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Sortir des 35 heures : les leçons des pionniers

Les pratiques | publié le : 07.10.2008 |

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Sortir des 35 heures : les leçons des pionniers

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Inquiétudes, longues discussions, débrayages, droit d'opposition, refus des contreparties... Allonger le temps de travail n'est pas simple pour les négociateurs. Premier bilan des accords pionniers.

Salaire contre temps de travail : c'est ce marché qu'a conclu le service après-vente de Breitling, maison horlogère suisse, installée à Besançon : en échange d'une augmentation de rémunération de 26 %, les 44 salariés du site travaillent, depuis début septembre, 41 heures hebdomadaires. Chaque semaine, ils vont, ainsi, réaliser cinq heures supplémentaires. La 41e heure étant récupérée. « La question du pouvoir d'achat est une préoccupation importante ici, explique Claude Masson, directeur adjoint du groupe. Nous sommes situés dans une zone frontalière. Nous devons donc rester attractifs pour fidéliser nos salariés, attirés par la Suisse. C'est pourquoi, avec l'arrivée de nouveaux clients belges et hollandais, nous avons décidé d'augmenter le temps de travail. Toutefois, comme plusieurs salariés manifestaient leur désir de garder quelques jours de repos, nous sommes passés à 41 heures. Ce qui permet de conserver six jours de récupération dans l'année. »

Chaque salarié a été reçu individuellement, fin août, pour signer un avenant a son contrat de travail. Seule une employée a refusé de travailler plus. Elle reste aux 35 heures.

Gagner plus

Les salariés de Breitling ne sont pas les seuls, au cours de ces derniers mois, à avoir modifié leur temps de travail. Quatre organisations syndicales de Nexter (ex-Giat), la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC et FO, ont signé, le 23 juillet, un nouvel accord sur le temps de travail pour « gagner plus ». Concrètement, les salariés rémunérés à l'heure travailleront 1 607 heures par an sur 218 jours, au lieu de 1 584 sur 201. Ils bénéficieront, en échange, d'une augmentation salariale générale de 3,55 %. Les salariés travaillant en «deux huit» verront, eux, leur salaire revalorisé de 10,58 %. Quant aux cadres, ils travailleront 218 jours par an (au lieu de 205 ou 210 antérieurement), avec, à la clé, 6,34 % d'augmentation.

La direction met également dans la balance d'autres avantages comme la création d'un dispositif d'intéressement, d'un plan d'épargne entreprise et l'amélioration du régime frais de santé et prévoyance des actifs.

La loi «démocratie sociale et temps de travail»

La fin des 35 heures est-elle programmée ? La loi «démocratie sociale et temps de travail», adoptée au Parlement, fin juillet, et qui est entrée en vigueur en septembre, vient relancer le débat. Car la rupture est bel et bien au rendez-vous. Dix ans après l'adoption des lois Aubry, Xavier Bertrand, ministre du Travail, peut se féliciter de l'adoption de ce texte qui va permettre de « sortir des 35 heures ».

Quelle en sera la portée ? « Beaucoup d'entreprises n'ont aucune envie de relancer des discussions, pointe Catherine Le Manchec, avocate au cabinet August & Debouzy. Elles ont déjà digéré leurs 35 heures, et les dispositifs actuels - notamment concernant les heures supplémentaires - permettent de gagner en souplesse. »

La pénurie de cadres sur le marché pourrait également inciter les entreprises à réfléchir avant de trancher dans le vif.

Les obstacles à prévoir pour les entreprises qui souhaitent franchir le pas

1 Des négociations parfois longues. Il aura fallu près de neuf mois de discussion chez Nexter pour aboutir à un nouveau texte. Entre les propositions de la direction et les positions des syndicats, l'écart a été important.

2 Souvent source d'inquiétude et de... débrayages. C'est le cas, par exemple, d'Eurocopter, qui s'apprête à renégocier le temps de travail des non-cadres. Selon la CFDT, la renégociation doit s'engager dans les prochains mois pour une mise en place d'éventuelles nouvelles mesures en 2009. L'un des objectifs devrait être de remettre à plat la semaine de quatre jours dont bénéficient les non-cadres depuis 1998. Un système qui a largement l'adhésion de ces derniers. De même, les salariés du groupe Express Roularta (GER) ne sont pas franchement rassurés. Ils ont arrêté le travail, le 12 septembre, pour protester contre « la volonté de la direction de remette en cause les accords portant sur le temps de travail dans l'entreprise ».

3Les négociations ne règlent pas tout. Les 155 salariés de Baxi France, spécialisée dans la fabrication de chaudières, à Villeneuve-Saint-Germain, près de Soissons, l'ont appris à leurs dépens. Ils ont effectué six jours de grève, mi-juin, pour obtenir le respect des accords signés en mars sur les suppressions d'emploi. De fait, l'entreprise avait annoncé, mi-janvier, un plan de restructuration et la suppression de 110 emplois en France. Pour éviter le dépôt de bilan, la direction a décidé de céder la fonderie à un repreneur, Focast, pour 9,5 millions d'euros. Mais celui-ci pose ses conditions en exigeant, avant le rachat, la remise en cause de l'accord de RTT signé en 2002. C'est ainsi que les partenaires sociaux de Baxi se sont résignés à passer à la semaine de 37 h 30 (1 607 heures) au lieu de 35 heures.

