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« Les émotions jouent un rôle important dans le travail »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 20.01.2009 |

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« Les émotions jouent un rôle important dans le travail »

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Les émotions influencent nos décisions, nos comportements et nos relations au travail. Les entreprises peuvent accompagner l'expression de ces émotions, négatives ou positives, et valoriser les compétences émotionnelles de leurs salariés.

E & C : Pourquoi vous êtes-vous intéressée à la place des émotions dans le travail ?

Tanja Wranik : Dans les relations sociales, les émotions sont fréquentes. Elles ne sont pas forcément négatives : en ressentant de la fierté, de la frustration ou de la colère, une personne signifie que son travail lui tient à coeur. En revanche, l'absence d'émotion serait inquiétante. Par ailleurs, les difficultés de communication interpersonnelles relèvent davantage du niveau des émotions que des mots. Mais il s'agit d'avoir des règles de comportement et de savoir en gérer les excès. Par exemple, plutôt que de garder pour soi la colère que l'on peut ressentir envers un collègue, mieux vaut en parler avec lui et tenter de résoudre le problème. Les émotions peuvent être constructives ou destructives.

E & C : Comment les émotions et les affects façonnent-ils la prise de décision ?

T. W. : Croire qu'il existe des décisions rationnelles et d'autres, émotionnelles, est totalement erroné. Pour un DRH, par exemple, dans toutes les démarches managériales qu'il effectue - recrutement, promotion, évaluation - et tout au long des processus décisionnels, ses émotions, qui n'ont parfois rien à voir avec les décisions à prendre, influencent ses choix, selon ce qu'il ressent pour la personne, ses préférences, son humeur... En soi, le rôle des émotions n'est pas forcément négatif, mais il faut savoir bien les utiliser. Elles peuvent aussi nous signaler des risques ou des dangers. Par exemple, mes recherches ont montré que les investisseurs n'écoutaient pas toujours leurs émotions négatives face aux pertes financières, et qu'ils continuaient d'investir même quand le marché était clairement défavorable.

E & C : Faut-il mesurer et valoriser les compétences émotionnelles ?

T. W. : Les compétences émotionnelles sont très complexes et variées. L'important est de parvenir à définir celles qui sont les plus utiles pour chaque type de travail. Par exemple, pour un salarié en relation avec les clients, certaines compétences émotionnelles sont nécessaires : savoir gérer ses propres émotions et celles des autres, faire en sorte qu'un client mécontent se sente écouté... Il est possible de tester ces compétences spécifiques lors de mises en situation pour un recrutement ou de les développer grâce à des formations ciblées.

Les entreprises de services sont de plus en plus sensibles à ce type de compétences, mais également les sociétés d'ingénierie. Elles se rendent compte, en effet, que, pour bien valoriser les compétences techniques de leurs ingénieurs, il faut développer leur capacité à travailler ensemble et à avoir de bonnes relations interprofessionnelles.

E & C : La façon de travailler des femmes est-elle plus «émotionnelle» comme certains le prétendent ?

T. W. : C'est un mythe de penser que les émotions des hommes et des femmes sont différentes. La différence se situe dans les normes et les règles. Alors que l'on va permettre à un homme d'exprimer des émotions qui montrent sa puissance, voire de l'agressivité, chez une femme, cela sera beaucoup moins bien accepté et mal perçu. Or, si on veut avancer, il faut se montrer assertif. Cela explique, en partie, le plafond de verre auquel se heurtent les femmes.

Ces normes ont également des effets pervers pour les hommes. Leur agressivité peut cacher de l'anxiété, de la peur, mais cela ne se dit pas. Lors des suicides de salariés chez Renault, j'ai été impressionnée de voir que leur femme n'était pas au courant de leur mal-être. Ces hommes n'ont pas su ou pu appeler à l'aide.

Autre exemple aberrant : dans une entreprise de la haute finance, majoritairement masculine et où les marchés sont très complexes, la collaboration entre salariés aurait dû être importante. Or, elle peinait à se mettre en place car aucun ne voulait admettre qu'il avait besoin de son voisin ou qu'il lui manquait une information.

Les DRH et l'ensemble du management doivent essayer de créer un climat qui permette d'aller à l'encontre de ces stéréotypes en favorisant des discussions plus ouvertes.

E & C : Comment les politiques RH peuvent-elles intégrer le rôle des émotions ?

T. W. : Les émotions sont aussi provoquées par les pratiques RH. Par exemple, on crée de l'insécurité par manque d'information. Les pratiques RH à développer sont donc celles qui créent des conditions de sécurité. Mais ce n'est pas tant l'information en elle-même qui crée de l'insécurité, de la colère, de la frustration ou un sentiment d'injustice, que les conditions dans lesquelles elle est divulguée. Si on annonce une réduction d'effectifs, il faut communiquer de façon claire, honnête, et ne pas laisser planer l'incertitude.

Si on explique les critères d'une promotion ou d'une augmentation, si on présente les solutions envisagées pour accompagner les personnes licenciées, cela peut être mieux accepté.

E & C : Durant cette période de crise, comment les entreprises peuvent-elles gérer au mieux les peurs de leurs salariés ?

T. W. : Le fait de parler sans cesse de la crise crée l'insécurité et augmente la crise. Pour retrouver des conditions de sécurité, il est important de prendre le temps de s'arrêter et d'ouvrir un espace de dialogue. Il faut laisser les salariés exprimer leurs peurs, fondées ou non, et leur expliquer ce qui se passera si l'entreprise est touchée - les projets ou les postes qui risquent d'être concernés et ceux qui ne seront pas affectés... Si les salariés sont conscients des risques, cela réduira leur sentiment d'insécurité.

PARCOURS

• Tanja Wranik est psychologue du travail, consultante, maître de conférences et membre du pôle de recherche en sciences affectives de l'université de Genève. Elle y a obtenu son doctorat sur le stress et les émotions au travail.

• Elle organise des séminaires sur les émotions au travail, la gestion de la colère, l'intelligence émotionnelle, les conflits, la communication.

LECTURES

The Emotionally Intelligent Manager : how to develop and use the four key emotional skills of leadership, David R. Caruso et Peter Salovey, Jossey Bass, 2004.

Comportement organisationnel, sous la dir. de Karim Mignonac, de Boeck, 2005.

Handbook of Emotion Regulation, James.J. Gross, The Guilford Press, 2006.