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Des NAO sous haute tension

Enquête | publié le : 21.10.2008 |

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Des NAO sous haute tension

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Le dérapage des prix en 2008 a mis le feu aux poudres dans certaines grandes entreprises au premier semestre. Les négociations annuelles obligatoires (NAO) qui s'ouvrent en ce moment risquent d'être encore marquées par la question du pouvoir d'achat. Même si la crise économique qui se profile pourrait changer la donne.

« Pour l'instant, nous attendons ; il nous serait impossible de nous positionner dès maintenant sur les salaires en 2009 » : ce responsable des rémunérations d'un grand groupe de transports publics confesse son soulagement de voir la négociation annuelle obligatoire (NAO) sur les rémunérations ne commencer que dans deux mois pour son entreprise. Pour les sociétés les plus précoces, ces négociations annuelles commenceront en novembre. Et en mars ou avril, pour les plus tardives, la majorité des entreprises auront décidé du budget affecté aux salaires pour l'année à venir.

Baisse du niveau de vie

Les DRH s'attendent à des discussions serrées avec les partenaires sociaux, alors que l'inflation 2008 devrait dépasser 3 %. Déjà, la relative modestie des politiques salariales déployées en 2007 s'est traduite par un début d'année 2008 particulièrement mouvementé sur le front des salaires, y compris chez les cadres, dont l'individualisation est davantage mal ressentie en période de montée des prix.

Le panel Oscar des rémunérations, administré par la CFDT-Cadres, indique ainsi que la moitié des cadres ont perdu du pouvoir d'achat en 2007. Et 2008, politiquement inscrite sous le signe du pouvoir d'achat, n'a rien arrangé : la hausse des prix a atteint 3,6 % sur un an en juillet dernier, avec des budgets immobilier et énergie hors de contrôle, pour des budgets d'augmentation de 3,3 % en moyenne.

Pourtant, les résultats dévoilés par les entreprises au premier semestre étaient excellents. Et ce n'est pas le rachat des jours de RTT, la possibilité de faire des heures supplémentaires ou le déblocage exceptionnel de la participation qui ont calmé une grogne suscitée par le contraste perçu entre le versement de dividendes croissants aux actionnaires et la politique salariale. Résultat : la multiplication des «grèves de pouvoir d'achat» au premier semestre.

Coca-Cola, IBM, L'Oréal, La Redoute, Mondial Assistance, Safran, Valeo, mais aussi plusieurs représentantes du secteur faiblement syndicalisé des SSII et des éditeurs de logiciels comme Cap Gemini, Altran, ou Business Objects notamment, ont connu, cette année, un conflit social sur les rémunérations.

Contexte explosif

Le contexte reste explosif aujourd'hui, même si la situation a évolué depuis l'été. « Je m'attendais à une rentrée chaude au niveau national sur ce thème, indique le DRH d'un constructeur automobile. Mais, d'une part, l'inflation redescend par rapport au pic de l'été et se stabilise à 3,2 % en septembre ; d'autre part, la crise financière est survenue et devrait avoir des incidences sur l'économie et l'emploi. Enfin, le contexte d'élections prud'homales pourrait limiter les actions conjointes des syndicats. »

Ces évolutions récentes limiteront-elles les revendications ? D'ores et déjà, les budgets d'augmentation prévus pour 2009 s'éloignent encore un peu plus du dogme des 3 % suivi par la majorité des employeurs depuis de longues années. Ainsi, les entreprises interrogées par la société de conseil Hewitt, entre juillet et septembre, envisageaient-elles des budgets d'augmentation de 3,7 % en moyenne, alors que l'OCDE prévoit une inflation à 2,4 % l'année prochaine. « Mais, au-delà des montants globaux, nous constatons dans cette enquête de prévision une remontée de la pratique des augmentations générales, à la fois en nombre d'entreprises concernées et en taux d'augmentation collective », précise François Auger, consultant senior chez Hewitt. Elles atteindraient en moyenne 2,1 % sur les budgets 2009, contre 1,8 % en 2008.

Répartition des augmentations

Car, parmi les dispositions mises en oeuvre pour faire face à une dégradation du pouvoir d'achat en période de flambée des prix, le montant de l'enveloppe d'augmentation est loin d'être le seul paramètre observé par les partenaires sociaux. Ainsi, pour les cadres en particulier, la question de la répartition entre augmentations générales et augmentations individuelles est plus cruciale encore que l'an dernier. L'encadrement, pourtant favorable aux augmentations individuelles - meilleur moyen de faire significativement augmenter un salaire -, a changé son fusil d'épaule depuis un ou deux ans. « 66 % des cadres du panel Oscar demandent, cette année, un mix entre augmentations collectives et augmentations individuelles, indique, par exemple, Philippe Fontaine, spécialiste des rémunérations à la CFDT-Cadres. Il n'étaient que 55 % l'année dernière. » En 2007, 10,5 % des cadres n'ont perçu aucune augmentation, selon la CFDT. Et la perte de pouvoir d'achat devient d'autant plus importante que les prix montent : pour ceux qui resteront écartés des augmentations individuelles pendant deux ans, le recul atteindra vraisemblablement -5 % à -6 %, entre 2008 et 2009, en l'absence d'augmentations collectives.

