même, discriminante. Traiter de la même façon des situations différentes perpétue les inégalités. La sursélection sur CV (même anonymes) et la survalorisation des diplômes conduisent mécaniquement à évincer les candidats venus d'autres horizons académiques et culturels. La notion de potentiel permet de ne pas s'en tenir aux compétences acquises et reconnues pour s'engager, comme c'est effectivement le cas pour la gestion des hauts potentiels, dans un abord plus prospectif. Il s'agit d'anticiper sur ce que le candidat pourra apporter demain à l'entreprise.

E & C : Pouvez-vous préciser le sens exact que vous donnez au mot potentiel ?

Kader Makhlouf : Nous avons choisi de retenir comme définition du potentiel la capacité d'un individu à se développer professionnellement dans le temps et dans des contextes différents. C'est-à-dire non pas une notion statique, mais dynamique. Il s'agit d'une capacité, d'une puissance. Inclure la notion de potentiel aux processus d'évaluation conduit à une plus grande ouverture, qui permet de s'intéresser à des candidats que l'on écarterait en temps normal : profils universitaires, parcours atypiques... Des candidats qui ne demandent qu'à faire leurs preuves et qui, d'une certaine manière, les ont déjà faites en s'accrochant à des parcours de formation dans des conditions souvent difficiles.

E & C : Comment préconisez-vous de repérer ces potentiels ?

A. P. : Cette question du repérage implique une révision des outils et des méthodes de recrutement. A la lumière de ce qui se fait en Grande-Bretagne ou au Canada, nous avons voulu démontrer que des solutions novatrices sont possibles, pour peu qu'existe la volonté politique de le faire. Le panel de solutions est assez vaste et il est sans doute important de multiplier les approches pour limiter les interprétations subjectives des résultats. Ce sont des tests d'évaluation, des assessment centers, des méthodes de recrutement par simulation ou entretien d'évaluation, mais avec des méthodologies précises.

Aucun indicateur miracle n'existe, malheureusement, pour déceler le potentiel d'un candidat. Seul l'avenir permettra de révéler les capacités dont il dispose. Mais certains éléments donnent cependant des repères, à la seule condition de les utiliser avec vigilance, notamment en ne les appliquant pas mécaniquement, mais en s'assurant qu'ils sont adéquats au poste, à l'expérience du candidat, à la culture d'entreprise. Il est également important de s'interroger sur les codes culturels et sociaux qui peuvent induire une appréhension subjective péjorative des individus, indépendamment de leur valeur personnelle.

K. M. : Chacun, au fil de sa vie, devra évoluer dans ses compétences. Les résultats académiques ne sont donc pas tant importants en eux-mêmes qu'en ce qu'ils révèlent de la capacité de l'individu à apprendre. Mais il est tout aussi important d'apprécier l'envie d'aller de l'avant, la capacité d'adaptation et de transposition, l'autonomie, la curiosité, etc. Un polytechnicien enfermé dans sa tour d'ivoire et peu motivé est certainement moins intéressant pour l'entreprise qu'une personne soucieuse de travailler en équipe et désireuse de progresser. Notre démarche n'est d'ailleurs pas d'opposer compétence et potentiel, mais d'insister sur leur complémentarité.

E & C : Quelle incidence cela peut-il avoir sur la GRH ?

K. M. : Il semble, malheureusement, que les conceptions et les outils du recrutement soient presque aussi variés que les recruteurs eux-mêmes, ce qui interroge sur la rigueur des démarches.

A. P. : Recourir à des formulations réellement adaptées au poste est indispensable - c'est obligatoire en Grande-Bretagne. Les critères figurant sur une annonce doivent être justifiés, sauf à être discriminants et contre-performants. Le mouton à cinq pattes n'existe pas, et qui peut le plus ne peut pas forcément le moins. Doit-on connaître toute la programmation informatique pour n'utiliser finalement que Word ? Exiger d'un candidat plus qu'il n'en faudrait revient à se priver de celui qui peut s'avérer talentueux pour le poste. Je crois essentiel, aussi, de souligner la nécessité de travailler sur les procédures d'intégration dans l'entreprise : préparation au sein de la structure et accompagnement du nouveau venu pour éviter le rejet de personnes perçues comme «différentes».

Mais, au-delà même du recrutement, l'urgence semble être de s'attaquer à la logique du «plancher collant» qui entrave largement la progression des minorités au sein de l'entreprise. Cette logique très démobilisatrice pour les intéressés revient, une fois encore, à se priver de l'enrichissement de profils différents à tous les niveaux de l'entreprise et de la société.

PARCOURS

Alexandra Palt, juriste, est experte sur les questions de gestion de la diversité et de l'innovation. Elle a été, jusqu'en 2008, directrice de la promotion à la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité). Elle vient de créer une agence de conseil en innovation sociétale.

Kader Makhlouf travaille sur le thème de la diversité et de la gestion religieuse en France au sein, notamment, de l'association Dynamic Diversité.

• Ils ont écrit ensemble un guide intitulé Le potentiel : pour une action positive dans le recrutement (novembre 2008), téléchargeable gratuitement sur < www.equitylab.fr >.

LECTURES

Schizophrénies françaises, Ezra Suleiman, Grasset, 2008.

La condition noire, Pap Ndiaye, Calmann-Lévy, 2008.