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« Nous voulons créer une mémoire des mutations économiques »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 28.10.2008 |

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« Nous voulons créer une mémoire des mutations économiques »

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Les restructurations ne sont plus un moment exceptionnel dans la vie de l'entreprise. C'est pourquoi l'IAE de Paris a décidé de lancer une chaire «Mutations, anticipations, innovations» afin de recenser les dispositifs les plus innovants déployés lors de restructurations.

E & C : Vous venez de créer une chaire de recherche «Mutations, anticipations, innovations» à l'IAE de Paris. Comment vat-elle fonctionner ? Qui sont vos partenaires ?

José Allouche : Plusieurs entreprises, à l'instar d'Areva, de Michelin, de Nestlé, de la SNPE (Société national des poudres et explosifs) ou encore les Haras nationaux, se sont engagées dans l'aventure. Nous attendons également des entreprises publiques et des collectivités territoriales. Vigeo pourrait également être associé. L'objectif est de créer un pôle de recherche avec une approche transdisciplinaire qui allierait les ressources humaines, la gouvernance, la responsabilité sociale ou encore le marketing. Cette chaire fonctionnera comme un lieu de rassemblement, une caisse de résonance réunissant chercheurs et acteurs sociaux - organisations syndicales, acteurs locaux, entreprises -, moyennant une cotisation de 15 000 euros par an. Aujourd'hui, les restructurations ne sont plus un moment exceptionnel dans la vie de l'entreprise. Elles sont devenues un élément permanent de sa gestion opérationnelle. C'est pourquoi nous voulons créer une mémoire des mutations en recensant les dispositifs les plus innovants. Jean-Pierre Aubert, ancien délégué interministériel aux restructurations de la Défense et ex-chef de la Mission interministérielle sur les mutations économiques (Mime) au ministère de l'Emploi, tiendra le poste de délégué général. Parallèlement, nous avons le souhait de créer un Observatoire des mutations.

E & C : En matière de restructurations, la France dispose d'un Meccano législatif complexe : obligation de négocier un PSE, obligation de reclassement, obligation de revitalisation... Peut-on faire mieux ?

J. A. : Bien sûr, la réglementation française est complexe, fragmentée. Elle s'apparente le plus souvent à un mille-feuilles : de nouvelles mesures s'empilent sur d'anciens dispositifs sans aucune cohérence. Pour les DRH, le cadre réglementaire est, ainsi, assimilé à un maquis dangereux avec des chausse-trapes ici et là. Le débat n'est plus de savoir si ces mesures sont pertinentes ou non. Elles provoquent, en fait, des effets pervers. Au premier chef, le risque judiciaire lié à l'application de telle ou telle mesure. Les entreprises craignant de plus en plus le rappel à l'ordre des tribunaux.

Mais la crise économique actuelle remet en cause les discours anti-réglementation. Quel est le système de régulation optimal ? La question n'a jamais été posée comme telle, hormis peut-être dans la loi NRE (Nouvelles régulations économiques), votée en 2001, qui offrait une certaine régulation par rapport aux acteurs sociaux. Or, avec le départ de Lionel Jospin, en mai 2002, tous les décrets de ce texte ne sont pas parus, laissant plusieurs dispositifs tomber dans l'oubli.

E & C : Tour à tour, les gouvernements, de gauche et de droite, ont tenté d'améliorer les règles du jeu : création de la Mime, de contrats de site. Plus récemment, c'est Nicolas Sarkozy qui a oeuvré au lancement d'un fonds de revitalisation... L'Etat doit-il être plus interventionniste dans les plans sociaux ?

J. A. : Je crois davantage à l'intervention de l'Etat sous forme de mécanisme d'incitation plutôt que dans la définition d'un cadre contraignant. Le problème tient au manque d'évaluation de ces différents dispositifs. Pour quelles raisons n'y arrive-t-on pas ? Au-delà des gouvernements, ce sont, le plus souvent, les administrations qui sont réticentes à l'évaluation.

E & C : L'Europe a-t-elle un rôle à jouer dans les restructurations ?

J. A. : On a mis en place tous les mécanismes nécessaires pour créer un espace économique européen. En revanche, on bute toujours sur la constitution d'un espace social. De fait, il est difficile de s'entendre à 27. Les législations sont très différentes d'un pays à l'autre. Il n'y a pas d'obligation de reclassement au Royaume-Uni, ni en Belgique ni en Suède, par exemple. Ce sont le plus souvent les indemnités compensatoires qui font office de mesures d'accompagnement. Au détriment des dispositifs de reclassement. La différence des niveaux de développement économique complique également la tâche. La création d'un fonds européen d'ajustement à la mondialisation (FEM) n'y changera rien. Le problème est que, depuis dix à quinze ans, le discours européen consiste à légitimer le transfert de responsabilité de l'entreprise vers l'individu en le rendant acteur de son employabilité, comme pour le DIF, notamment. On attend du salarié une adaptation individuelle là où l'on avait, auparavant, de la régulation politique organisée autour de la solidarité.

E & C : Pensez-vous que la nouvelle loi sur la modernisation du marché du travail, en particulier la rupture conventionnelle, va changer la donne concernant les licenciements ?

J. A. : Deux cas de figure vont cohabiter. D'une part, les entreprises qui ont une culture de négociation dans la mise en place des mécanismes de flexisécurité ne modifieront pas leurs pratiques. A l'inverse, celles où le dialogue social est quasi inexistant poursuivront leurs licenciements individuels, appelés jusqu'ici licenciements transactionnels. Mais, avec la crise actuelle, les PSE ne sont pas morts. Bien au contraire, leur nombre risque d'exploser.

* Avec Géraldine Schmidt.

PARCOURS

• José Allouche est professeur à l'IAE de Paris (Paris-1-Panthéon-Sorbonne) et directeur de l'Ecole doctorale sciences de la décision et de l'organisation/[]IAE de Paris, du groupe HEC Paris et des Arts et Métiers ParisTech. Il y assure également la responsabilité du Master ressources humaines et responsabilité sociale de l'entreprise.

• Il est l'auteur (ou le coordonnateur) de plusieurs ouvrages, dont Restructurations : regards croisés, avec Janine Freiche (Vuibert, 2008) ; Corporate Social Responsibility, Tome 1 & 2, (Palgrave MacMillan, 2006) ; Encyclopédie des ressources humaines, (Vuibert, 2003).

• Il est consultant auprès de nombreuses multinationales et d'institutions internationales.

LECTURES

Restructuration : des recherches pour l'action, Rachel Beaujolin et Géraldine Schmidt, Vuibert, 2008.

L'enfer de l'information ordinaire : boutons, modes d'emploi, pictogrammes, graphisme, information, vulgarisation, Christian Morel, Gallimard, 2007.

Brothers, de Ya Hua, Actes Sud, 2008.

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