Or, le toilettage n'a pas suffi à préserver l'emploi. « Baxi France n'a pas tenu ses engagements, dénonce, aujourd'hui, Thierry Depret, délégué CFTC, premier syndicat de l'entreprise. Alors que nous avons renégocié les 35 heures pour éviter des licenciements secs, le PSE en prévoit 11. » Un constat jugé inadmissible, qui a entraîné plusieurs jours de mobilisation, fin juin, à l'appel de la CGT.

4 Des compensations avant tout financières. Une indemnisation différée (Perco...) en échange d'une durée du travail plus longue ? Les propositions de la direction de Continental (fabrication de pneus), à Clairoix (60), n'ont pas suscité l'enthousiasme des syndicats, qui ont refusé catégoriquement ce marché. Pour emporter l'adhésion des organisations syndicales (CFE-CGC et CFTC majoritaire), elle a dû accepter d'augmenter directement le bas de la fiche de paie.

De même, à Continental Sarreguemines (57), les 1 400 salariés de l'usine ont voté, en décembre dernier, à 75 % pour le retour à 40 heures. Dans la balance, cette fois, le nouvel accord comportait des compensations salariales (augmentation des salaires de 6 %), mais aussi des avancées en matière de pénibilité, avec la possibilité de rester aux 35 heures pour les plus de 55 ans. La direction s'engageait à mettre en place plusieurs chantiers d'ergonomie et consacre, désormais, une partie de son investissement à l'automatisation des tâches les plus pénibles.

5 Assimilation à un chantage à l'emploi. Le maintien de la compétitivité, c'est la raison qui a poussé la CFE-CGC (majoritaire au comité central d'entreprise), FO et la CFTC de Peugeot Motocycles à proposer un retour aux 37 heures sans compensation salariale. « Si on ne signait pas, la direction prévoyait de confier la fabrication de cette nouvelle ligne de scooters à Taïwan, assure Bruno Masson, délégué syndical CFE-CGC. Avait-on le choix ? C'est une position difficile, mais on l'a prise pour sauver nos emplois. Nous avons des pertes de 25 millions d'euros par an, et ce, depuis six ans. » D'autant que le texte garantit un salaire fixe en cas de chômage partiel. En pratique, l'accord prévoit une double diminution des temps de pause et des jours de RTT, qui passeraient de 22 à environ 11 par an. Un « chantage » dénoncé par la CFDT et la CGT.

A. B

L'essentiel

1 Plusieurs entreprises viennent de rallonger leur temps de travail. D'autres, à l'instar d'Eurocopter ou du groupe Express Roularta, réfléchissent avant de sauter le pas.

2 Les négociations peuvent se heurter à de nombreux obstacles. Elles doivent offrir, avant tout, des compensations financières.

3 Frémissement ou tendance de fond ? Difficile de connaître la portée du nouveau texte de loi.

Ce qui change

La durée légale reste, certes, à 35 heures. Le principal changement réside dans l'inversion de la hiérarchie des normes. C'est la négociation d'entreprise qui va, désormais, primer sur la loi et sur les accords de branche. Un accord d'entreprise sera suffisant pour déroger à la loi, s'il est signé par des syndicats représentant 30 % des salariés - et s'il ne rencontre pas d'opposition des organisations majoritaires. Le texte permet, ainsi, à chaque entreprise de négocier la durée du travail et ses contreparties en dérogeant aux obligations fixées par les branches. Concrètement, l'employeur pourra immédiatement dépasser le contingent d'heures supplémentaires actuel (220 heures par an) sans avoir à demander l'autorisation de l'inspection du travail, sous réserve de ne pas dépasser 48 heures par semaine. De même, l'employeur pourra aller au-delà du seuil du forfait jours fixé à 218. La seule limite à ces accords, en tenant compte du repos hebdomadaire obligatoire et des congés payés, est de 235 jours (25 jours de congés payés, les week-ends et un jour férié). Toutefois, un employeur devra, dès lors, payer la majoration de rémunération pour tout temps supplémentaire travaillé au-delà de 218 jours. Cette majoration ne pouvant être inférieure à 10 %.

Autre modification : « Avant le 20 août, les entreprises, quelle que soit leur taille, ne pouvaient pas décider seules de la durée du travail si cette modification avait pour objet de déroger au décompte hebdomadaire de la durée du travail, comme lorsque le temps de travail est annualisé, note Catherine Le Manchec, du cabinet August & Debouzy. Un accord collectif signé avec les délégués syndicaux était nécessaire. La loi du 20 août prévoit qu'en l'absence d'accord collectif, un décret permettra aux entreprises d'organiser la durée du travail sur plusieurs semaines. »