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« Un paritarisme réduit aux acquêts »

Enquête | publié le : 04.11.2008 |

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« Un paritarisme réduit aux acquêts »

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Jean-Pierre Willems est consultant en ressources humaines, spécialiste des collecteurs de fonds de la formation professionnelle.

E & C : Les critiques contre les collecteurs de fonds de la formation professionnelle leur reprochent des frais de gestion excessifs. Est-ce justifié ?

J.-P. W. : Sans dédouaner les organismes paritaires de leurs responsabilités, il convient de corriger l'approche purement fiscale des frais de gestion des collecteurs de fonds.

On sait que ces frais sont plafonnés entre 9,9 % et 11,9 %, selon la taille des entreprises adhérentes, ces pourcentages s'appliquant pour partie aux sommes encaissées et pour partie aux sommes décaissées.

Des rapports ont fait état de frais de gestion excessifs de la part des organismes paritaires. Mais la critique ne souligne jamais que ces frais correspondent en très grande partie à des prestations en nature développées au profit des entreprises et des salariés. L'information, le conseil, l'accompagnement, les études et recherches, la gestion de banques de données sur l'offre de formation ou sur les compétences... constituent autant de services non monétaires dont bénéficient soit très directement soit indirectement les entreprises adhérentes et leurs salariés. Il est donc faux de prétendre que le taux de retour vers les entreprises ne serait que de 90,1 % ou de 88,1 % des fonds versés puisqu'il convient de rajouter aux prestations en espèces - le financement des formations - les prestations en nature.

E & C : Autre critique récurrente : les collecteurs ne réaliseraient pas une véritable mutualisation des fonds entre les entreprises.

J.-P. W. : Sur ce point, il y a manifestement confusion entre mutualisation et péréquation. Si un dispositif de péréquation a pour fonction de corriger des déséquilibres constatés, la mutualisation n'a pas cet objectif de manière explicite. Elle correspond à une mise en commun des fonds avec une redistribution qui doit respecter les principes généraux d'égalité de traitement des demandeurs (C. trav., art. L. 6332-6). Il n'est pas demandé à l'assurance chômage de corriger les inégalités de revenu ou à l'assurance maladie de transférer les cotisations des grandes entreprises vers les plus petites. Il s'agit de gérer des risques identifiés, le risque d'insuffisance ou d'obsolescence des compétences, et de déterminer les conditions d'accès au financement de solutions adaptées, qui sont les mêmes pour tous.

E & C : Enfin, troisième critique persistante : les collecteurs ouvriraient des «droits de tirage» aux entreprises sur les fonds qu'elles ont versés.

J.-P. W. : Sur les droits de tirage, la DGEFP considère qu'il s'agit d'un « détournement de l'esprit de la loi » et observe que « cette pratique explique pour partie que les partenaires sociaux n'ont pas été en mesure de peser sur l'accès à la formation ». Là encore, constatons que le rapport entre montant, ou durée, des cotisations et droits à prestations se retrouve dans les autres régimes sociaux, qu'il s'agisse de l'assurance chômage, de l'assurance maladie ou de l'assurance vieillesse. Il n'est pas contraire à la mutualisation de décider qu'une partie des fonds reçus reviendra aux cotisants, sous réserve de satisfaire, d'ailleurs, à d'autres critères d'éligibilité.

La pratique qui pourrait sortir du champ de l'assurance collective obligatoire et relever davantage de l'assurance privée est celle du versement spécifique effectué en vue d'obtenir un service identifié et réservé. En d'autres termes, l'entreprise ferait un versement volontaire sur la base d'une contractualisation individuelle avec l'Opca en vue de l'accès à des services spécifiques. Mais tant que l'on est dans le registre des règles générales de remise à disposition de cotisations dues par les entreprises, en vertu d'une obligation légale ou conventionnelle, on ne peut parler de détournement ni même de dérive.

Contrairement à ce que dit la DGEFP, ce ne sont pas les droits de tirage qui empêchent de peser sur l'accès à la formation, mais une gestion paritaire réduite aux acquêts à l'intérieur d'un système fiscal qui fonctionne selon une logique qui n'est pas compatible avec celle d'un régime social.

E & C : C'est donc l'aspect fiscal de l'obligation légale qui pose problème selon vous ?

J.-P. W. : La loi du 31 décembre 1968 a ouvert la possibilité, pour les partenaires sociaux, de créer des fonds d'assurance formation (FAF), pensant ainsi jeter les bases d'un système semblable à celui de l'assurance chômage. Cette possibilité est restée lettre morte. Les partenaires sociaux n'étaient pas prêts à la cogestion.

Cette carence a suscité l'intervention du législateur qui, par la loi du 16 juillet 1971, a créé l'obligation fiscale de financement de la formation professionnelle. Cela a été un catalyseur pour le développement de la formation, mais elle constitue, en fait, un corps étranger : son existence donne un argument à ceux qui refusent la mise en place d'une véritable assurance formation.

Les Opca sont, eux, créés en 1993, mais la confusion entre les FAF - institutions ayant vocation à gérer des obligations conventionnelles, mais qui ont été agréés pour gérer une contribution fiscale - et les Opca - qui n'ont capacité qu'à gérer une ressource fiscale affectée - n'a pas permis de trancher le débat de la légitimité politique de la gestion des fonds. Quatre légitimités s'exercent donc de manière concurrente sur les FAF et les Opca : celle de l'Etat, celle des représentants d'employeurs, celle des organisations syndicales et celles des FAF et Opca en tant que tels. Ce conflit de légitimité n'a jamais pu être dépassé, ce qui peut expliquer certains errements du système de gestion paritaire.

Au final, la nature fiscale de cette obligation garantit la maîtrise par l'Etat sur le montant, l'utilisation et les modalités de gestion de la ressource. Se trouve limitée d'autant la capacité des partenaires sociaux à négocier sur ces sujets. Ce qui donne une idée du tarissement de créativité qui résulte de la maîtrise étatique du financement.

E & C : Quelle serait la solution ?

J.-P. W. : Une assurance formation à trois niveaux. Le premier serait celui d'une contribution générale versée par toutes les entreprises ouvrant droit à des prestations mises à la disposition de tous dans les mêmes conditions et correspondant à des objectifs d'intérêt général. Dans ce cas de figure, la formation serait un «bien public collectif».

Le second niveau serait celui de contributions différenciées, mais collectives (obligations de branche ou de secteur professionnel, possibilité d'adhésion à un régime supplémentaire prédéfini, etc.) qui ferait de la formation un «bien privé collectif».

Le troisième niveau serait celui d'une contractualisation individuelle entre l'entreprise et l'organisme paritaire, qui ferait de la formation un «bien privé individuel», pour l'entreprise et/ou pour ses salariés. Ce troisième niveau relèverait de l'assurance, de la prestation de services et supposerait, sans doute, une sectorisation comptable et l'application du droit de la concurrence.

Si une obligation légale peut être maintenue sur le premier niveau, les niveaux deux et trois relèvent clairement de la négociation collective. Mais la cohérence d'ensemble veut quand même que soit substituée à l'obligation légale sur le premier niveau une obligation conventionnelle ayant le champ d'application de la loi, comme en matière d'assurance chômage ou de retraite complémentaire. Seuls les deux premiers niveaux relèvent d'un régime de garantie sociale, le troisième niveau relevant de l'assurance.

La définition d'un tel régime serait le support d'un paritarisme de gestion non réduit aux acquêts et donnant toute sa place à la négociation collective, et permettrait d'ouvrir le champ de la créativité sur les prestations fournies.