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Les pratiques

Une mobilisation des sans-papiers différente selon les secteurs

Les pratiques | Retour sur... | publié le : 15.07.2008 |

Deux mois après son déclenchement, le mouvement des salariés sans-papiers continue en région parisienne. Restauration et nettoyage rassemblent l'essentiel des grévistes, mais le bâtiment est lui aussi touché ; le secteur sécurité est épargné.

Deux mois après le début des grèves et des occupations menées par des salariés en situation irrégulière afin d'obtenir leur régularisation, une quarantaine de sites sont occupés en région parisienne. A l'heure actuelle, 500 personnes ont été régularisées sur les 1 500 qui ont déposé un dossier. La restauration a focalisé l'essentiel de l'attention. Les occupations de restaurants, situés pour l'essentiel dans les beaux quartiers de la capitale, par des cuisiniers étrangers, d'habitude invisibles, ont frappé les esprits. Qu'en est-il des autres secteurs de l'économie, connus pour employer des salariés sans papiers : bâtiment, nettoyage, sécurité ?

Secteur de la sécurité

Gros absent du conflit, le secteur de la sécurité. Une seule société, SDS, travaillant pour le magasin Fabio Lucci à Paris, a été touchée. Pourtant, selon Patrick Haas, fondateur de la société spécialisée dans l'information sur le marché de la sécurité «En toute sécurité», « un quart des 5 000 sociétés de gardiennage existant en France ne respectent pas la loi - non-déclaration des heures supplémentaires, emploi de personnes en situation irrégulière. »

Concurrence féroce

La volonté de moraliser la profession s'est exprimée, en 2007, par la signature d'un accord entre les deux organisations patronales du secteur de la sécurité et la Délégation interministérielle de lutte contre le travail illégal (Dilti), mais elle reste limitée. Le secteur est marqué par une concurrence féroce sur les prix et par la fragilité de nombreuses entreprises. D'après les estimations d'En toute sécurité, 1 200 sociétés du secteur se créent chaque année et le même nombre disparaissent. Le turn-over très important et la dispersion des salariés rendent la mobilisation très difficile.

Les entreprises du bâtiment et du nettoyage sont, elles, davantage touchées. En effet, sur la quarantaine occupées en région parisienne, une petite dizaine appartiennent au secteur du nettoyage, cinq à celui du bâtiment. En outre, une agence d'intérim spécialisée dans la construction est occupée.

Du côté du secteur de la propreté, une mobilisation réelle existe : si peu de sociétés sont touchées, la concentration de grévistes est importante. Phénomène remarquable toutefois, la faible féminisation du mouvement dans ce secteur où les femmes sont pourtant très nombreuses.

Les huit salariées de Ma Net, dans le 11e arrondissement de Paris, font figure d'exception. Isolées, très précarisées et devant faire face à leurs obligations familiales, les salariées du nettoyage n'ont pu massivement entrer dans le mouvement. Une situation à rapprocher de celles des salariées de l'aide à la personne, employées par des particuliers. Dans ce dernier secteur, une centaine de femmes ont déposé des dossiers en préfecture, via la CGT et les associations Droit Devant et Femme Egalité, moins d'une dizaine ont été régularisées.

Sous-traitance

Autre surprise, le petit nombre d'occupations dans le bâtiment, alors que certains de ces métiers, ne nécessitant pas de qualifications, emploient un gros contingent de travailleurs sans-papiers (près de 200 000 selon les associations de défense des droits des étrangers). L'explication tient essentiellement dans l'organisation sociale du secteur. « Dans un gros oeuvre très marqué par la sous-traitance, les salariés sans papiers ne sont pas embauchés directement par les entreprises donneuses d'ordres, explique Nicolas Jounin, sociologue et auteur de Chantier interdit au public*. Toutes les illégalités - notamment l'emploi de salariés en situation irrégulière - sont externalisées par le biais de la sous-traitance et du recours massif à l'intérim. » Or, les perspectives de régularisation par le travail sont très faibles pour les intérimaires : avant novembre 2007, elles étaient même inexistantes. En outre, l'organisation du travail elle-même rend la mobilisation plus difficile dans le bâtiment et le nettoyage que dans la restauration. « Sur les chantiers, il est relativement rare de travailler avec les mêmes personnes. Les équipes se font et se défont, c'est très différent d'une cuisine où un collectif de travail peut se mettre en place sur la durée », explique Nicolas Jounin.

Un véritable collectif de travail

Les salariés du bâtiment ne sont, toutefois, pas totalement absents de cette mobilisation. « Nombreux sont ceux qui contactent le syndicat par le biais des unions locales. Si quelques-uns font partie de grandes entreprises, l'écrasante majorité appartient à la sous-traitance et à l'intérim », explique Eric Aubin, responsable de la fédération CGT de la construction. Mais ces prises de contact ne débouchent pas encore sur des luttes. « Les entreprises en lutte appartiennent, elles, essentiellement au secteur de la démolition. Les conditions de travail y sont extrêmement difficiles, les procédures de sécurité très mal respectées - notamment en ce qui concerne l'amiante. » A la différence d'autres métiers du bâtiment, ces salariés travaillent ensemble, ont pu constituer un véritable collectif de travail, et, ainsi, se mobiliser.

* Editions La Découverte, 2008.

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