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Les entreprises prennent le virage de la prévention

Enquête | publié le : 24.06.2008 |

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Les entreprises prennent le virage de la prévention

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Alors que la moitié des accidents mortels du travail sont des accidents de la route, la prévention du risque routier a, pendant longtemps, été mise en jachère. Une période qui semble révolue. Les entreprises abordent désormais cette question en mettant en oeuvre des démarches préventives globales.

Lorsque Stéphane Seiller, le patron des risques professionnels de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts), se penche sur le tableau des toutes dernières statistiques de la sinistralité routière en entreprise, cet énarque, passé aussi par l'Ensae, fait grise mine. En dépit de progrès évidents avec, notamment, une diminution de 57 % des accidents mortels de mission (liés à l'activité professionnelle proprement dite) entre 2000 et 2006, les accidents routiers de trajet (déplacements domicile-travail) ont encore représenté, l'an dernier, 13 % du montant des indemnités journalières versées par la branche ATMP au titre des accidents du travail, soit 220 millions d'euros. Nombre total de journées perdues en 2007 ? Plus de 5 millions. « La durée moyenne d'un arrêt de travail lié à un accident de la route est de 70 jours, contre 50 jours pour l'ensemble des accidents de travail », précise Jean-Claude Robert, président de l'association PSRE (Promotion et suivi de la sécurité routière en entreprise). Quant aux accidents mortels de la route (446 en 2007, dont 319 relatifs aux trajets), ils représentent toujours la moitié des accidents mortels du travail. Principaux secteurs concernés : le transport (40 % des accidents mortels de mission), le BTP (19 %), l'intérim (9,5 %), les services (9,5 %) et la distribution alimentaire (8,6 %). Les chiffres de la sinistralité routière sont également significatifs pour le secteur agricole et pour la fonction publique territoriale. Selon les données de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), les accidents de trajet siphonnent 12 % des allocations invalidité.

Risque professionnel spécifique

« Le risque routier est un risque professionnel spécifique, souligne Laurent Baron, chef de projet à l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). D'une part, les salariés, hors secteur des transports, conduisent beaucoup plus pour leur travail que pour leurs loisirs. D'autre part, les salariés conducteurs ont des marges de manoeuvre réduites. Dans la sphère privée, il est possible, par exemple, d'éviter de conduire la nuit. Au travail, il n'y a pas de stratégies de contournement. »

Enjeu national

Il a fallu, toutefois, attendre 2001 et la création du «Comité national de pilotage de prévention du risque routier encouru par les salariés» - une structure qui associe la Délégation interministérielle à la sécurité routière, la Direction générale du travail, la Cnamts, la CNRACL, la Mutualité sociale agricole et, depuis peu, le régime social des indépendants - pour que ce risque professionnel devienne un véritable enjeu national. De même, dans la première mouture du document unique, le risque routier était purement et simplement absent.

Objectifs 2009-2012

La Cnamts en fait, depuis, un de ses objectifs prioritaires, aux côtés de la prévention des TMS et des risques liés aux substances CMR (cancérogènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction). « Il est probable que le risque routier soit à nouveau inscrit dans notre convention d'objectifs pour la période 2009-2012 », indique Stéphane Seiller. On le retrouvera également dans les feuilles de route que sont en train de fixer les neuf comités techniques nationaux (CTN). La plupart de ces organismes consultatifs paritaires, chargés d'épauler la Cnamts et la Commission ATMP dans les branches, devraient, en effet, s'emparer du risque routier dans leurs futurs plans d'action, qui seront diffusés à l'automne. « Notre objectif est de décliner des actions simples, efficaces, qui tiennent compte des spécificités des branches », ajoute le directeur des risques professionnels.

La conduite, un acte de travail

Le 13 février dernier, c'est le gouvernement qui est monté au créneau, lors d'un comité interministériel de la sécurité routière qui restera peut-être gravé dans les annales. Le Premier ministre a, en effet, demandé que soit examinée la possibilité de considérer la conduite, pendant un déplacement professionnel, comme un acte de travail, et le véhicule, utilisé dans un cadre professionnel, comme un équipement de travail. Une piste de réflexion qui serait de nature à «booster»davantage les politiques de prévention en entreprises.

