logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

Le e-syndicalisme tisse sa toile

Dossier | publié le : 20.05.2008 |

Image

Le e-syndicalisme tisse sa toile

Crédit photo

Les sections syndicales d'entreprise investissent la jungle du Net. Au grand dam de leurs confédérations d'appartenance et... des DRH. Mais, derrière les locomotives du e-syndicalisme, prolifèrent une kyrielle de sites à l'audience et à l'influence exsangues.

Alors que les partenaires sociaux viennent d'aboutir à une position commune sur les modalités de la représentativité syndicale, sur le Net, certaines sections d'entreprise ont, depuis belle lurette, posé leurs jalons. Tapez sur le moteur de recherche Google les mots «hôpital de Lisieux» et, surprise, c'est le site de la section Sud de cet établissement normand qui arrive en tête de la «home page» ! Autre exemple : cherchez des renseignements sur LCL-Le Crédit Lyonnais et vous trouverez, dès la première page de Google, le site de FO LCL, classé en 7e position par ordre d'apparition des sites référencés. « Outre l'indication systématique de notre adresse web sur nos tracts papier pour la faire connaître en interne, nous avons fait un gros travail de référencement de notre site sur les moteurs de recherche », indique Jean-Yves Henry, membre de la délégation nationale de FO LCL. Résultat : plus de 50 000 visiteurs uniques par an et un pouvoir de séduction indéniable auprès des jeunes salariés de la banque et des... analystes financiers, qui peuvent consulter les informations du syndicat en flux RSS.

Faire vivre le site dans la durée

Pour ce pionnier du e-syndicalisme, qui a créé le site FO LCL dès 1997, la route de la reconnaissance a été longue. « Le plus difficile, souligne Jean-Yves Henry, n'est pas de créer un site, mais de le faire vivre dans la durée. Au départ, la direction a raillé cette expérience, pensant qu'elle aurait une espérance de vie limitée. Après, elle a moins souri. Au final, ce site nous a apporté une crédibilité vis-à-vis des salariés et de la DRH, qui s'y connecte presque quotidiennement. »

Dans la jungle du web, le cas FO LCL est loin d'être une espèce isolée. Blogs et sites syndicaux y prolifèrent. Sans compter les espaces de contestation sociale élaborés par des collectifs de salariés. Souvent éphémères, ils sont aussi parfois cornaqués par des organisations syndicales rompues à l'agitprop. Depuis l'historique «jeboycootedanone.com» en 2001, des sites aussi fameux que «onredoutelaredoute», «blogofnac» ou encore «sfrencolère» ont vu le jour. Les échanges sur les forums sont de rigueur, le ton y est volontairement percutant. Rien à voir avec le gentil «lip dud» (clip vidéo décalé) posté sur Dailymotion par des salariés d'AOL France reprenant la chanson L'amour à la française des Fatals Picards pour protester contre une vague de licenciements.

Etre présents sur la Toile est, en tout cas, devenu une nécessité pour les syndicats. Le fractionnement du temps de travail et le développement du nomadisme ne leur permettent plus, aujourd'hui, d'asseoir leur visibilité sur l'ensemble du personnel. Dans certains secteurs, comme celui de l'informatique, où nombre de salariés travaillent chez les clients, le canal du Web est même synonyme de survie. « Lorsque des représentants syndicaux de SSII tractent à la sortie des bureaux, ils ne touchent que 10 % du personnel », observe Xavier Burot, secrétaire fédéral de la fédération CGT des sociétés d'études.

Joindre les nomades

« Chez IBM, en région parisienne, environ 60 % de la population est nomade. Il est donc très important de disposer d'un site pour communiquer avec ces salariés. D'autant que la direction refuse de négocier un accord sur la communication électronique syndicale », abonde Gérard Chameau, délégué syndical central CFDT d'IBM France. Dans d'autres branches d'activité, telles que l'industrie, le BTP ou la grande distribution, l'expression syndicale sur Internet capte des salariés qui ne disposent pas de PC sur leur lieu de travail. « L'exemple des caissières est frappant. Ces salariées consultent régulièrement, en dehors de leurs horaires de travail, les sites Internet syndicaux pour y rechercher des informations sur leur entreprise », remarque Régeanne Fayard, webmaster de la CFTC.

