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« La mixité, un enjeu économique pour l'entreprise »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 27.05.2008 |

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« La mixité, un enjeu économique pour l'entreprise »

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Mener une politique de mixité hommes/femmes pour se conformer à la loi ne suffit pas. La fidélisation et la promotion des femmes sont des enjeux stratégiques pour les entreprises, car leur performance économique en dépend.

E & C : Dans votre livre Womenomics*, vous soulignez le pouvoir économique des femmes. Sur quels constats vous appuyez-vous ?

Avivah Wittenberg-Cox : Plusieurs études, menées ces dernières années, apportent des chiffres saisissants. La banque Goldman Sachs a montré que la zone euro pourrait gagner 13 % de PIB en réduisant simplement le différentiel du taux d'emploi entre les hommes et les femmes. McKinsey et l'organisme d'études Catalyst ont démontré que plus il y a de femmes dans les conseils d'administration et les comités exécutifs, plus les entreprises sont performantes sur le plan financier. A partir de trois femmes dans les instances dirigeantes, le rendement sur capitaux propres de ces entreprises est supérieur de 83 % à celui des entreprises ayant la représentation féminine la plus faible ! Quand on sait que l'on est en pleine crise des talents, ce constat est paradoxal. Nous sommes tout proches d'une partie de la solution sans même nous en rendre compte.

Par ailleurs, le pouvoir d'achat des femmes ne cesse de croître. Les entreprises fabriquant des biens de consommation n'ont pas des clients mais des clientes : aux Etats-Unis, par exemple, ce sont les femmes qui décident de 80 % des achats en biens de consommation.

E & C : Beaucoup de grandes entreprises mènent pourtant des actions en faveur de la mixité. Mais vous êtes très critique à leur sujet...

A. W.-C. : Il est temps de reconnaître que les femmes ne sont ni une minorité, ni une diversité. Nous sommes une majorité. Les entreprises mènent souvent une politique de mixité pour se conformer à la loi. Le problème n'est pas là. Les approches «diversité» actuelles ont souvent comme message sous-jacent : si les femmes n'y arrivent pas, c'est qu'elles ne sont pas assez compétentes, il faut donc les aider. Il est temps de poser la question : si les entreprises ne sont pas mixtes à tous les niveaux, quel est leur problème ? C'est à la direction de l'entreprise d'analyser cette situation et d'arrêter de croire que le problème vient des femmes. Il faut que les entreprises se demandent s'il est stratégiquement important pour leur business d'avoir un équilibre hommes/femmes. Si oui, à elles d'évoluer. Car le fond du sujet, c'est que les cultures des hommes et des femmes sont différentes et que les femmes en ont assez de s'adapter à la culture des hommes comme elles le font depuis des décennies. Les femmes sont devenues «bilingues», aux entreprises de le devenir. Car le management indifférencié des hommes et des femmes élimine les femmes du pouvoir.

E & C : Pouvez-vous donner un exemple ?

A. W.-C. : Les grands groupes ont un système d'identification des hauts potentiels qui se fait, généralement, envers des personnes de 30 à 35 ans. On ne peut pas imaginer pire moment pour les femmes que d'être identifiées haut potentiel dans cette tranche d'âge. Ce critère à lui seul suffit à éliminer pratiquement l'ensemble des femmes, qui, souvent, ont des enfants pendant cette période. Car il faut avoir, à ce moment-là, une entière disponibilité, être prêt à bouger à l'international et à s'investir davantage.

E & C : Quelles actions préconisez-vous pour que l'entreprise s'adapte aux femmes ?

A. W.-C. : Il faut que la démarche soit soutenue par le Pdg, qui, lui-même, convainc le comité exécutif de mettre en oeuvre ce processus de mixité. Ce sujet doit être une priorité, ce qui implique de le traiter comme n'importe quel autre sujet de business ou de changement. Pour le mener, il faut nommer quelqu'un qui a du leadership, qui est crédible auprès de toute la population de l'entreprise. Et puis, il faut éveiller le management, hommes et femmes, à ce sujet. Quelles sont les différences à gérer dans leur entreprise et pour leurs clients ? Il faut donc intégrer cette problématique dans tous les programmes de formation. Bien menée, cette politique de changement n'est ni particulièrement chère, ni particulièrement longue.

Certaines entreprises ont su, avec un leadership fort et en une poignée d'années, changer complètement la donne. Il faut rappeler que c'est une démarche gagnant/gagnant. Si les entreprises sont plus performantes quand elles ont des femmes au conseil d'administration, cela signifie qu'il existe une vraie méritocratie. Donc, aujourd'hui, on peut dire qu'une entreprise sans femmes dans ses instances dirigeantes ne fonctionne pas à la méritocratie. Et, à la longue, ce type d'entreprise perdra du terrain. Car d'autres ont compris qu'il s'agit d'un avantage concurrentiel.

E & C : Quel rôle peut jouer le DRH dans la promotion des femmes ?

A. W.-C. : Les RH sont essentielles pour analyser le sujet et produire des études et des chiffres sur l'existant, qui éclaireront le comité d'exécution. Tant qu'on n'a pas ces données, on ne peut pas dire s'il y a un biais sur le genre ou pas.

C'est plutôt dans l'entreprise devenue «bilingue» que les RH auront à relever beaucoup de défis : gérer des équipes plus flexibles, avec peu de hiérarchie, et pas forcément présentes au bureau. C'est dans ce genre d'entreprise que les femmes se sentent le plus à l'aise. Et c'est aussi l'évolution des entreprises au XXIe siècle.

* Editions Eyrolles.

Son Parcours

• Avivah Wittenberg-Cox est Pdg de 20-First, une des principales sociétés de conseil en mixité en Europe. Elle a fondé l'association European Professionnal Women's Network (EPWN), active dans quinze pays d'Europe, dont elle est, aujourd'hui, présidente d'honneur.

• Diplômée de l'Insead, elle a débuté sa carrière comme informaticienne chez L'Oréal, puis a travaillé chez Towers Perrin.

• Elle vient de publier, en collaboration avec Alison Maitland, Womenomics : la croissance dépend aussi des femmes (Eyrolles-éd. d'Organisation).

Ses lectures

Unless, Carol Shields. Disponible en français sous le titre Bonté, Livre de Poche, 2005.

Talking from 9 to 5, Women and men at work : language, sex and power, Tannen Deborah, éd. Virago, 1996.

Women don't ask - Negotiation and the gender divide, Linda Babcok & Sara Laschever, Princeton University Press, 2003.