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Débuts de chantier pour les fins de carrière

Enquête | publié le : 02.12.2008 |

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Débuts de chantier pour les fins de carrière

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Les entreprises ont désormais un an pour négocier et conclure sur l'emploi des seniors, sous peine de sanction. Pas de quoi provoquer la «révolution culturelle» attendue pour améliorer un taux d'emploi des seniors de 38 % en France ? Certaines sociétés commencent pourtant à préparer l'allongement des carrières.

Le 24 novembre dernier, au conseil général du Puy-en-Velay, non loin de l'usine Michelin, Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat à l'Emploi, ouvrait une conférence européenne sur l'emploi des seniors, dans le cadre de la présidence française. Impossible de se sentir dans la peau du bon élève à cette occasion. Le taux d'emploi des 55-64 ans s'établissait à 38,3 % en France en 2006. Bien loin de l'objectif communautaire de 50 % en 2010. Sven Otto Littorin, le ministre suédois de l'emploi, participait lui aussi à cet événement. Dans son pays, 70 % des 55-64 ans ont un emploi.

En France, la «révolution culturelle», un temps évoquée par Gérard Larcher, ex-ministre du Travail, auteur d'un premier plan peu efficace pour l'emploi des seniors, en 2005, n'a pas encore eu lieu. Malgré les resserrements successifs, puis la taxation des dispositifs de préretraite, les temps difficiles appellent encore bien souvent dans les entreprises, comme par un «réflexe pavlovien» issu des années 1980, la mise en oeuvre de mesures d'âge, autrefois favorisées par des financements publics et bénéficiant d'un consensus social.

Départs anticipés

LCL poursuit, par exemple, le déploiement d'un plan de départs anticipés pour les salariés de 57 ans et plus. Renault, dans son plan de départs volontaires, dévoilé en octobre, a glissé une possibilité de rachat de 12 trimestres de cotisations retraite pour les salariés qui souhaitent partir précocement...

Derniers feux d'une époque bientôt révolue ? Le gouvernement a, cette fois, décidé de contraindre les entreprises et d'agiter des sanctions. Dans le train de mesures votées avec la loi sur le financement de la Sécurité sociale (LFSS), l'obligation faite aux branches et aux entreprises de négocier sur l'emploi des seniors avant 2010 et de s'assigner des objectifs chiffrés, sous peine d'une amende de 1 % de la masse salariale, en est l'une des dispositions phares.

Mesure équilibrée

La mesure qui pèse sur les entreprises est d'autant plus appréciée des partenaires sociaux que, jusqu'à présent, les contraintes liées à la prolongation de la vie professionnelle ont surtout concerné les salariés, que ce soit l'allongement de la durée de cotisation nécessaire, au-delà de quarante ans, pour obtenir une retraite complète, objet de la loi Fillon de 2003, ou la suppression progressive de la dispense de recherche d'emploi, à partir de 2009. En revanche, la suppression de la mise à la retraite d'office (par l'employeur) à partir de 65 ans - à laquelle les sénateurs ont ajouté, en bout de course législative, la butée des 70 ans - indisposera certainement davantage les employeurs que les salariés.

Responsabilisation des entreprises

Ce nouvel arsenal suffira-t-il à faire évoluer les comportements ? Pas sûr, selon les syndicats, qui se sont sentis peu écoutés lors de l'élaboration du plan. « Nous avons plaidé pour une véritable responsabilisation des entreprises, indique Mijo Isabey, pour la CGT. Mais les contraintes ne sont pas suffisantes. Il y aura très peu de pénalités. Des accords, certes, mais s'ils ne sont pas appliqués, aucune sanction n'est prévue. En outre, de simples plans d'action présentés aux IRP sont possibles. »

Laurence Laigo, pour la CFDT, considérait aussi, en découvrant la copie du gouvernement, que cette obligation « ne règle pas les problèmes des individus, car la population des seniors n'est pas homogène ».

Pour l'avocate Emmanuelle Rivez-Domont (Jones Day), la nouvelle réglementation sera un déclencheur de la réflexion dans un certain nombre d'entreprises. « Il ne s'agit pas seulement d'une obligation de négocier, mais de conclure, précise-t-elle. Néanmoins, le dispositif ne propose pas de contrôle de l'application et du respect des objectifs. »

Bonnes pratiques

Empruntant volontiers à une tradition anglo-saxonne, Xavier Bertrand et Laurent Wauquiez ont ouvert un autre front : le recensement des bonnes pratiques. Car des entreprises pionnières ont déjà mis en oeuvre des dispositifs favorisant le maintien dans l'emploi des seniors. Le gouvernement a lancé, le 4 novembre, une opération destinée à diffuser, à compter de début 2009, une batterie de «bonnes pratiques» des entreprises pour l'emploi des seniors, inspirée d'audits effectués par l'agence de notation sociale Vigeo auprès de dix entreprises volontaires. Adecco, Areva, Axa, Cofidis, EADS, L'Oréal, La Poste, O2, Siemens, Vinci font partie ce cette «équipe première» du ministère.

