C'est un trait propre à l'homme moderne que de croire à sa supériorité. C'est notre fameuse croyance au progrès. Passé les années sombres du taylorisme ou du fordisme, où l'organisation de l'usine était calquée sur celle de l'armée, les travailleurs de la fin du XX^e siècle ont voulu croire que la période de la lutte des classes était bien finie. Ils allaient enfin pouvoir donner leur avis et recevoir de leur entreprise tout à la fois une légitime reconnaissance et de meilleures conditions de travail.

Quelques années plus tard, il faut bien se rendre compte que la machine à performer s'est légèrement emballée et que les salariés sont les premiers à en faire les frais. Pour Michela Marzano, docteure en philosophie, les dés étaient pipés dès le départ, le discours des dirigeants d'entreprise étant destiné à tromper les salariés pour mieux les instrumentaliser. Le moyen de cette tromperie n'est pas nouveau. Socrate le dénonçait déjà en son temps : il s'agit du sophisme, c'est-à-dire d'un discours qui travestit la réalité en fonction des intérêts de la personne qui le tient.

Au premier rang des gros mensonges, le fameux épanouissement personnel et son cortège de contrevérités du type accomplissement par le travail, éthique de l'entreprise, etc. Au premier rang des victimes : l'encadrement, à qui les directions ont demandé de pousser, jusqu'à l'explosion, la machine humaine à produire.

Michela Marzano est docteure en philosophie et chargée de recherche au CNRS.