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Les pratiques

La fabrication de téléviseurs zappée à Dreux

Les pratiques | Retour sur... | publié le : 20.05.2008 |

La suppression de 279 postes sur les 542 de l'usine Philips EGP de Dreux, dernier site d'assemblage des téléviseurs en France, est une mauvaise nouvelle pour l'emploi industriel, mais pas une surprise. Philips, depuis 1990, se sépare de ses usines, en y mettant les formes.

Le corps empaqueté dans les cartons des LCD 32 pouces, écrans plats, les ouvrières de la ligne G1 ont défilé, le 19 avril, dans les rues de Dreux. Evelyne, 45 ans, Marie, 43 ans, Claudine, 43 ans, ont répondu à l'appel de la CGT, qui inaugurait la série de manifestations que les syndicats promettent en réponse aux premiers licenciements prévus dès août prochain, dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE).

Aider le personnel à se reclasser

D'ores et déjà, le cabinet Syndex a été chargé d'en analyser le contenu. Les possibilités qu'il offre seront présentées en réunion du comité extraordinaire d'entreprise, le 27 mai prochain. « Philips essaie de faire des licenciements propres, commente sobrement Eric Sirantoine, délégué CFDT. Leur idée, c'est d'aider le personnel à se reclasser. Mais, dans les bassins d'emploi sinistrés, c'est sans issue. » Et le bassin d'emploi de Dreux n'a pour point d'appui que son hôpital et un modeste secteur pharmacie. « Dreux connaît un taux de chômage de 25 % et le Drouai, de 10 %, explique Françoise Duthu, élue Vert de Dreux (dans l'opposition), maître de conférence en économie. Ici, la nouvelle fait d'autant plus mal que l'usine était bénéficiaire en 2007. »

Richard Woods, directeur de l'usine, a justifié la suppression de postes devant la presse locale par deux arguments : « La baisse du volume de production des écrans plats, dans un marché plus mature, fait que la croissance, aujourd'hui, est plus faible. De plus, l'érosion des prix de vente des écrans de 30 % par an affecte notre compétitivité. »

Logique financière

Précurseur dans l'ampoule, inventeur de la musicassette, du disque compact, Philips, suivant la logique des grands industriels européens, n'a cessé, depuis les années 1980, de muter. « La logique financière est au coeur de sa réorganisation. Depuis dix ans, détaille Pascal Quéru, consultant chez Syndex, l'entreprise se retire des activités à marge bénéficiaire jugée pas assez élevée. » Le bon niveau ? « Selon les analystes financiers, il doit être de 15 %, estime Françoise Duthu. Du temps de Ford, il était de 5 % ! » En 2000, Philips s'est donc sectorisé : semi-conducteurs, petit électroménager, électronique grand public, éclairage, médical. Depuis, il a vendu les semi-conducteurs, un marché trop cyclique, et se désengage, aujourd'hui, de l'activité électronique. « Philips défend son titre en Bourse, dit Pascal Quéru, et donc se concentre sur la vente et le marketing publicitaire de la marque ainsi que sur les activités à forte rentabilité comme le médical, l'ampoule d'éclairage économique et les LED (dérivés des semi-conducteurs, utilisés pour le fonctionnement des lampes). »

Trois processus

Une façon de fonctionner qui bouleverse la donne sociale. « Entre 2001 et 2007, assure Pascal Quéru, Philips a engagé pas moins de 25 PSE. » La CFDT confirme : « Philips est passé, en France, de 12 000 salariés, au 1er avril 1999, à environ 4 500 aujourd'hui. » La CGT grince des dents : « En 2003, Dreux comptait encore deux sites, nous étions alors 1 700 salariés », indique Manu Georget, cégétiste.

Philips s'est séparé de ses usines selon trois processus : fermeture, revente et externalisation de services, PSE. Selon Philips, les reventes et les externalisations ont permis de maintenir l'emploi. « Nos cessions ont bien survécu, assure Dominique Norguet, directeur de la communication. Le blanc que nous avions revendu dans les années 1980 à Whirpool vit toujours ; notre activité musique cédée à Vivendi demeure ; Bosch a repris notre activité autoradio, l'entreprise de photomultiplicateurs de Brives prospère. » Mais il y a eu aussi des ratages retentissants. « Au Mans, des 1 000 emplois concernés par la cession, il ne reste rien. Même chose pour ceux de la branche transmission/radio/téléphonie, cédée entre 1995 et 1997 », relativise Daniel Préclin, délégué CFDT, membre des commissions de suivi des PSE Philips de 2001 à 2006. »

Concernant ces PSE, ils ont permis à Philips de se séparer de 4 927 salariés. Les reconversions ont-elles été couronnées de succès ? Seule la CFDT ose une réponse : « Pour la majorité, il y a une solution, mais avec une perte de salaire ; pour 25 %, ça se passe mal. Ce sont les salariés qui ne peuvent pas déménager, ceux qui ont passé 40 ans, et les femmes qui ne retrouvent que des temps partiels. »

Attirer les activités de remplacement

La leçon qu'il en tire : « Sans une grande mobilisation des politiques locaux pour attirer des activités de remplacement, conclut Daniel Préclin, la casse sociale est forte. » Et de citer en exemple François Fillon : « Au Mans, il a mouillé sa chemise pour relancer l'activité régionale, Philips s'était alors détaché de 2 000 salariés (1 000 par cession et 1 000 par PSE). » A Dreux, la stratégie semble être celle d'attirer les emplois de l'Ouest parisien, à une heure de train de la ville.