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Les dommages collatéraux du management par projet

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 15.07.2008 |

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Les dommages collatéraux du management par projet

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Le mode projet est une source de performance pour l'entreprise, mais il peut, à terme, se révéler destructeur pour les individus comme pour les collectifs professionnels. De nouvelles formes de gestion des ressources humaines sont donc à mettre en place.

E & C : Vous alertez aujourd'hui sur les dangers du management par projet. Quels sont les enjeux ?

Thierry Picq : La diffusion des pratiques projet est telle qu'elle semble, aujourd'hui, constitutive de la nouvelle idéologie du capitalisme. Quels que soient les secteurs, les injonctions d'engagement et les promesses de réalisation de soi, relayées par la littérature managériale, créent le mythe de l'action heureuse en projet. A cette description idyllique s'oppose, cependant, une réalité qui semble l'être beaucoup moins. Différents indicateurs montrent que l'intensification et la pression détériorent dangereusement les conditions de travail des équipes projet : l'augmentation inquiétante de l'absentéisme, des pathologies mentales, des maladies professionnelles, des accidents du travail, voire du suicide, ne peut que questionner la pertinence de ce type de management.

E & C : Quels sont concrètement les problèmes ?

T. P. : Il semble que le niveau d'exigence et de pression qu'un projet peut faire peser sur les individus soit largement sous-évalué, car les personnes se retrouvent dans une situation paradoxale ; elles vivent des formes de violence dont elles peuvent se considérer en partie responsables. Cela réduit leur capacité à s'y opposer et engage un processus d'isolement parfois destructeur. Défi mobilisateur et limité dans le temps, objectifs tendus, travail en équipe qui rompt avec la routine quotidienne : les projets sont des lieux d'engagement fort où l'individu est impliqué intellectuellement, socialement et affectivement. Mais il n'est pas sûr que le retour dans des modes de fonctionnement plus ordinaires soit facile ni le bénéfice, en termes de carrière, évident. Le travail en projet fait, en effet, peser un risque sur le développement des compétences et sur la cohérence du parcours de carrière de celui qui s'y engage. Les situations projet permettent d'expérimenter et d'acquérir des compétences managériales et transversales complémentaires des expertises techniques, mais la question de la reconnaissance et de la valorisation de ces acquis, qui ne rentrent pas forcément toujours dans les grilles métiers en fin de projet, reste posée.

E & C : Et concernant les risques collectifs ?

T. P. : Le projet bouscule les organisations et oblige à réfléchir aux arbitrages entre l'affiliation projet et l'affiliation métier. Certains, dans ces situations de tiraillement, choisissent plus ou moins explicitement le projet et s'éloignent progressivement des bonnes pratiques de leurs domaines d'expertise. Les structures métiers ne reconnaissent alors plus l'individu comme un porte-parole fiable. Inversement, l'individu ne se retrouve plus dans les règles de l'art de son métier d'origine, qu'il juge trop rigides et décalées par rapport aux exigences contingentes des projets. La multiplication des collectifs de travail transverses conduit à un éclatement des identités professionnelles et à une perte de repère pour les individus. Aux solidarités professionnelles traditionnelles se substituent des solidarités locales, opportunistes, dont bénéficie ou non l'individu en fonction de ses propres comportements et compétences. Mais, au-delà des individus, c'est toute l'organisation qui va s'affaiblir. Des situations individuelles isolées peuvent dégrader le potentiel de mobilisation collectif si elles se généralisent.

E & C : Quels sont les enjeux pour les services RH ?

T. P. : L'enjeu pour les organisations est de relever le défi managérial et RH représenté par le mode projet. Sur ce dernier plan, il faut reconnaître qu'à l'heure actuelle, la fonction RH reste mal adaptée à une population transversale et temporaire. Des pratiques visent, cependant, à mieux faire cohabiter projets et systèmes d'organisation pérennes en accompagnant les acteurs projet, gérant les compétences et préparant l'après-projet. Les expériences vont de la définition de référentiels des métiers du projet à des systèmes d'évaluation duale responsables hiérarchiques/responsables de projet, en passant par des évaluations à 360°, et par la sensibilisation des chefs de projet à la dimension RH ou par une meilleure intégration des projets dans les structures métiers.

Au-delà des aspects techniques, la question sous-jacente est de définir une gestion de projet qui participe d'une forme de «management durable» plutôt que d'une forme moderne d'exploitation. A cet égard, des enseignements sont à tirer, y compris des projets ratés, pour générer une dynamique vertueuse des forces prêtes à se réinvestir dans l'entreprise.

Parcours

• Thierry Picq dirige le département management des RH de l'EM Lyon.

• Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont Manager une équipe projet (Dunod, 2005), Manager un projet pour la première fois (éd. d'Organisation, 2007).

• Il est aussi coauteur d'un article, avec A. Asquin et G. Garel, sur «Le côté sombre des projets, quand les individus et les collectifs sociaux sont mis en danger par le travail en projet», dans Annales des Mines n° 90 (déc. 2007).

Lectures

Wikinomics, Don Tapscott et Anthony Williams, Village Mondial, 2007.

Foules intelligentes, Howard Rheingold, M2 Editions, 2005.