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« Le rapport travail-maladie doit être repensé »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 02.12.2008 |

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« Le rapport travail-maladie doit être repensé »

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Selon les études statistiques, de plus en plus de salariés sont ou seront concernés par la maladie. Continuer de travailler tout en ayant une santé précaire est un phénomène que l'entreprise doit commencer à prendre en compte.

E & C : Dans quelle mesure la maladie, d'abord affaire privée, interpelle-t-elle aussi le milieu professionnel ?

Sylvie Célérier : Georges Canguilhem, médecin et philosophe, définissait la maladie comme un changement «d'allure de vie» au triple sens que nous donne notre langue : vitesse, rythme et apparence. Il se trouve que ces trois termes sont fortement valorisés dans le monde du travail, de telle sorte qu'une santé précaire signifie souvent l'exclusion de la sphère professionnelle. On constate, en effet, un véritable déni de cette dernière par rapport au champ de la maladie. Si la menace directe d'un licenciement en cas de maladie est aujourd'hui difficile et coûteuse pour l'employeur, le reclassement en cas d'inaptitude peut se traduire par toute une série de pertes pour le salarié - statut, activité ou salaire - et peut aboutir au licenciement en cas d'absence de poste adapté.

La maladie de longue durée fait donc peser un risque lourd pour l'emploi ou la carrière et beaucoup continuent de travailler sans faire état de leurs difficultés. Par ailleurs, des arrêts maladie à répétition, qui modifient «l'allure de vie» et de travail, tendent souvent à jeter le discrédit sur le salarié, suspecté de vouloir se soustraire à sa tâche. C'est l'aspect moral du travail. Les catégories juridiques des maladies (arrêt, invalidité, inaptitude...) montrent à quel point maladie et travail sont intimement liés dans nos sociétés. Le droit règle, en effet, précisément les conditions dans lesquelles une personne peut s'extraire de l'obligation de prendre une part active à la production.

E & C : Pourquoi y a-t-il urgence à penser autrement les rapports travail-maladie ?

S. C. : Aucun chiffre ne permet de dire quel est le nombre exact de travailleurs assumant des problèmes de santé. Cependant, l'allongement de la durée de vie au travail et le dépistage de plus en plus précoce des maladies de longue durée laissent envisager que cette part de salariés malades ne cessera d'augmenter dans les années à venir. Si l'on ouvre la réflexion aux troubles de santé déclarés par les salariés - par rapport à ceux constatés par le médecin et donnant lieu à un arrêt -, c'est environ la moitié de ceux de plus de 50 ans qui se plaignent de fatigue, de douleurs, de troubles du sommeil, de nervosité ou de limitation gestuelle. L'ampleur du phénomène est confirmée par deux économistes de l'Insee, Tessier et Wolff, qui estimaient à 16 % la part des actifs en emploi jugeant leur santé moyenne ou mauvaise (enquête Emploi du temps de 1998-1999).

Vivre et travailler avec la maladie devient, pour le monde de l'entreprise, un phénomène qu'il faudra bien un jour prendre en compte pour favoriser le maintien dans l'emploi des personnes de santé précaire. Canguilhem définissait encore la maladie comme « une réduction de la marge de tolérance aux infidélités du milieu », c'està-dire une plus faible adaptation aux aléas du travail. Les caractéristiques du «milieu», et notamment du milieu professionnel, et la nature de ses «infidélités» jouent donc autant que la pathologie dans la définition sociale de la maladie. Raisonner, comme nous le faisons, en termes d'arrêts de travail ne résout rien. Le retour au travail ne marque pas plus la fin de la maladie que la maladie n'exclut le travail. A charge pour le milieu professionnel de trouver les moyens de s'adapter pour limiter les aléas que le travail fait peser sur le salarié de santé précaire. Plus précisément, un salarié inapte à tenir un certain emploi à certains horaires peut se révéler tout à fait apte à tenir le même emploi ou un autre dans un milieu professionnel différent, grâce, par exemple, à l'aménagement de ses horaires pour les rendre compatibles avec les exigences thérapeutiques.

E & C : Quelles solutions préconisez-vous ?

S. C. : La difficulté ou l'impossibilité de parler de maladie au travail est lourde de conséquences. Changer les choses revient d'abord à briser les tabous et à rompre le silence qui entoure la maladie. A l'ère où le salarié doit toujours s'adapter davantage, il faut peut-être aussi envisager un processus d'adaptation de l'entreprise aux contraintes imposées par la maladie : horaires, flexibilité, aménagement des postes de travail, etc. Pourquoi, également, ne pas faire preuve d'imagination et proposer une aide-ménagère ou administrative pour aider le malade dans le «hors- travail» ?

Par ailleurs, le rapport travail-maladie doit être repensé pour que le salarié puisse avoir son mot à dire, à côté de la parole du médecin et de celle de l'entreprise, sur les modalités de son retour - ou non-retour - à l'emploi. Si un salarié qui travaille coûte moins cher à la collectivité, a contrario, la décision de privilégier le repos et les soins ne doit pas être pénalisante. Pour le bien de nous tous, qui auront peut-être un jour à faire face à la maladie et, en tout cas, au vieillissement, il semble grand temps de sortir des exigences aveugles de productivité. Elles ne sont une solution ni pour le salarié, ni pour l'entreprise, ni pour le corps social.

PARCOURS

• Sylvie Célérier est maître de conférence en sociologie à l'université d'Evry-Val-d'Essonne (Centre Pierre-Naville). Elle est actuellement détachée au Centre d'études de l'emploi (CEE) pour mener un projet de recherche sur les risques professionnels ainsi que sur la situation des salariés malades.

• Elle est l'auteure de nombreux articles portant, notamment, sur les liens entre cancer et travail et sur la lutte contre les discriminations subies par les personnes atteintes du VIH. Elle est l'auteure de Santé précaire au travail : quelques perspectives sociologiques, in Connaissances de l'emploi (CEE) n° 56 (juillet-août 2008).

LECTURES

Georges Canguilhem, Dominique Lecourt, PUF, 2008.

Les mains inutiles, inaptitudes au travail et emploi en Europe, Catherine Omnès et Sophie Bruno, Belin, 2004.