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L'actionnariat salarié à l'abri de la crise ?

Enquête | publié le : 27.01.2009 |

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L'actionnariat salarié à l'abri de la crise ?

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Si la crise financière a conduit à reporter certaines augmentations de capital réservées, bon nombre d'entreprises qui en ont fait un élément de leur management n'ont pas hésité à lancer leur plan d'actionnariat salarié en 2008. Souvent avec succès. La communication déployée porte alors sur les espérances de gains à long terme, les garanties proposées aux salariés souscripteurs, et la santé réelle de l'entreprise, déconnectée de sa valeur actuelle sur les marchés.

Axa, Casino, Essilor, Société générale, Steria, Vallourec, Vinci... la crise financière mondiale a beau mettre à rude épreuve les nerfs des actionnaires, toutes ces sociétés ont pourtant ouvert leur capital à leurs salariés en 2008. Déconfiture des marchés ou pas, elles ont choisi de proposer des actions à leurs collaborateurs, y compris, pour certaines d'entre elles, après la faillite de Lehman Brothers aux Etats-Unis, le 15 septembre dernier, qui avait ajouté la panique sur les marchés à la dégradation continue de la crise des subprimes depuis la fin 2007.

Ainsi, le Shareplan 2008 d'Axa - dont près de 6 % du capital est détenu par les salariés - autorisé en AG le 22 avril, a-t-il conduit à déterminer une période de fixation du cours de référence de l'action allant du 18 août au 12 septembre, soit trois jours avant l'annonce de la disparition du géant bancaire américain, et une période de souscription qui a continué quelques semaines, du 24 septembre au 9 octobre. Et pourtant, 36 000 collaborateurs dans 37 pays ont souscrit, soit 30 % de l'effectif concerné, un score tout à fait digne de périodes boursières plus calmes, selon les experts.

Plan maintenu

L'actionnariat salarié est-il donc insensible à la crise ? « Les entreprises qui ont déjà une culture ancrée de l'actionnariat salarié et qui réalisent, notamment, des opérations tous les ans ont généralement choisi de maintenir un plan, explique Gérard Silve, responsable de l'actionnariat salarié chez Towers Perrin. D'autres ont préféré le décaler dans le temps, de l'automne dernier au premier semestre 2009, par exemple, pour échapper aux périodes de très forte volatilité des cours. »

Selon une enquête de la société de conseil et d'actuaires Adding, réalisée en novembre dernier auprès de 46 sociétés cotées (CAC, SBF et Next), 16 avaient prévu des plans larges en 2009, 23, au moins un plan restreint, et seules 4 avaient décidé de ne procéder à aucun programme.

Abondement

Pour les entreprises qui en ont fait une partie de leur culture managériale, l'ouverture du capital aux salariés reste donc à l'ordre du jour. Le principe consiste à proposer aux collaborateurs d'acquérir des actions maison, en général sous forme de parts d'un FCPE logé dans le plan d'épargne de l'entreprise (PEE), et à des conditions préférentielles - notamment avec une décote allant jusqu'à 20 %, un abondement, voire un effet de levier permettant de faire financer l'acquisition d'actions par un tiers (lire ci-après). Ces avantages, parfois associés à une garantie du capital investi, ont de quoi rassurer les plus timides, même sur un CAC 40 qui a perdu plus de 40 % de sa valeur en un an.

Des actionnaires salariés sereins

« Chez Safran, la majorité des actionnaires salariés sont demandeurs d'un plan, explique même Michèle Monavon, présidente d'Actio's, l'association des actionnaires salariés du groupe Safran, et de la Fédération française des actionnaires salariés (FAS). Ils sont sereins car ils considèrent leur investissement sur le long terme et souhaitent bénéficier des cours bas. Dans cinq ans (durée de blocage minimale des actions, NDLR), la crise sera passée, l'opération ne peut être que gagnante. » Dans cette entreprise, où le fonds actions du PEE est abondé, le montant des versements volontaires des salariés a augmenté de 65 % entre octobre 2007 et octobre 2008, assure-t-elle. Les objectifs assignés à l'actionnariat salarié restent les mêmes quelle que soit la conjoncture : mieux associer les salariés au fonctionnement et aux résultats de leur entreprise, et, à partir d'un certain niveau de détention du capital, s'assurer d'un noyau d'actionnariat stable et susceptible de résister aux OPA.

C'est ce que vise le patron d'Essilor, Xavier Fontanet, qui souhaite faire progresser l'actionnariat salarié de son groupe, de 8 % du capital et 14 % des droits de vote actuellement, à, respectivement, 10 % et 20 %. Dans cette entreprise, l'association des salariés actionnaires Valoptec regroupe plus de 3 800 membres et représente 6,5 % du capital. « Valoptec dispose de 3 membres sur 15 au conseil d'administration d'Essilor », signale Aïcha Mokdahi, sa présidente. Cette association, créée en 1972, n'est ouverte qu'aux cadres et à la maîtrise, et la moitié du capital qu'elle représente est détenue par des retraités. Une particularité due à l'histoire de l'entreprise, née du regroupement d'une partie du groupe Lissac avec Essel, une coopérative alors détenue à 100 % par ses salariés. « L'actionnariat salarié reste intéressant pour tous, reconnaît pourtant Christine Brisson, déléguée CGT d'Essilor. Etant donné l'abondement proposé et la décote, beaucoup de salariés du premier collège y sont très favorables. » « Nous n'obtiendrions pas l'équivalent en augmentations de salaires », complète un représentant CFE-CGC ; 30 % des salariés ont investi dans l'entreprise ; en France, ils sont plus de 90 %.

