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Une étape de trop ?

Enquête | publié le : 25.11.2008 |

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Une étape de trop ?

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Seulement une affaire sur dix trouve une issue en conciliation. Ce résultat médiocre amène de nombreux praticiens à envisager de réformer cette étape à défaut de la supprimer.

La conciliation est le principe fondateur des prud'hommes. A l'origine, les conseils ont été mis en place pour permettre aux parties de se réunir et de rapprocher leurs points de vue. Pendant longtemps, la conciliation a été le principal moyen de résolution des conflits. Aujourd'hui, 10 % seulement des contentieux se règlent lors de cette première rencontre, soit 19 000 affaires en 2006 sur 201 000, une proportion stable depuis de nombreuses années.

« Avec le temps, les gens ont pris l'habitude de jouer le tout pour le tout », constate Jean-Louis Jamet, vice-président de la CGPME, conseiller prud'homal depuis vingt-cinq ans à Paris. Un avis partagé par Marc Desgorces-Roumilhac, DRH du Groupe Marie Claire, également conseiller prud'homal : « En conciliation, je vois trop souvent les parties simplement là pour remplir une formalité et réserver une date d'audience de jugement. C'est une faute grave que de considérer les prud'hommes comme un lieu où on livre une bataille et non comme un espace de résolution des conflits. »

Mauvais calcul

C'est aussi un mauvais calcul, selon Yves Fromont, du cabinet Fromont, Briens & Associés : « Certains obtiennent moins en jugement que ce qui leur avait été proposé en bureau de conciliation. »

A qui la faute ? L'ANDRH a posé la question, fin 2007, à ses adhérents ayant un mandat de conseiller prud'homal. Sur les 40 qui ont répondu, 60 % estiment que le faible succès de la conciliation vient du manque de motivation des avocats. « L'obstacle majeur a été clairement identifié, ce sont les avocats. Ils n'ont pas intérêt à la résolution de l'affaire dès la phase de conciliation, car leur intervention auprès des parties serait alors très diminuée », écrivent les auteurs de l'enquête. Faux, réagit Isabelle Ayache-Revah, associée du cabinet parisien Raphaël. « Pour transiger, il faut être en mesure d'évaluer le risque encouru. Or, à ce stade, nous ne disposons bien souvent pas d'une idée précise de ce dernier, puisque nous n'avons pas connaissance de l'argumentaire de la partie adverse. »

D'autres explications sont avancées, comme l'absence des parties. « Les avocats expliquent alors qu'ils n'ont pas mandat pour négocier à la place de leur client », décrit Bernard Vincent, délégué national de la CFE-CGC. Enfin, il convient de pointer du doigt l'organisation même des bureaux de conciliation, qui écoutent, en une matinée, jusqu'à dix affaires. Comment, en si peu de temps, les employeurs et les salariés peuvent-ils arriver à un compromis ? Et puis, comme le note Robert Isabella, DRH adjoint du pôle transport de STEF-TFE et conseiller prud'homal : « Il y a des affaires non conciliables car elles tiennent aux principes. Exemple : un salarié licencié pour vol. »

Etape nécessaire

Doit-on, pour autant, supprimer cette étape ? Certainement pas, répondent en choeur les praticiens des conseils des prud'hommes. La conciliation permet une première rencontre entre des gens qui ne se parlent plus depuis des semaines. « La conciliation officielle qui a échoué débouche sur quantité de conciliations off », confirme Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit à l'université de Paris-1 Panthéon-Sorbonne (lire article p. 24).

Certains aménagements peuvent néanmoins être envisagés, comme rendre cette étape optionnelle. « Quand chacune des parties dispose d'un avocat, la conciliation est souvent inutile. Car si les parties avaient voulu s'accorder, elles auraient mandaté leur conseil en ce sens », précise Isabelle Ayache-Revah. Pour Claire Grana, responsable du service juridique et social de la société de services Laser (Cofinoga...) et conseillère prud'homale à Bordeaux (section encadrement), il faudrait faire en sorte que la conciliation n'ait pas lieu trop tôt afin que les esprits aient le temps de s'apaiser : « Il arrive que le salarié n'ait même pas encore quitté l'entreprise. Comment concilier dans ces conditions ? »

Durcir le ton

Pour d'autres, il serait bon de durcir le ton. Déjà, en refusant systématiquement les absences injustifiées des parties et, ensuite, « en rappelant aux demandeurs l'existence d'amendes civiles pour procédure abusive », avance David Jonin, avocat de Gide Loyrette Nouel. Pour Marc Desgorces-Roumilhac « il n'y a pas de solution miracle. L'inefficacité de la conciliation est culturelle. Il faut donc changer les mentalités des parties en rappelant, à grand renfort de communication, les principes fondateurs des prud'hommes ». Les conseillers prud'homaux devant également être mis dans la boucle afin qu'ils forcent un peu le destin et se donnent les moyens de créer, entre les parties, un vrai contact.

C. L.

Pour en savoir plus

Le sort des demandes prud'homales en 2004, Infostat justice n°87, avril 2006, Brigitte Munoz-Perez, Evelyne Serverin.

Négocier à l'ombre du tribunal, Evelyne Serverin, Le droit ouvrier, mai 2008.