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« La réforme de la représentativité syndicale est un pas dans le bon sens »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 09.09.2008 |

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« La réforme de la représentativité syndicale est un pas dans le bon sens »

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Le dialogue social en France est dans l'impasse. Une participation effective des salariés à la gouvernance de l'entreprise et un renforcement de la démocratie représentative pourraient améliorer les relations professionnelles. La réforme de la représentativité syndicale pourrait être un premier pas.

E & C : Le bilan des relations professionnelles en France vous semble préoccupant. Pouvez-vous nous en rappeler les enjeux ?

Antoine Bevort : Le système des relations professionnelles français est à bout de souffle, tout le monde en convient, mais les trois grands acteurs, patronat, syndicats, Etat, peinent à le réformer. En France, les entreprises restent le domaine réservé du patronat, tout en se signalant par une insatisfaction au travail record et un management souvent archaïque. Par ailleurs, l'Etat ne cesse de mettre en avant la nécessité du dialogue tout en imposant son point de vue de manière autoritaire, tandis que les syndicats, pour leur part, continuent à fonctionner sur le principe de l'avant-garde éclairée, militante ou professionnelle, insuffisamment soucieuse du point de vue des salariés.

Il semble que, dans l'Hexagone, la rhétorique participative remplace une participation effective des salariés à la gouvernance de l'entreprise et des administrations. Dans ce contexte tendu, la représentativité syndicale s'est clairement effondrée au cours des trois dernières décennies. L'émiettement finit de faire des syndicats des instances coupées de nombreuses catégories de salariés, notamment dans les PME du privé. La difficulté des syndicats à donner une place aux organisations de chômeurs et de précaires est également significative de la tendance à vouloir détenir, à la place des intéressés, le monopole de l'expression de leurs revendications. Ces carences de la démocratie sociale expliquent l'incapacité des parties prenantes à conclure un pacte social digne des enjeux économiques de la mondialisation.

E & C : Quels seraient les remèdes possibles ?

A. B. : Il faut trouver une nouvelle forme de démocratie sociale. Avec l'arrivée du chômage de masse, les revendications sociales sont devenues plus défensives qu'offensives et la signature des accords collectifs par des syndicats faiblement représentatifs est désormais un problème. La nécessité de développer de façon plus légitime le dialogue social s'est progressivement imposée aux partenaires sociaux. La réforme de la représentativité est un pas dans le bon sens, comme la perspective des accords majoritaires, mais l'importance de la période transitoire en dilue trop les effets. En outre, l'instrumentalisation de cette réforme par le gouvernement pour modifier profondément la réglementation du temps de travail est contraire à l'esprit même de la démarche.

Mais, au pays des Droits de l'Homme, la tradition démocratique est paradoxalement faible et tout se passe comme si les institutions représentatives - partis politiques, syndicats, presse... - n'arrivaient plus à représenter la société. La société française se révèle incapable de prendre en compte les problèmes et les aspirations de nombreuses catégories sociales. Au niveau syndical, on aboutit, ainsi, à la situation insupportable où les salariés les plus fragiles ne sont pas ou peu défendus. Une véritable révolution culturelle de la gouvernance des entreprises et des administrations, comme des organisations professionnelles syndicales et patronales, semble donc indispensable autour du concept de démocratie pour redonner à tous voix au chapitre.

E & C : Quels pourraient en être les axes forts ?

A. B. : Il faut créer les conditions permettant d'abandonner la tradition du «radicalisme réciproque», qui rend illégitimes les partenaires sociaux dans le camp adverse, et poser la question du pouvoir dans l'entreprise. Si la cogestion sur le modèle allemand reste illusoire, il faudrait évoluer vers une gestion plus partenariale des entreprises.

La multiplication des représentants salariés dans les instances de direction des entreprises permettrait de rendre plus légitimes et plus efficaces les décisions. De même, le développement de procédures type «alarme sociale», voire l'institution de commissions de conciliation en cas de conflit pourraient faire avancer les choses puisque la dimension d'arbitrage des conflits sociaux reste, en France, particulièrement faible. Le remède semble résider non dans un recours à l'Etat ou à l'autorité du chef d'entreprise, comme c'est trop souvent le cas dans l'Hexagone, mais dans le développement de la démocratie elle-même, c'est-à-dire dans le développement de la logique de la représentation.

Mais, en interne aussi, le renforcement de la démocratie devrait permettre aux syndicats de sortir de la logique des exclusions, divisions, scissions, pour travailler ensemble à proposer des solutions valides pour toutes les catégories de salariés.

PARCOURS

• Antoine Bevort est professeur de sociologie des relations professionnelles au Cnam et membre du Lise (Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique)-Cnam-CNRS.

• Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont celui cosigné avec Michel Lallement, Le capital social (La Découverte, 2004), et, en collaboration avec Annette Jobert, Sociologie du travail : les relations professionnelles (Armand Colin).

LECTURES

Le capitalisme d'héritiers. La crise française du travail, Thierry Philippon, coll. La République des Idées, Le Seuil, 2007.

Hannah Arendt contre la philosophie politique ?, Miguel Abensour, Sens & Tonka, 2006.