« Nous avions déjà fait auditer nos pratiques de respect de la diversité, dont celle des âges, par Vigeo, explique Erik Leleu, DRH de Vinci. Le respect de l'expérience, et des anciens, est déterminant dans le contexte d'allongement de la vie active. Nous voulons assurer la transmission des compétences, notamment à travers le tutorat et les centres de formation interne. Et, dans nos métiers, ces pratiques permettent aussi d'alléger la pénibilité des postes pour les salariés expérimentés. »

Auditeurs internes

Le manifeste sur l'égalité des chances chez Vinci, publié dans la presse en 2006, s'accompagnait d'un engagement à auditer les résultats dans ce domaine. Dès l'année prochaine, l'entreprise aura d'ailleurs formé ses propres auditeurs internes. En attendant, le 21 novembre dernier, en comité de pilotage diversité, regroupant notamment les quatre DRH de pôle, ainsi que les secrétaires du comité de groupe et du comité d'entreprise européen, Vigeo a présenté les résultats des audits 2008, menés à l'échelle européenne. Parmi les 40 filiales importantes auditées, en particulier sur la gestion des âges et les seniors, les points forts recensés permettront d'établir un guide des bonnes pratiques pour tout le groupe.

Areva, autre entreprise du groupe pilote ministériel, met, elle, en oeuvre un ambitieux dispositif de gestion de la fin de carrière, avec des entretiens de seconde partie de carrière, outils certes peu innovants, mais dont la caractéristique sera d'être menés par 65 référents carrière. Ils sont formés en interne et constitués en communauté utilisant des outils collaboratifs, pour couvrir tous les territoires et les métiers de ce géant de l'énergie de 71 000 salariés.

Autre rendez-vous créé par Areva : un entretien d'expérience, deux à trois ans avant le terme potentiel de la carrière d'un senior. Objectif : préparer la transmission des compétences, indispensable dans cette société qui recrute un millier de personnes chaque mois et compte un tiers de salariés de plus de 50 ans (lire aussi p. 25).

Carrières complètes

Quant à Michelin, qui accueillait la conférence européenne présidée par Laurent Wauquiez, l'entreprise n'a, bien sûr, pas été choisie au hasard. Le géant du pneu a la réputation de permettre des carrières complètes en son sein et compte, désormais, au niveau européen, un tiers de salariés de plus de 50 ans (35 % en France). L'enjeu de l'emploi seniors est donc à la taille de ce groupe : d'ici à 2012, 20 000 baby-boomers l'auront quitté, et 13 000 nouvelles recrues l'auront rejoint.

« Ces départs de seniors nous incitent à favoriser le transfert des compétences, indique Rémi de Verdilhac, responsable du personnel Europe. C'est pourquoi nous mettons en oeuvre un vaste programme de tutorat et de parrainage qui permet les transmissions intergénérationnelles hors cadre hiérarchique. » En France, près de 300 parrains (usine) et tuteurs (bureaux d'études), choisis parmi des professionnels reconnus d'environ 55 ans, ont déjà été formés chez Michelin.

Autre cheval de bataille traditionnel de cette société qui s'enorgueillit d'un turn-over ne dépassant pas 4 % au niveau européen : l'organisation des carrière, avec un dispositif déjà ancien de gestionnaires de carrière, par filières, chargés spécifiquement d'accompagner l'évolution professionnelle de quelque 500 salariés chacun, de l'opérateur au cadre.

Pénibilité

Dans ce secteur industriel, la pénibilité est aussi un enjeu structurant pour le maintien dans l'emploi. La société a fortement investi, depuis plus de cinq ans, dans la réduction de la pénibilité des postes et, à l'échelle européenne, une trentaine d'ergonomes analysent leur criticité. Loin de ne concerner que les seniors, ces politiques assurent aussi l'attractivité de l'entreprise auprès des jeunes et des femmes, selon Rémi de Verdilhac.

La direction s'apprête à discuter d'un accord GPEC avec un volet seniors, qui reprend les points obligatoires évoqués par le gouvernement. « Sur l'ergonomie, la flexibilité et l'aménagement des postes, les carrières, nous sommes prêts, assure le responsable européen des RH. Il reste à choisir et à structurer les priorités que nous souhaitons affirmer dans cet accord. »

D'autres entreprises prennent, en ce moment, la mesure de l'enjeu, selon Nicole Raoult, directrice de la société de conseil Maturescence et qui a dirigé le projet Age et Travail de l'Association nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact). L'ouvrage collectif qu'elle a encadré sur ce sujet, à paraître dans quelques semaines aux éditions de l'Anact, devrait d'ailleurs s'intituler Les petits pas des grandes entreprises.

