logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

« Cette réforme néglige le désir d'apprendre des individus »

Dossier | publié le : 30.09.2008 |

E & C : Quel est votre point de vue sur l'obligation légale ?

S. E. et M. B. : Il nous paraît aujourd'hui hasardeux d'aller dans le sens de la suppression de l'obligation légale et d'effacer «cette contrainte positive» du paysage des entreprises. Il nous semble, en revanche, indispensable de mettre en perspective le financement des actions de formation et les enjeux auxquels ces actions doivent répondre.

Si l'obligation légale se transforme en obligation conventionnelle, celle-ci devra encourager un plus grand équilibre entre les trois catégories du plan afin que les parties 2 et 3 ne soient pas réduites à la portion congrue. Par ailleurs, l'obligation conventionnelle devrait aussi attribuer une part du 0,9 % plan de formation à des dépenses d'orientation des salariés. Cet effort d'orientation devrait non seulement déclencher de vrais projets de formation mais aussi favoriser une dynamique motivationnelle donnant une vie à la formule : le salarié acteur de son apprentissage.

C'est pourquoi nous proposons aussi d'intégrer systématiquement un DIO - droit individuel d'orientation - dans le DIF, permettant à chaque salarié d'utiliser au mieux son crédit d'heures.

E & C : Les débats sur la portabilité/transférabilité du DIF ou sur la création de comptes épargne formation vous semblent-ils au coeur du problème ?

S. E. et M. B. : Ces débats montrent clairement comment les énergies se mobilisent sur les questions de retour à l'emploi et d'incitation des salariés à développer leurs compétences. Mais, à notre point de vue, les débats actuels mettent de côté la question préalable à toutes ces mesures : comment développer le désir d'apprendre de chaque individu ?

Doit-on, en effet, considérer que passer d'un taux d'accès à la formation de 20 % à la fin des années 1970 à un taux de 42,8 % en 2006 est une évolution ne dépendant que d'une rénovation des modes de financement de la formation ? A l'inverse : peut-on améliorer les taux d'accès à la formation sans diversifier les façons d'apprendre ? Ne doit-on pas s'interroger sur la pertinence de ce que nous nommons formation au sens de la «24-83» ?

En 2005, le taux d'accès à la formation dans les entreprises de 10 à 19 salariés est de 13 %, contre 22 % dans les PME de 20 à 50 salariés et 40 % pour l'ensemble des entreprises. La formation dans ses formes traditionnelles est encore moins aisée à mettre en place dans les petites entreprises, et ce n'est pas uniquement pour des raisons financières.

Il nous semble indispensable, aujourd'hui, d'admettre que l'acquisition et le renouvellement des compétences puissent aussi se construire sur et dans la situation de travail. Bien évidemment, il ne s'agit pas de revenir à la seule formation sur le tas, mais bien d'enrichir la palette actuelle des entreprises de dispositifs intégrés et «apprenants».

Selon l'étude Eurostat New Cronos de mai 2002, les cinq pays ayant la plus forte proportion d'entreprises formatrices en Europe - Danemark, Suède, Pays-Bas, Royaume-Uni, Finlande - sont aussi ceux qui, non seulement, proposent en forte proportion des actions de formation, mais également, à des taux élevés, des démarches moins formalisées tels l'autoformation, la formation en situation de travail, des colloques ou séminaires ayant un objectif de formation, la rotation sur poste de travail, les cercles d'apprentissage ou de qualité...

De plus, selon une étude Dares d'avril 2008, les différentes manières d'acquérir des connaissances se développent plutôt de façon conjointe dans des environnements productifs plus favorables à la diffusion et à la transmission du capital humain. La mise en place de méthodes informelles de partage des connaissances ne nuit en rien à l'effort de formation des entreprises, bien au contraire, puisque ces dernières ont tendance à accroître leur effort financier en matière de formation ! Notre proposition est de nous tourner résolument vers le repérage et l'amplification des situations d'apprentissage existant au quotidien dans les organisations.

E & C : Les projets de réforme insistent sur la nécessité de « surveiller la qualité de l'offre de formation ». Par quels moyens, selon vous, cela est-il réalisable ?

S. E. et M. B. : Pour instaurer une véritable fluidité entre la demande et l'offre de formation, le système de formation professionnelle doit favoriser la variété et la multiplicité des dispositifs, mais également inciter les offreurs de formation à investir la sphère de l'orientation, au-delà du bilan de compétences, et à s'aventurer sur les sentiers non balisés pour oser développer des situations d'apprentissage construites à partir d'un guidage individualisé. Les offreurs de formation pourraient être incités à tout cela par des mesures fiscales pour l'innovation en matière d'apprentissage et en matière de mesure de l'efficacité des dispositifs.

Garantir la qualité des offres, c'est aussi mettre en place la labellisation. Elle doit exister quel que soit le statut juridique de l'offreur - société ou indépendant -, mais en se fondant sur des critères différents. Une autre voie de réflexion pourrait être d'étudier la pertinence et l'intérêt d'un ordre des formateurs veillant, notamment, au respect de la déontologie, à l'évaluation et au contrôle des pratiques professionnelles, à la formation des praticiens...

Mais tout cela a peu de sens si on n'aborde pas la délicate problématique de l'évaluation des dispositifs de formation. Nous avons, en effet, été souvent étonnées du désintérêt des entreprises pour la question de l'efficacité des formations. La satisfaction de l'apprenant n'étant, bien évidemment, pas suffisante.

Evaluer l'efficacité des formations et de la politique de formation est nécessaire. Les branches et les entreprises devraient intégrer dans leurs nouveaux accords conventionnels cet objectif d'évaluation, les attendus de celle-ci et les moyens consacrés à cette démarche. La culture de l'évaluation ne pourra, en effet, s'installer que si elle est totalement intégrée à la rénovation du système de formation.

* Sandra Enlart et Monique Bénaily sont les auteures d'un ouvrage intitulé La fonction formation en péril : de la nécessité d'un modèle en rupture, éditions Liaisons, juillet 2008. Elles se prononcent sur l'obligation légale, l'idée traditionnelle de formation/stage et questionnent l'évaluation des politiques de formation.

Articles les plus lus