Contraintes de prévenir le risque mission mais simplement incitées à gérer le risque trajet, celles-ci prennent, toutefois, cette problématique de plus en plus au sérieux. Responsabilité pénale des dirigeants sans cesse recherchée (lire encadré p.25), coûts parfois exorbitants engendrés par un accident (cotisations ATMP, prime d'assurance, absentéisme...), durcissement de la répression routière, les entreprises répondent également à une demande sociale exprimée par leurs collaborateurs.

« Les messages martelés par la sécurité routière sur les risques liés à l'alcool, à la vitesse, au port de la ceinture ou à l'usage du téléphone au volant portent leurs fruits. Les salariés sont aussi conscients qu'avec le système du permis à points, ils peuvent perdre leur travail en cas de retrait. Ils sont donc demandeurs d'actions de sensibilisation aux risques et de formations », observe Thierry Fassenot, ingénieur-conseil à la Cnamts, en charge de la question des risques routiers.

Un risque géré comme les autres

« Il y a encore quelques années, on mettait sur le compte de la fatalité ou de l'imprudence une voiture cabossée et l'accident très grave. Aujourd'hui, le risque routier est géré comme les autres risques professionnels », abonde Jean-Philippe Monnate, directeur général d'Automobile Club Prévention, une filiale de la Fédération française des automobiles clubs, qui conseille de nombreuses entreprises.

Même le risque trajet, parent pauvre de la prévention, alors qu'il génère les deux tiers des accidents routiers liés au travail, commence à être pris en compte. « Les entreprises et les salariés considéraient que ce risque relevait de la sphère privée. Un discours relayé avec force par les représentants du personnel. Or, chacun a commencé à prendre conscience que l'accident de trajet était bien un accident du travail. Notamment parce que nombre d'accidents ont eu lieu dans l'enceinte même de l'entreprise et qu'ils entraînent des arrêts de travail aussi longs que pour les accidents de mission », note Jean-Claude Robert.

Si les entreprises ont commencé par gérer ce risque en sensibilisant leurs collaborateurs après le fameux pot de fin d'année, elles adoptent, aujourd'hui, des démarches beaucoup plus étayées. La montée en puissance de la thématique du développement durable et l'augmentation des prix des carburants les incitent à encourager le covoiturage et à privilégier des modes de transport alternatifs à la voiture via, par exemple, la mise en place de plans de déplacements d'entreprise (PDE, lire p.26). « Une pratique qui concerne essentiellement les grandes agglomérations et qui se heurte à l'éloignement des salariés des centres urbains à cause de la flambée des prix de l'immobilier », tempère Laurent Baron.

Embauches locales

Chez Sodebo, une entreprise vendéenne d'agroalimentaire qui emploie 2 000 salariés sur un site unique, la gestion du risque trajet est intégrée dans la politique de recrutement. Les embauches locales ont la faveur de la DRH. « En moyenne, nos salariés parcourent 15 km pour venir travailler. Pour réduire encore les déplacements, nous allons ouvrir, en juin 2009, une crèche d'entreprise. Nous réfléchissons également à la création, dans l'enceinte de l'entreprise, d'une station d'autocontrôle de l'état des pneumatiques des véhicules », indique Yohann Gauducheau, technicien sécurité chez Sodebo.

La PME n'abandonne pas pour autant la prévention du risque mission, qui cible en priorité ses 70 commerciaux itinérants. Bonne élève, Sodebo travaille sur les quatre volets recommandés par la Cnamts : management des déplacements (une personne est exclusivement dédiée à l'organisation des déplacements des commerciaux), des communications (interdiction, spécifiée dans le contrat de travail, d'utiliser son téléphone portable en conduisant), des compétences (formations à la conduite), des véhicules (politique d'entretien de la flotte d'entreprise).