Début de négociations

« Nous sommes sollicités actuellement par de nombreuses entreprises qui souhaitent entamer la négociation sur la gestion des âges, précise-t-elle. Les approches sont variées et ne se réduisent pas à la négociation de la GPEC avec un volet seniors. Certaines entreprises négocient sur la diversité, d'autres rapprochent le thème des salariés âgés de celui de la santé/sécurité - établissant des cartographies des emplois et des référentiels métiers articulés avec la gestion des risques -, alors que la négociation interprofessionnelle sur la pénibilité a échoué. »

Il est peu probable que quelques initiatives prometteuses de grandes entreprises sortent le pays du «zéro pointé» sur l'emploi des seniors d'ici à 2010. Malgré tout, une timide évolution culturelle est sans doute déjà à l'oeuvre, au moins pour le maintien dans l'emploi des seniors (*). Reste à savoir si le brutal ralentissement de l'économie lui permettra de se développer.

(*) Lire aussi Entreprise & Carrières n°924, p.8 à 10, sur les «Trophées de la Diversité 2008», qui portaient sur la gestion des âges, et dont notre journal était partenaire.

L'essentiel

1 38,3 % des 55-64 ans ont un emploi : la France, plombée par l'usage des préretraites pendant vingt ans, peine à conserver ses salariés âgés au travail.

2 Fin des préretraites, allongement de la durée d'activité, départs des baby-boomers... : les entreprises devront rapidement réussir à organiser le maintien dans l'emploi de leurs seniors.

3 La loi va les obliger à négocier. Mais certains groupes ont pris les devants, en particulier pour mieux assurer la transmission des compétences.

Retraités consultants : comment les grands groupes fidélisent leurs anciens salariés

Gérard Delanoix a 65 ans. Il coule une retraite heureuse... en travaillant d'arrache-pied pour son ancien employeur. « J'ai quitté le groupe Ineo cette année, le jour de la fête du Travail, s'amuse ce consultant aux tempes blanches. Dès le lendemain, je reprenais du service. J'ai été très actif pendant longtemps, j'ai besoin de le rester. »

Ils ne sont pas rares ces retraités qui choisissent de travailler. Retrouver le salariat n'intéressait pourtant que 120 000 personnes en 2005 (1,5 % des retraités), sans doute en partie à cause des limitations du cumul emploi-retraite (six mois de carence avant la reprise d'un poste chez le même employeur, plafond de revenus équivalent à l'ancien ou à 1,6 Smic, cotisations retraites n'apportant plus de droits).

Missions de conseil

Même si ces contraintes seront levées au 1er janvier prochain, bon nombre d'anciens cadres et experts ont déjà contourné l'obstacle en choisissant de devenir consultant ou de créer une entreprise unipersonnelle (pas de limitations dans ce cas). Ainsi, Gérard Delanoix, ancien patron de VD, spécialisée dans l'électricité, société du groupe Ineo, filiale de GDF-Suez, mène-t-il en ce moment une mission de conseil sur l'amélioration des process et des conditions de travail au sein d'un chantier de son ancienne entreprise.

Des sociétés spécialisées dans la mise en contact entre anciens salariés experts et entreprises font florès. Gérard Delanoix a ainsi été conseillé par APS, qui a créé un contrat de consultant. Elle évalue le montant de ses prestations par rapport à son ancien salaire et gère les déclarations de charges fiscales et sociales.

La solution, proposée notamment par Experconnect, la plus importante de ces sociétés, a séduit bon nombre de retraités. Fait nouveau, ces intermédiaires sont de plus en plus souvent mandatés par l'ancien employeur lui-même. Valeo a, ainsi, systématisé ce principe du recours aux anciens salariés avec l'aide d'Experconnect, qui vient aussi de signer un contrat avec Areva (lire p. 25).

Experts retraités

Quant à Gérard Delanoix, il fait partie du Club Senior créé par Ineo pour constituer un réseau d'experts retraités, avec l'aide technique d'APS. « Une dizaine de missions sont lancées depuis septembre, indique Stéphane Randretsa, DRH d'Ineo. Cette formule peut permettre de compléter un transfert de savoir-faire, d'accompagner un projet à l'export ou l'exécution d'études techniques... »

Le modèle est séduisant pour d'anciens employeurs qui n'ont qu'à régler une prestation de conseil, tout comme pour les retraités concernés : selon Experconnect, sur des postes de haut niveau, le taux de rémunération conservé serait de 35 % avec le cumul emploi salarié-retraite, moins favorable fiscalement et socialement ; de 47 % en entreprise individuelle et de 55 % en EURL ou SARL.

G. L. N.

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