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« Le schéma de carrière masculin reste bien ancré »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 23.09.2008 |

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« Le schéma de carrière masculin reste bien ancré »

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L'accès des femmes aux postes de dirigeante se heurte au «plafond de verre». En cause, le modèle du parcours ascendant en spirale : forte mobilité géographique et grande disponibilité. Ce schéma de carrière masculin, associé aux stéréotypes persistants, freine toujours leur progression.

E & C : Vous avez étudié le phénomène du «plafond de verre» au sein d'une grande entreprise publique. Comment celui-ci se constitue-t-il ?

Cécile Guillaume : Il résulte de la conjonction d'effets structurels, organisationnels et culturels. Parmi les effets structurels, on note une ségrégation professionnelle horizontale : les femmes occupent davantage des fonctions supports ou techniques que celles liées à l'organisationnel ou à l'opérationnel. Cette situation produit des filières d'opportunités professionnelles différentes. Ensuite, cette ségrégation horizontale se poursuit par une ségrégation verticale. Lorsque l'on monte dans la hiérarchie, les femmes tendent à disparaître alors qu'il existe un vivier important de femmes de moins de 35 ans diplômées de grandes écoles. Deux types de facteurs, organisationnels et informels, expliquent cette chute drastique.

E & C : Quels sont les facteurs organisationnels les plus pénalisants pour les femmes ?

C. G. : A la ségrégation d'entrée - liée aux diplômes, à l'origine sociale -, viennent s'ajouter les normes de carrière. Le système formel de gestion des carrières repose sur un modèle idéal masculin neutre, très discriminant pour les femmes. En reconstruisant les carrières professionnelles des dirigeants, on se rend compte qu'ils ont connu des parcours en spirale, nécessitant une mobilité géographique intense et une disponibilité présentielle forte. D'autre part, les processus informels de sélection-détection - effets de réseau et jeux d'influence - verrouillent encore davantage le système. Par exemple, les dispositifs pour détecter les hauts potentiels se jouent avant 35 ans. Cela suppose d'avoir atteint de grandes responsabilités avant cet âge-là. Or, les femmes en sont souvent incapables en termes de rythme et d'intensité. Ces normes ont été assouplies, voire éliminées, mais ce schéma de carrière reste ancré dans les cultures. Il existe un autre signe d'espoir : les effets démographiques pourraient être favorables aux femmes, entraînant la nécessité de fidéliser et de retenir les talents.

Par ailleurs, les normes informelles jouent également un grand rôle. Pour faire carrière, il faut être coopté. Cette tendance au clonage a tendance à favoriser l'entre-soi et l'homophilie, et n'est que faiblement compensée par l'action des professionnels des RH. C'est l'establishment qui repère et fait monter dans son sillage des gens qui lui ressemblent - mêmes origines sociales, mêmes diplômes, etc. Ce système de cooptation est relativement discriminant pour les femmes, même si, paradoxalement, il a permis à certaines d'entre elles d'être «aspirées» par un mentor homme.

E & C : Le poids des stéréotypes est-il important ?

C. G. : Effectivement, de manière plus insidieuse, la dimension sexuée de la gestion des carrières se niche dans les représentations sociales et culturelles associées à la figure du manager. A l'instar du test de personnalité MBTI utilisé pour la validation des potentiels et qui met l'accent sur le charisme ou la maîtrise des émotions requis pour exercer des fonctions d'encadrement. Lorsque l'on étudie la figure du dirigeant et les comportements et normes attendus, ils se déclinent, a priori, plus facilement au masculin : ambition, aisance relationnelle, capacités «naturelles» au leadership, sens de la compétition, etc.

E & C : Cette analyse est-elle valable dans toutes les entreprises ?

C. G. : Il faut tenir compte du contexte organisationnel et culturel propre à chaque entreprise. A l'origine des inégalités de carrière, on retrouve toujours à peu près les mêmes mécanismes (les femmes ont moins de temps à consacrer à la formation et sont moins mobiles ; les phénomènes de cooptation leur sont défavorables ; le temps partiel annule toute chance d'avancement...), mais ils ne se déclinent pas de la même façon, et parfois à un moindre degré. On retrouve également ces mécanismes lors du passage du statut Etam au statut cadre.

E & C : Comment percevez-vous les effets des politiques de diversité et d'égalité professionnelle. Et comment les DRH font-ils évoluer la situation ?

C. G. : Il y a, objectivement, une prise de conscience de la part des grandes entreprises et une attention spécifique portée aux femmes. Mais je ne suis pas sûre qu'atteindre 30 % de femmes dans l'encadrement permettra de les installer dans le long terme, car les femmes dirigeantes ne vont pas nécessairement favoriser leurs consoeurs. Elles ont souvent intégré les représentations masculines du pouvoir et estiment qu'il faut se couler dans le moule.

En réalité, c'est dans les organisations où la progression est liée aux diplômes et à des concours, et qui sont, paradoxalement, critiquées pour leur non-flexibilité, que les femmes ont le plus de chances de progresser grâce à leurs compétences.

Les DRH des grands groupes connaissent bien les mécanismes du plafond de verre et essayent de s'y attaquer en utilisant deux leviers : la voie de la négociation collective et des accords qui établissent des garde-fous pour endiguer la discrimination négative et essayer d'annuler les facteurs les plus discriminants - temps partiel, retour de maternité. L'autre levier est la politique de diversité, dans laquelle, cependant, la question des femmes, mélangée au reste, disparaît un peu.

Il faut coupler ces mesures de verrouillage avec des actions fortes de sensibilisation, car les personnes ne sont pas toujours conscientes du poids des représentations et des raisonnements discriminants indirects.

PARCOURS

• Cécile Guillaume est sociologue, maître de conférence en GRH à Lille-1 et chercheuse au Lise (Cnam-CNRS). Elle est spécialisée dans les déterminants de l'activité féminine et la question du genre dans la gestion des carrières et des parcours professionnels.

• Elle est l'auteure de nombreux articles, dont Le syndicalisme à l'épreuve de la féminisation : la permanence paradoxale du «plafond de verre» à la CFDT, Politix (n° 78, juin 2007), et, avec S. Pochic, La fabrication organisationnelle des dirigeants : un regard sur le plafond de verre, Travail, genre et société (n° 17, avril 2007).

LECTURES

Les femmes ingénieurs : une révolution respectueuse, Catherine Marry, Belin, 2004.

La mixité au travail, Sabine Fortino, édition La Dispute, 2002.

Managing like a man, Judy Wajcman, Pennsylvania State University Press, 1998.