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La revitalisation, l'espoir des territoires sinistrés

Enquête | publié le : 03.06.2008 |

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La revitalisation, l'espoir des territoires sinistrés

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Depuis 2002, 349 conventions de revitalisation ont été signées pour compenser la suppression de 50 000 emplois. Mais, tous les territoires ne sont pas logés à la même enseigne.

Le président de la République, Nicolas Sarkozy, va-t-il mettre en oeuvre un fonds national de réindustrialisation ? Annoncé le 21 février, lors d'une visite sur le site de l'ex-usine Metaleurop (Pas-de-Calais), le projet vise à affirmer la prééminence du politique pour le maintien du tissu industriel. Les plans sociaux ne sont pas uniquement l'affaire des entreprises. Il s'agit de « mettre le paquet là où il y en a le plus besoin », c'est-à-dire sur des territoires laissés exsangues par des suppressions d'emploi ou une fermeture de site : les Ardennes, par exemple, avec la liquidation judiciaire de Lenoir-et-Mernier, ou encore le Haut-Jura, avec le redressement judiciaire de Smoby... En théorie, donc, les pouvoirs publics ont un devoir d'intervention. Mais, en pratique, comment ce fonds fonctionnerait-il ? Comment serait-il alimenté ? L'Etat et les entreprises seraient-ils partenaires ? Qui paierait pour les entreprises en liquidation judiciaire et en dépôt de bilan ? Enfin, ce fonds jouerait-il un rôle d'accompagnement pour les porteurs de projets ou uniquement celui de guichet financier ? Quelles seraient les marges de manoeuvre des collectivités locales ? Les groupes qui font des bénéfices pourraient-ils l'utiliser ? Bercy peaufine, actuellement, les derniers arbitrages. Mais, d'ores et déjà, plusieurs positions s'affrontent.

Déresponsabilisation

Michel Ghetti, président-directeur général de France Industrialisation & Emploi (FIE, filiale de HR Consulting Network, un cabinet-conseil en ressources humaines), craint que ce dispositif « exonère les entreprises de toute responsabilité en transférant l'argent privé vers le public. C'est une vieille vision administrative qui revient ».

Jean-Michel Demangeat, fondateur, en 1993, de la Sofred (ex-Giat Industries reprise par l'Adit, l'Agence pour la diffusion de l'information technologique), pense, en revanche, que l'idée « est bonne, car elle permet d'exprimer la solidarité nationale vis-à-vis de territoires en difficulté. Reste à faire en sorte que ce ne soit pas une machine administrative déconnectée des enjeux locaux ».

Plusieurs outils existent, aujourd'hui, pour assurer la réindustrialisation des territoires. En 2003, Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, avait lancé les contrats de site, chargés d'accompagner les victimes des licenciements, en mobilisant des « moyens exceptionnels » (Etat, service public de l'emploi, collectivités locales, entreprises). Mais les résultats restent contrastés. Tous n'ont pas tenu leurs promesses.

Obligation de création d'activités nouvelles

C'est surtout la loi de modernisation sociale de 2002, puis celle de cohésion sociale, du 18 janvier 2005, qui ont pesé sur la revitalisation, avec l'obligation pour toute société de plus de 1 000 salariés entamant un PSE de favoriser la création d'activités nouvelles pour des montants qui ne peuvent être inférieurs à deux fois le Smic brut mensuel par emploi supprimé.

Seb a fermé l'ancienne usine Moulinex-Seb, à Fresnay-sur Sarthe, en juin 2007. Le groupe a supprimé 130 emplois sur 220 (en raison des préretraites et de la mobilité interne) et a versé 660 000 euros, soit l'équivalent de 5 120 euros par emploi supprimé (4 Smic mensuel brut). Un an après, la somme a été déboursée. L'ancienne usine va accueillir Eiffage Construction, filiale du groupe de BTP, qui vient d'y élire domicile en réalisant un investissement de 3 millions d'euros. Selon Sarthe Expansion, une agence départementale de développement économique, une centaine de recrutements sont prévus d'ici à cinq ans, notamment de maçons et de salariés du second oeuvre (plomberie, électricité).

Selon l'impact des suppressions de poste

HP a déboursé, de son côté, 2,6 millions d'euros pour son PSE de 2005, qui prévoyait environ 900 départs volontaires sur quatre sites du groupe : Grenoble, l'Isle-d'Abeau (38), les Ulis (91), Sophia-Antipolis (06) et Issy-les-Moulineaux (92). La contribution financière a varié en fonction de l'impact des suppressions de poste sur le bassin d'emploi : 2 Smic dans les Hauts-de-Seine (151 emplois supprimés) ; 2,5 Smic à Grenoble (280 emplois supprimés) et jusqu'à 4 Smic aux Ulis (157 suppressions d'emploi) et à l'Isle-d'Abeau (127 emplois). En revanche, aucune pénalité n'a été retenue à Sophia-Antipolis (39 emplois supprimés).

Dans la peau d'une capital-venture

« Nous n'avons pas joué uniquement un rôle de banquier, indique, pourtant, Sylvain Sadier, directeur du développement économique de l'entreprise. Tout le monde a intérêt à ce que le bassin d'emploi se développe. C'est pourquoi, nous avons ouvert notre carnet d'adresses, conseillé les entreprises voisines, mis à disposition du matériel (calculateur scientifique) et cherché des fournisseurs. On s'est mis un peu dans la peau d'une capitalventure. »

Les actions de revitalisation ont, elles aussi, varié en fonction des besoins des territoires. Ainsi, à l'Isle-d'Abeau, HP a financé l'ouverture d'un Institut de formation au commerce (IF), en partenariat avec l'Ecole de management de Grenoble et la chambre de commerce et d'industrie. Dans les Hauts-de-Seine, la priorité a été donnée à un programme d'aide à l'exportation pour des PME du bassin vers les Emirats arabes.

