On le croise tous les jours, on connaît son caractère et ses petites manies, et pourtant, ses décisions restent parfois un vrai mystère. Qui est donc ce boss ? Ce serait tellement plus simple de pouvoir comprendre ce qui se passe dans sa tête... Quelques pistes peuvent nous éclairer.
Pour commencer, considérons ses buts : les objectifs qu'il vise et ceux que sa hiérarchie lui demande d'atteindre. Sans forcément les connaître en détail, on peut en percevoir la nature au travers de remarques effectuées en réunion ou de petites phrases glissées dans une conversation. Grâce à cette analyse, les insistances, négligences, oppositions, lubies soudaines s'éclairent parfois d'un nouveau jour. Effectivement, derrière tout manager se trouve une personne qui tente d'accomplir quelque chose, en se confrontant, comme elle le peut, à des contradictions.
Les peurs expliquent aussi bon nombre de décisions paraissant incohérentes. Aucun manager n'en est exempt : ne pas tout maîtriser, perdre son image, se sentir écarté, ne pas être informé, être critiqué par sa hiérarchie, perdre sa sécurité, son statut, son poste, être dépassé par un autre, ne pas comprendre une situation... Les craintes d'un responsable sont légion, même si ce dernier fait mine de les dominer.
D'autres facteurs plus subtils viennent aussi brouiller les pistes. Les querelles inachevées, par exemple, lorsqu'une ancienne histoire encore vivace (guerre de pouvoir, blessure, trahison...) s'invite dans la situation présente pour régler des comptes. On ne sait pas pourquoi le boss a réagi aussi vivement, il y avait probablement, en arrière-fond, de vieilles rancoeurs enfouies. Les «loyautés invisibles» font également partie de ces dynamiques cachées. Un manager se sent redevable envers un autre responsable et son comportement reste dicté par ce lien invisible, comme un vassal se soumettait à son suzerain. Les entreprises regorgent de loyautés cachées. Les décisions prises dans ce contexte sont rarement compréhensibles par les autres : elles sont logiques, mais personne n'en détient la clé.
Enfin, il y a le phénomène de l'angle mort. « Fais ce que je dis et pas ce que je fais » en est une illustration, dans laquelle la personne ignore les conséquences de ses actes. L'angle mort est un aspect de la réalité que l'on élimine de son radar pour ne pas avoir à s'y confronter : certains conflits de valeurs qui nous tiraillent, le feedback inconfortable de nos collaborateurs, les situations émotionnelles savamment tenues à distance, les remarques énervantes des clients... L'angle mort explique bien des incohérences de jugement. La lucidité, c'est vrai, demande beaucoup de courage. C'est pour cette raison qu'elle reste la signature des grands leaders.
Meryem Le Saget est conseil en entreprise à Paris. <