Pour garantir la paix sociale et assurer la signature d'accords salariaux systématiquement rejetés s'ils n'en proposent pas, beaucoup d'entreprises ont remis les augmentations générales au goût du jour. Selon l'enquête de la Cegos sur le salaire des cadres, en fin 2007, le taux des entreprises pratiquant des augmentations générales pour cette population était remonté de 29 % en 2005 à 43 % en 2007. Il y a quelques mois, nombre de grandes entreprises avaient choisi cette option. Axa, Air France ou Renault ont ainsi fait une large place aux augmentations collectives dans leurs derniers accords. Idem chez PSA en janvier dernier, avec une augmentation générale de 2,4 % et un minimum de 40 euros mensuels (soit + 3,04 % pour le salaire minimum de base), et un budget d'augmentations individuelles équivalent à 1 %.

Mobilisations symboliques

Quant aux entreprises où les augmentations individuelles sont restées la règle intangible, la grogne était d'autant plus intense cette année : les mobilisations dans le secteur des SSII ou chez L'Oréal, entreprise prisée des jeunes diplômés et parangon de l'augmentation au mérite, ont valeur de symbole.

Le contexte économique accentue donc la critique qui pèse sur l'individualisation depuis quelques années. Mais s'agit-il, pour autant, d'une remise en cause ? Eric Wuithier, consultant senior chez Towers Perrin, ne le croit pas, soulignant que la sélectivité reste faible et que, paradoxalement, l'existence d'augmentations individuelles permet d'imposer une plus grande différenciation dans les affectations de ce type d'augmentations (lire ci-dessous).

Enfin, les entreprises ont largement usé d'autres modes de rémunération pour faire passer l'année 2008, ou ont ajouté des garanties dans leur accord, comme une augmentation minimale sur trois ans (pour des cadres au 100 % individuel). Le variable collectif, qui ne pèse pas définitivement sur la masse salariale, a aussi été privilégié : des primes exceptionnelles ont été versées chez HSBC ou chez Accor. D'autres ont saisi l'opportunité de verser un complément exceptionnel d'intéressement ou ont renégocié leur dispositif (Accor).

Davantage de clauses de revoyure ?

« Les mesures collectives ont aussi profité aux cadres, indique Denis Falcimagne, directeur d'études à Entreprise & Personnel. Mais elles étaient généralement plafonnées. » C'était le cas chez Adecco, où l'augmentation générale était modulée par tranches de salaire. A la Snecma, un accord prévoit que la répartition entre individuel et collectif soit fonction de la classification... (lire p. 30)

Et si les clauses de revoyure, qui permettent de réajuster un accord salarial en cours d'année en fonction d'un possible dérapage des prix, telle celle négociée à la GMF (lire p. 30), sont encore rares, elles pourraient bien, désormais, concerner davantage d'entreprises, dans la période de forte incertitude qui s'annonce.

L'essentiel

1 Avec la reprise de l'inflation, de nombreuses entreprises ont connu des conflits liés au pouvoir d'achat cette année. Certaines ont dû amender leur politique salariale.

2 Un niveau minimal d'augmentations générales, y compris pour les cadres, figure parmi les principales revendications, en particulier dans les entreprises où elles ont disparu au profit de l'individualisation.

3 Les NAO devraient s'ouvrir dans un climat tendu, même si l'inflation s'est stabilisée et si la crise financière risque de peser sur l'emploi.

L'individualisation, critiquée mais maintenue

2008, année de reprise de l'inflation, pourrait-elle porter un nouveau coup à la pratique critiquée de l'individualisation des rémunérations ? Si les augmentations générales ont repris du poil de la bête dans les négociations salariales 2008, c'est en partie à cause de la poussée inflationniste, constatée dès le début de l'année. Mais c'est aussi parce que les vertus supposées des augmentations individuelles continuent de susciter le débat (lire Entreprise & Carrières n° 787 et n° 881). « Depuis plusieurs années, l'individualisation des rémunérations fait l'objet de critiques qui portent, notamment, sur l'opacité de leur affectation, la compréhension et l'appropriation des critères mis en oeuvre, précise Philippe Fontaine, responsable des études de rémunération Oscar, à la CFDT-Cadres. Même avec 10 % de cadres exclus de toute forme d'augmentation tous les ans, tout le monde pouvait y trouver son compte sur plusieurs années. Mais avec une inflation à plus de 3 %, les choses sont différentes. »

Pas de retour en arrière

Le regain du collectif en matière d'augmentation, constaté par la Cegos ou par Hewitt, ne traduit pourtant pas un retour en arrière. « On constate plutôt des augmentations collectives limitées pour des catégories de non-cadres qui n'y étaient plus éligibles - comme les plus haut niveau de maîtrise avant le niveau cadre, et des mesures collectives plafonnées pour les cadres - comme des revalorisations sur une partie de salaire inférieure à 3 000 euros par exemple », nuance Denis Falcimagne, directeur d'études à Entreprise & Personnel.

Pour Towers Perrin, malgré le contexte économique, les fondamentaux des politiques salariales ne sont pas remis en cause : l'individualisation pour les cadres demeure, comme la pratique d'augmentations individuelles et collectives pour les non-cadres, avec des mesures spécifiques pour éviter le décrochage des bas salaires. Selon l'étude de ce cabinet auprès de 48 sociétés du SBF 120, cet été, c'est à partir d'une inflation comprise entre 4,3 % et 5 % que les grandes entreprises envisageraient de revoir drastiquement leurs pratiques de rémunération. Ce qui n'est pas à l'ordre du jour.

Faible sélectivité

Sans compter que, pour l'heure, malgré le discours sur l'individualisation, la sélectivité des augmentations reste faible. « La difficulté est de pouvoir justifier les écarts, juge Eric Wuithier, consultant chez Towers Perrin. C'est la question de la mesure des performances, de l'évaluation et du courage managérial. » La réapparition d'un petit filet d'augmentation générale pour les cadres devrait même permettre aux directions et aux managers d'imposer une plus forte sélectivité des augmentations individuelles.