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Pourquoi tant d'indifférence ?

Enquête | publié le : 25.11.2008 |

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Pourquoi tant d'indifférence ?

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Les employeurs entretiennent une relation ambiguë avec l'institution prud'homale : ils en ont une bonne image, mais se désintéressent complètement des élections. Celles du 3 décembre devraient être l'occasion de le constater une fois de plus.

Lorsque l'Ifop demande à des dirigeants d'entreprise ce qu'ils pensent des prud'hommes, 75 % déclarent qu'ils en ont une bonne image*. C'est encore le cas pour 61 % d'entre eux, même lorsqu'ils ont eu à faire à l'institution. Et pourtant, ils sont de moins en moins nombreux à s'inscrire sur les listes électorales et à se déplacer pour voter (voir infographie ci-contre).

Les causes de cette désaffection sont multiples. Certaines sont techniques. L'inscription des employeurs n'est pas automatique, contrairement à celle des salariés. Régulièrement, des salariés assimilés employeurs se trouvent inscrits sur les listes de salariés et éprouvent de grandes difficultés à rectifier leur situation. Selon le Medef, 240 000 personnes auraient ainsi été écartées des listes patronales en 2008.

Représentativité patronale

Moins nombreux à s'inscrire, les employeurs sont également moins nombreux à voter. Il faut dire que, jusqu'en 2002, les élections étaient sans enjeu pour les organisations patronales, qui présentaient des listes d'union (Medef, CGPME, UPA, UNAPL, FNSEA). Toutefois, en 2002 et en 2008, les campagnes pour les élections ont été un peu animées par la concurrence des listes des employeurs de l'économie sociale (associations, coopératives, mutuelles, fondations). Ces derniers espèrent que leurs résultats (11,3 % en 2002) leur permettront d'obtenir une représentativité qui leur a été refusée jusqu'à présent.

Mais la principale cause du désintérêt des employeurs pour les élections prud'homales est à chercher ailleurs. « L'engagement des employeurs peut pâtir d'une perception erronée de l'institution prud'homale, que certains voient comme partiale, au désavantage des employeurs », explique Jean-François Merle, président du Conseil supérieur de la prud'homie. Dès lors, à quoi bon se mobiliser ? En axant leur campagne de communication sur la question de l'impartialité des tribunaux de prud'hommes, le gouvernement et le patronat ne se trompent d'ailleurs pas de cibles (lire p. 24).

Cependant, tout réfute cette partialité. Les conseillers employeurs que nous avons interrogés font ainsi valoir qu'ils jugent en droit et, qui plus est, en formation paritaire (lire p. 24). Et s'il y a davantage de décisions défavorables à l'employeur que l'inverse, c'est parce qu'ils appliquent un Code du travail favorable aux salariés, expliquent-ils.

Entente préalable

A l'appui du préjugé de partialité, une statistique est souvent utilisée : sept jugements sur dix sont favorables aux salariés. Cette proportion ne porte, en fait, que sur un peu plus de la moitié des décisions des conseils de prud'hommes, celles où les conseils ont émis un jugement «statuant au principal», c'est-à-dire sur le fond des prétentions du demandeur. Car aussi étrange que cela paraisse, les tribunaux de prud'hommes n'émettent pas de jugement dans presque la moitié des affaires, notamment parce que les parties se sont entendues avant (lire p. 24).

Les jugements favorables aux salariés représentent, en fait, un peu plus d'un tiers de la totalité des décisions des tribunaux. Autrement dit, le tribunal des prud'hommes n'est pas une machine à punir les employeurs, mais un abri à l'ombre duquel les parties négocient, pour paraphraser la chercheuse au CNRS Evelyne Serverin (voir bibliographie p. 29).

Jugements variables

Reste que la justice prud'homale n'est pas exempte de défauts, pénalisant les employeurs comme les salariés. Des observateurs, y compris des conseillers, reprochent à la justice prud'homale de varier selon les endroits. Par ailleurs, « dix mois en moyenne pour rendre un jugement, c'est un peu long », reconnaît Jean-François Merle. Et tous les observateurs regrettent que si peu d'affaires (10 %) se terminent par une conciliation (lire p. 28).

A entendre les conseillers prud'homaux, la faute incombe aux avocats, qui demandent trop souvent un renvoi de l'affaire et n'ont pas d'intérêt à une conciliation. Faux, répondent les intéressés, qui expliquent que la lenteur de la justice prud'homale tient à un manque de règles de procédure. Quant à la conciliation, comment l'avocat peut-il être certain de servir au mieux les intérêts de son client à un stade de l'affaire où il n'a qu'une connaissance imprécise des risques ?

Dès lors, faut-il durcir les procédures, par exemple en obligeant les avocats à plaider ? Ou, au contraire, les assouplir en rendant la conciliation facultative ? A moins qu'il ne faille éduquer les deux parties aux grands principes du droit, afin que « les parties acceptent davantage l'idée qu'il peut y avoir une responsabilité sans faute », comme le préconise Jean-François Merle.

* Sondage réalisé du 22 au 30 avril 2008 auprès de 502 dirigeants d'entreprise.

L'essentiel

1 En trente ans, le taux de participation des employeurs aux élections prud'homales a été pratiquement divisé par deux.

2 En cause : la quasi-absence de concurrence entre organisations patronales, un sentiment que la justice prud'homale est partiale, lente...

3 Les élections du 3 décembre vont-elles confirmer ce désintérêt ?

Les campagnes de communication ciblent aussi les employeurs

Cette année, la campagne gouvernementale pour les élections prud'homales n'a pas oublié les employeurs. « En 2002 [date des précédentes élections prud'homales, NDLR], la communication était tournée vers les salariés. Aujourd'hui, nous essayons de remettre les employeurs dans la boucle », explique Jean-Yves Rincé, vice-président de Publicis Consultants, en charge de la campagne de communication pour le ministère du Travail. Hors achat d'espaces publicitaires, le prestataire dispose d'un budget de 2,5 millions d'euros.

Mais comment faire, sachant qu'en 2002, la participation n'a été que de 26 % chez les employeurs (33 % chez les salariés) ? « Il faut remplacer les prud'hommes au coeur de l'entreprise en changeant le regard des employeurs sur l'institution, explique Jean-Yves Rincé. Car, en 2002, la communication renforçait l'idée que les prud'hommes sont une institution pour les salariés. Notre démarche consiste donc à montrer que les prud'hommes sont une institution juste. » D'où le slogan « Adversaire ou allié ? Les prud'hommes n'ont qu'un seul camp, la neutralité ».

Du côté des organisations patronales, le raisonnement est complètement différent. Lors de la conférence de presse de lancement de la campagne des listes d'«union pour les droits des employeurs», au mois d'octobre, Benoît Roger-Vasselin, qui représentait le Medef, réclamait, ainsi, davantage d'«équité» dans les décisions des juges prud'homaux. Illustré par un dessin d'employeurs en plein tir à la corde - on suppose qu'il y a des salariés en face -, le slogan de la campagne dit : « Pour un véritable équilibre aux prud'hommes, votons plus fort ». Le message est donc clair : pour l'heure, la justice prud'homale n'est pas équitable, c'est en se mobilisant, donc en votant, que les employeurs rétabliront l'équilibre.

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