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« Accompagner les personnes, la clé de voûte de la flexisécurité »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 20.05.2008 |

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« Accompagner les personnes, la clé de voûte de la flexisécurité »

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Comment concilier la nécessaire adaptation des entreprises et le besoin de sécurité des salariés ? Plusieurs expériences de transitions professionnelles réussies dans des bassins d'emploi montrent la voie. Mais leur généralisation dépend aussi de mesures à prendre au niveau national.

E & C : Vous analysez, dans votre livre*, six cas de transitions professionnelles réussies en France et dans trois autres pays européens. Tous les cas sont très différents. Que retenir de ces expériences ?

Danielle Kaisergruber : On constate que les personnes victimes d'une restructuration retrouvent plus facilement un emploi si le plan social et la reconversion ont été établis très en amont et faits par étapes. Cela a été le cas dans une usine électronique de Bretagne : il a d'abord été mis fin aux contrats d'intérim et aux CDD, et ces salariés ont été accompagnés dans leur retour à l'emploi par l'agence de l'ANPE qui, déjà, avait aidé à les recruter quelques années auparavant. Il y a là une vraie continuité du travail avec le service public de l'emploi. Autre point intéressant : la possibilité pour les salariés qui retrouvaient un emploi de le prendre, alors même que le plan social n'était pas signé, mais avec le droit de bénéficier, a posteriori, des avantages de ce plan.

Dans l'exemple de la fermeture d'une usine Danone, en Italie, c'est le partenariat très fort entre les responsables de l'entreprise, les syndicats et la mairie qui a permis de mettre en place à la fois un plan de retour à l'emploi et un plan de réindustrialisation du site.

D'autres exemples, en particulier en Allemagne, avec la banque HVB, et avec Ericsson, en Suède, montrent qu'un certain nombre d'entreprises essaient maintenant de gérer l'emploi en continu. Plutôt que de procéder à une importante restructuration, elles proposent aux salariés, de manière continue, des formules de mobilité interne et externe.

E & C : L'anticipation et le partenariat entre les différents acteurs locaux sont donc des conditions clés pour réussir les transitions professionnelles ?

D. K. : Oui. Mais il y a une autre condition : c'est l'accompagnement renforcé des personnes. On ne peut pas se contenter de demander aux salariés licenciés de s'inscrire à une cellule de reclassement et les laisser seuls dans leur recherche. Il faut, au contraire, mettre en place un suivi immédiat et régulier pour que les personnes se sentent tout de suite engagées dans un cadre contractuel et non pas dans une situation de passivité ou d'attente, qui augmente la probabilité de ne pas retrouver d'emploi. Il y a là une responsabilité des acteurs, qu'il s'agisse du service public de l'emploi ou d'un prestataire privé, car leurs méthodes se sont maintenant rapprochées en matière de reclassement. Il faut que les dispositifs soient construits de telle sorte que les personnes n'attendent pas. C'est tout l'intérêt des expérimentations actuelles du contrat de transition professionnelle (dans sept bassins d'emploi, NDLR) : les personnes font le point une fois par semaine avec leur référent et sont suivies de façon extrêmement active.

E & C : Un dispositif comme le contrat de transition professionnelle vous paraît-il plus efficace que les dispositions sur la sécurisation des parcours professionnels adoptées dans l'accord du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail ?

D. K. : Ils ne sont pas de même nature. Dans la flexisécurité, il y a deux aspects : les dispositifs d'accompagnement concrets, tels que le contrat de transition professionnelle (CTP), qui sont indispensables pour l'accompagnement des personnes. L'autre aspect, ce sont les mesures de régulation globale, qui favorisent la fluidité et la continuité dans les parcours professionnels. Les deux mesures de « portabilité des droits » de l'accord du 11 janvier - conserver le droit au DIF et la prévoyance - sont de bonnes mesures, mais de toutes petites mesures par rapport au sujet. Il en faudra beaucoup d'autres. Je pense, par exemple, à l'amélioration des dispositions portant sur l'ancienneté. Dans l'état actuel des choses, on repart vraiment à zéro lorsque l'on change d'emploi : on se retrouve sans congés la première année, on perd une partie importante de son ancienneté.

E & C : Comment généraliser les expérimentations réussies, c'est-à-dire concevoir pour tous des transitions professionnelles réussies ?

D. K. : Il y a un travail à mener à trois niveaux, comme le font les pays d'Europe du Nord. Au niveau national, par la négociation entre les partenaires sociaux et avec l'impulsion de l'Etat. Au niveau local, où les collectivités et tous les acteurs jouent un rôle. Et, surtout, au niveau des services rendus par le service public de l'emploi et des partenariats public/privé ; et là, beaucoup de choses sont à améliorer et à repenser. Pour accompagner les salariés licenciés, il faut des moyens. Dans le cadre d'un CTP, il y a 1 conseiller pour 30 à 40 personnes. Dans le fonctionnement habituel de l'ANPE, c'est 1 pour environ 150. Pourtant, les moyens existent quand on envisage l'ensemble ANPE, Assedic, missions locales, réseau Cap Emploi. Mais, il faut mieux les organiser pour qu'ils soient efficaces.

*Flexi-sécurité : l'invention des transitions professionnelles, éd. Anact, 2008.

Parcours

• Danielle Kaisergruber est directrice de DKRC, société d'études et de conseil dans les domaines de l'emploi et des restructurations. Elle intervient auprès d'entreprises internationales et réalise des études européennes. Elle a été, auparavant, directrice des études de Bernard Brunhes Consultants (BBC), puis présidente du directoire.

• Elle est l'auteure de plusieurs livres et articles, parmi lesquels L'Europe de l'emploi (éditions d'Organisation, 1994), Tout n'est pas économique (éd. de l'Aube, 2000). Elle vient de publier Flexi-sécurité : l'invention des transitions professionnelles (éd. Anact), et fera paraître, prochainement, Nouvelle Europe : carnets de route (éd. de l'Aube).

Lectures

L'introuvable sécurité de l'emploi, Bernard Gazier et Peter Auer, Flammarion, 2006.

Faut-il brûler le modèle social français ?, Dominique Meda et Alain Lefèbvre, Seuil, 2006.

Voyage d'un Européen à travers le XXe siècle, Geert Mak et Bertrand Abraham, Gallimard, 2007.

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