Problématique de santé

Fait nouveau, les démarches préventives sur le risque routier intègrent, désormais, des problématiques de santé au travail (addictions, TMS, lombalgies...). « Les initiatives sont de moins en moins «gadget» et commencent à impliquer la DRH, les représentants du personnel et la médecine du travail », observe Jean-Claude Robert.

Autre levier incontournable pour les entreprises : la mise en place d'une organisation du travail adaptée, un message que martèlent les préventeurs. Une question qui est aussi intimement liée au type d'activité de l'entreprise. Les solutions adoptées portent généralement sur l'optimisation des déplacements, en particulier pour les commerciaux ou les visiteurs médicaux, l'accès au télétravail, et sur le déploiement de nouvelles technologies comme la visioconférence. « Le risque routier n'est pas un risque professionnel techniquement difficile à prévenir. Tout repose, finalement, sur la volonté du dirigeant de l'entreprise », assène Laurent Baron.

L'essentiel

1 De mission ou de trajet, l'accident routier pèse toujours aussi lourd dans les comptes des entreprises et de l'assurance maladie.

2 Depuis le début des années 2000, la prévention de ce risque professionnel est devenue une priorité de la Cnam et des pouvoirs publics.

3 Du coup, les entreprises se sont lancées dans des politiques de prévention. Nouveauté : les démarches recouvrent une dimension globale intégrant, notamment, des problématiques de santé au travail.

Des mouchards au service de la prévention 30 % des employeurs méconnaissent leur responsabilité

« D'ici à la fin 2008, nous avons l'objectif d'équiper environ 1 500 véhicules », indique Jérôme Vignancour, directeur technique flotte autos entreprise d'Axa France. Si le chiffre peut paraître bien modeste au regard des 700 000 véhicules de société assurés par cette entreprise, il représente une petite révolution technologique dans l'univers de la prévention routière.

Depuis fin 2007, en effet, l'assureur, en association avec Orange Business Services, propose d'équiper des véhicules, déjà munis de boîtiers de géolocalisation fournis par l'opérateur, d'un système d'enregistrement de données liées aux comportements de conduite.

Validation de la Cnil

Validé par la Cnil (les données sont traitées de manière globale et archivées pendant deux mois), ce dispositif est, par exemple, capable d'analyser les itinéraires empruntés, le kilométrage parcouru, le respect des limitations de vitesse.

« Nous pouvons, ainsi, fournir à nos clients des indicateurs très précis leur permettant d'améliorer leur connaissance du risque routier, de mieux sensibiliser leurs collaborateurs et d'ajuster leur politique de prévention », souligne Jérôme Vignancour. Impliqué depuis longtemps dans la prévention du risque routier via une offre de services destinée aux entreprises (analyse de la sinistralité, conseils, formation), Axa France peut, désormais, grâce à cette solution de télématique embarquée, envisager de proposer le «pay as you drive». Ce système, né aux Etats-Unis, consiste à individualiser la prime d'assurance en fonction de la qualité de la conduite et de la distance parcourue. « Le coût assurantiel représente un tiers du coût global d'un sinistre routier », rappelle Jérôme Vignancour.

J.-F. R.

Trois ans de prison ferme et 45 000 euros d'amende, telle est la peine maximale encourue par un dirigeant d'entreprise dont la responsabilité a été reconnue (pour un défaut d'entretien du véhicule, une charge de travail excessive...) à l'occasion d'un accident de la route impliquant un de ses salariés dans le cadre de son travail. Selon un sondage Ifop, réalisé pour PSRE, 30 % des employeurs ignorent que leur responsabilité pénale ou civile peut être recherchée. Les 70 % restants appréhendent très mal, quant à eux, les conséquences judiciaires (montant de l'amende, peine d'emprisonnement).

A noter que la victime d'un accident ou ses ayants droit peut engager, devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, une procédure pour faute inexcusable de l'employeur en réparation des préjudices subis. L'addition peut encore se corser avec un renchérissement du taux de cotisation ATMP et de la prime d'assurance. J.-F. R.