Une loi similaire pour tous

Au total, entre 2002 et 2007, 349 conventions de revitalisation ont été signées, selon la DGEFP (Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle). Les entreprises ont versé 235 millions d'euros pour compenser 50 000 emplois détruits, soit 673 352 euros par convention (lire encadré p. 26). Mais, pour Michel Ghetti, le bilan est relativement décevant : « Sur 128 conventions arrivées à échéance, le taux de remplacement des emplois détruits est de 60 %. » Trop faible ?

Les acteurs de la revitalisation pensent, eux, améliorer ces résultats en changeant les règles. Alain Petitjean, directeur général de la Sodie, numéro un du secteur, revendique une loi similaire pour tous : « Selon les cas, le préfet se contente du minimum légal de deux fois la valeur du Smic par emploi supprimé. Appliquons le cadre législatif avec équité. »

Pour Xavier Tedeschi, Pdg d'Horemis, une entreprise spécialisée dans le reclassement, « il est essentiel de réduire le décalage calendaire. Entre la suppression d'un emploi et le moment où le salarié est effectivement reclassé, il faut bien vivre ». « Il faut que ce soit concomitant et cohérent, ajoute Dominique Goudron, directeur au sein d'Algoé secteur public. La revitalisation doit se mettre en place dès l'annonce d'un PSE afin que nous puissions savoir sur quels atouts faire reposer les plans de formation des salariés à reconvertir. L'anticipation est primordiale. »

Projets modestes

D'un territoire à l'autre, les options retenues sont différentes. Mais une chose est sûre : sans viser un effet Toyota comme à Valenciennes ou encore l'implantation de centres d'appels générant des centaines d'emplois, la plupart des actions misent sur des projets modestes, et en particulier sur le développement endogène des PME-PMI déjà en place afin de diversifier l'emploi des bassins concernés, via des prêts ou des subventions pour «booster» les projets dormants.

Détecteur et accélérateur de projets

Le métier de la revitalisation ? « Ce n'est pas très spectaculaire, prévient Alain Petitjean. C'est même un métier un peu ingrat. Aujourd'hui, notre rôle consiste surtout à détecter un projet dormant dans une petite entreprise du bassin d'emploi concerné. Le projet moyen représente 10 emplois dans une entreprise de 15 salariés appartenant au secteur de l'industrie ou des services à l'industrie. Il y a quelques années, il en faisait plus de 25 dans une entreprise de 50 salariés. Nous sommes des détecteurs, puis des accélérateurs de projet. Notre vrai métier, c'est d'aller dans les PME, là où il n'y a pas de DAF, de DRH, et de faire le boulot, de discuter avec le chef d'entreprise, de voir ses projets, de l'accompagner dans sa recherche. Le financement vient après. »

Un avis partagé par Pierre Allain, directeur des affaires sociales de Vivendi, qui a prévu de débourser 25 millions d'euros en cinq ans pour revitaliser onze bassins d'emploi défavorisés, en échange d'avantages fiscaux. Trois missions sont actuellement terminées, celles d'Arles, de Sarrebourg et de Beauvais (1 825 emplois créés). « Les acteurs du développement économique se sont appuyés sur le soutien des entreprises du cru ; 87 % de la revitalisation est endogène, prévient-il. La quasi-totalité des créations d'emploi (93 %) sont le fait de PME-TPE. »

Trouver des filières de remplacement

Mais, quels que soient les moyens déployés, la difficulté de la tâche ne doit pas, toutefois, être masquée. Trouver des filières de remplacement sur un territoire est ardu. Les Vosges l'ont appris à leurs dépens. L'implantation de l'entreprise Modulex, annoncée en fanfare, en 2006, avec 250 emplois sur le site de Seb, a tourné au vinaigre. Trop beau pour être vrai ? Le département s'apprête, aujourd'hui, à tourner la page, grâce au groupe français Ossabois, spécialiste des maisons individuelles, qui prendra le relais sur l'ancien site de Seb. Ce qui l'a attiré ? « La capacité à accompagner les salariés de l'électroménager vers de nouveaux métiers, indique Marc de Ferrière, directeur de CDID (C & D International Dynamix), à l'initiative de l'implantation. L'employeur est à Clermont-Ferrand et il recherchait une autre usine. Il a été séduit par les formations de reconversion proposées aux ex-salariés de Seb. » L'entreprise a commencé à fonctionner, en mars dernier, avec 40 salariés, mais l'effectif doit monter à 130 personnes. Soit l'équivalent des salariés employés par Seb jusqu'en 2006.

L'essentiel

1 Depuis 2002, les entreprises ont versé 235 millions d'euros (44 millions en 2007) pour compenser 50 000 emplois détruits.

2 Mais, toutes les entreprises ne participent pas à l'effort de revitalisation. Sont exclues du dispositif celles en dépôt de bilan, celles en liquidation judiciaire ou comptant moins de 1 000 salariés.

3 D'où l'idée du gouvernement de créer un fonds national de réindustrialisation pour assurer une équité à tous les territoires.