Opération délicate

La décision de réaliser une opération d'actionnariat salarié en période de baisse reste tout de même délicate. Les reculs de l'action conduisent généralement les salariés à s'interroger sur la valeur boursière de leur groupe et sur sa solidité, parfois jusqu'à faire douter de la communication déployée par la direction. Par ailleurs, l'établissement des documents nécessaires n'est pas simple : réalisés plusieurs mois à l'avance, ceux-ci doivent pourtant mentionner des exemples précis, avec le risque qu'ils se révèlent faux et portent atteinte à la crédibilité de la direction.

Mais, à l'inverse, annuler ou reporter une opération peut faire peser un risque d'image. C'est pourtant ce qu'a choisi le groupe Rexel, en reportant sine die son plan Opportunity 2008, le 11 décembre dernier, le jour même où la valeur de l'action devait être définie. « Nous souhaitions associer au capital de l'entreprise et aux résultats futurs, indique la direction, mais la volatilité du cours était telle que le directoire a décidé la suspension », explique la direction de Rexel.

Démotivation

« Aujourd'hui, la démotivation est très forte, selon Laurent Laborde, délégué CGT du groupe. Avec la décote et un abondement de 50 % plafonné à 300 euros, les conditions étaient séduisantes pour les salariés. On nous avait présenté l'opération comme la possibilité de les intéresser aux résultats de l'entreprise, il fallait aller jusqu'au bout. » Et de mentionner, du coup, la rémunération du Pdg Jean-Charles Pauze, qui fait désormais partie, selon Proxinvest, des patrons les mieux rémunérés de France, après avoir bénéficié, en 2007, d'un plan d'actions gratuites réservées aux salariés clés. Deux jours après la suspension du plan, le groupe annonçait, en outre, une restructuration en France comportant 200 suppressions de poste et 200 mobilités.

Enfin, et malgré toutes les garanties déployées, le risque sur les marchés existe : il y a peu de chances que les salariés de TF1, qui avaient tant bénéficié de la progression de l'action avant les années 2000, sortent gagnants des plans déployés par la suite : le titre TF1, qui valait plus de 90 euros en 2000, est aujourd'hui coté moins de 10 euros. Chez France Télécom, l'actionnariat salarié a même singulièrement tendu les relations sociales avec des syndicats reprochant à la direction d'avoir « floué » les collaborateurs. L'action valait plus de 200 euros en 2000, avant de plonger progressivement jusqu'à une vingtaine d'euros aujourd'hui.

L'essentiel

1 Beaucoup d'entreprises, fidèles au plan d'actionnariat salarié, ont réalisé une opération en 2008. Des non cotées, moins impactées par la chute des marchés, ont aussi cédé des parts à leurs salariés.

2 Les cours de référence très bas laissent espérer un gain à cinq ans. La garantie du capital et un effet de levier expliquent aussi les taux élevés de souscription.

3 Renforcer le sentiment d'appartenance, la motivation, et créer un noyau stable d'actionnaires salariés : crise ou non, les objectifs n'ont pas changé.

Acquisition et détention des actions par les salariés

L'épargne salariale

Mise en place dans un PEE ou un PEG, selon deux modalités.

> Investissement des actions de l'entreprise sur un compte titre individuel d'épargne salariale. Dans ce cas de détention directe, le salarié touche des dividendes et peut voter en assemblée générale d'actionnaires.

> Souscription en parts d'un fonds commun de placement d'entreprise (FCPE) constitué d'actions de l'entreprise. Dans ce cas, c'est ce fonds, qui fait partie des véhicules d'épargne proposés par le PEE, qui gère collectivement les actions et touche les dividendes. Un tel fonds, dit «dédié», est souvent mis en oeuvre dans les entreprises qui souhaitent pratiquer une distribution régulière d'actions aux salariés.

> Mode d'acquisition

L'épargne provient de sommes versées volontairement par le salarié, de celles versées au titre de la participation, ou de l'intéressement. Le salarié ne peut y investir plus de 25 % de sa rémunération annuelle brute. Il peut bénéficier d'un abondement de l'entreprise.

Le plan d' actionnariat salarié

> Augmentation de capital

Le plan d'actionnariat salarié est mis en oeuvre par une augmentation de capital réservée aux salariés ou par une cession de titres de la direction. Les salariés qui souscrivent peuvent bénéficier d'une décote de 20 % (blocage pendant cinq ans dans le PEE après acquisition) et d'un abondement.

> Effet de levier

Des opérations d'actionnariat salarié avec effet de levier sont fréquentes. Dans ce cas, le financement des titres est assuré par l'apport personnel des salariés (et éventuellement un abondement de l'entreprise) et par un financement complémentaire fourni par un partenaire financier de l'opération qui assure le bénéfice des actions, sans les droits de vote. Une opération type permet un financement de 9 actions pour une acquise par le salarié (mais l'ensemble doit rester sous le plafond des 25 % de la rémunération). Une garantie du capital engagé est souvent proposée désormais, ainsi que, de plus en plus, une garantie de rendement, souvent proche de celui du Livret A. La banque se rémunère sur le risque à cinq ans.

Les actions gratuites

> Dispositif

Dispositif permis par la loi de finances pour 2005 et encouragé sous certaines conditions par la loi sur la participation et l' actionnariat salarié de décembre 2006. Le montant par salarié est limité à 7,5 % du plafond annuel de la Sécurité sociale.

> Attribution

Attribution définitive au terme d'une durée fixée en assemblée générale de l'entreprise, qui ne peut être inférieure à deux ans. Après attribution, les actions doivent encore être conservées au moins deux ans. Dans le cadre d'une augmentation de capital, l'attribution d'actions gratuites peut aussi se faire en substitution à la décote ou sous forme d'abondement (x actions gratuites pour y actions acquises).