Un risque «charté»

Le risque routier est sans doute le risque professionnel qui suscite le plus grand nombre de signatures de chartes engageant des entreprises dans la prévention. Sous l'égide de la Cnamts et de la Délégation interministérielle à la sécurité routière, près de 50 textes ont été paraphés par des entreprises et des organisations professionnelles, ces dernières étant chargées de mobiliser leurs adhérents. Mais il est aussi possible pour une entreprise de se «charter» localement avec une Cram, une préfecture ou encore un organisme consulaire. Pour quelle efficacité ? « Les signataires enregistrent des résultats très satisfaisants en matière de réduction des accidents », soutient Cécile Petit, déléguée interministérielle à la sécurité routière (lire p. 33). « Une charte ne sera efficace que si sa mise en oeuvre est évaluée par des bilans d'étape. Gare aux déclarations pavées de bonnes intentions », avertit un préventeur.

Le Prisme, syndicat patronal du secteur de l'intérim, est le dernier signataire en date de la charte Cnamts/Sécurité routière. Objectif : irriguer les entreprises du travail temporaire et, par ricochet, leurs agences, des messages de prévention de la Sécurité routière afin de sensibiliser les intérimaires et les salariés permanents. Dans un second temps, « les entreprises engageront des politiques de prévention, explique Dominique Delcourt, responsable juridique du Prisme. Le but est bel et bien de faire vivre cette charte ». En 2006, le secteur de l'intérim a enregistré 861 accidents de mission, représentant 1,48 % des accidents du travail, contre 3,11 % pour l'ensemble des secteurs. En revanche, les 4 132 accidents routiers de trajet ont représenté 77 % des accidents de trajet toutes causes confondues (piéton, bus...), pour 70 % dans l'ensemble des secteurs.

Saint-Nazaire, le bassin d'emploi se mobilise

L'association PSRE (Promotion et suivi de la sécurité routière en entreprise) a lancé, dans six bassins d'emploi, le projet 50Cinq. Objectif : réduire de 50 % en cinq ans les accidents avec arrêt de travail liés à la route, et ce, dans chaque bassin concerné. « L'idée est de rassembler le maximum d'acteurs pour mettre au point des actions concertées. Le bassin d'emploi a été choisi, car s'y concentrent les intérêts communs de tous les partenaires : entreprises, communes, conseil général, organisations professionnelles, services de l'Etat, etc. », explique Gérald Ploquin, administrateur de PSRE et responsable du projet 50Cinq sur le territoire de la Carène (communauté d'agglomération de la région nazairienne et de l'estuaire de la Loire).

C'est sur ce bassin d'emploi, qui regroupe 10 communes et 70 000 salariés autour de Saint-Nazaire, qu'a été menée la première expérimentation. Un comité de pilotage a été constitué en 2003, réunissant décideurs politiques, entreprises et la Cram.

Transport alternatif

Première étape : le diagnostic. Il a été mené grâce à une enquête effectuée auprès de 10 000 salariés. Résultat : 95 % d'entre eux viennent travailler en voiture, mais ils ont des attentes en matière d'infrastructure et de transport alternatif à la voiture. Ils ont aussi signalé les points dangereux sur leur trajet domicile-travail. A partir de là, le projet 50Cinq s'est décliné suivant trois axes d'intervention : infrastructures, covoiturage, sensibilisation aux comportements accidentogènes. Un grand nombre d'entreprises (dont Aker Yards, ex-Chantiers de l'Atlantique) ont organisé des formations à la conduite sécurisée. Des pistes cyclables ont été réhabilitées par la commune nazairienne sur la zone portuaire. L'agglomération de la Carène a lancé, en septembre 2007, un covoiturage interentreprises. La décision de l'installation d'un rond-point à un endroit accidentogène de la zone de Brais (qui compte 70 PME) est actée. Les avancées sur les transports en commun sont plus lentes. « Il faut sept ans pour installer une nouvelle ligne de bus ou pour augmenter la fréquence des bus », observe Patrick Oberto, père du projet 50Cinq. En attendant que ces actions de long terme produisent leurs effets, l'expérience 50Cinq sur le bassin de Saint-Nazaire a permis de réduire les accidents de 28 % entre 2002 et 2007.

VIOLETTE QUEUNIET