Des accords encore très restrictifs

Officialisée par la loi Fillon de mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, l'opportunité offerte aux employeurs de négocier les modalités d'accès pour les syndicats aux moyens de communication électronique de l'entreprise (intranet et messagerie) n'a pas été saisie par les DRH. Et, quand ils existent, ces accords restent très restrictifs, limitant, voire interdisant, l'envoi de mails, ou jugulant toute interactivité et créativité. « L'intranet syndical fonctionne sur un mode policé. Or, les rapports sociaux font entendre une tout autre musique, beaucoup plus dissonante. Ce qui explique que ces sites internes soient voués à l'échec », juge Jean-Claude Ducatte, directeur du pôle social du cabinet Epsy. « Du coup, ajoute Bernard Valette, secrétaire national confédéral de la CFE-CGC, les syndicats muselés sur l'intranet se sont engouffrés dans la brèche du web. Au grand dam des DRH ». D'autant que sur la Toile, ils disposent d'une liberté d'expression totale, sauf à y diffuser des informations confidentielles susceptibles de nuire à l'entreprise (lire l'analyse, p. 26, de Jean-Emmanuel Ray sur l'arrêt Secodip).

Une nouvelle génération de salariés

Ces sites répondent également à la nécessité, pour les syndicats, de satisfaire les attentes de la nouvelle génération de salariés. Ils sont, d'ailleurs, pour la plupart d'entre eux, animés par des jeunes militants nourris à la culture Internet. « Ils tranchent avec l'ancienne génération de responsables syndicaux, pour qui la rétention d'informations est synonyme de pouvoir et le tract, l'unique vecteur utilisé pour s'adresser à la base. Ces nouveaux venus dans le paysage syndical s'inscrivent, au contraire, dans une logique participative et collaborative où le partage devient la règle. Ils n'hésitent pas, non plus, à recourir aux technologies du web 2.0, ce qui «booste» leur crédibilité. Pour ces militants, l'ambition est de déployer une véritable stratégie de communication », analyse Rodolphe Helderlé, responsable du portail d'informations Miroir social.

Trublions

Au sein des fédérations et des confédérations, ces activistes sont parfois perçus comme des trublions bousculant les règles de la hiérarchie syndicale. En cause : leur liberté de ton et la grande autonomie dont ils jouissent. « C'est la vision ancienne du syndicalisme qui est mise à mal. Traditionnellement, la centrale syndicale était l'avant-garde éclairée, et, dans les entreprises, les militants devaient marcher au pas. Aujourd'hui, ce schéma est révolu. Les salariés, dont le niveau de formation est en nette progression, ne veulent plus entendre des mots d'ordre. Ils désirent participer aux débats, à la vie de leur entreprise et donner leur avis. Dans cet objectif, le média Internet est le plus approprié. Les confédérations, au sein desquelles la génération papier-crayon forme le gros des troupes, n'ont pas encore saisi les enjeux du web. Regardez le succès médiatique des Enfants de Don Quichotte ou de Génération précaire, qui s'est construit en dehors de toute organisation institutionnelle », observe Hubert Landier, spécialiste des relations sociales et directeur associé de SRM Consulting.

Absence de stratégies

Cette méfiance s'explique également par l'absence de toute stratégie sur l'utilisation d'Internet à des fins militantes. Rares, en effet, sont les centrales syndicales à s'être sérieusement penchées sur ce sujet. Les sections d'entreprise ne sont nullement accompagnées dans leur démarche. Tout au plus, certaines confédérations tiennent à leur disposition des fiches pratiques à coloration juridique sur ce qui convient de faire ou de ne pas faire sur Internet. La CFTC tente d'aller plus loin en exerçant une veille permanente sur le web. « Il nous est déjà arrivé de demander à un syndicat de fermer son site, par exemple, parce qu'il était laissé en jachère », indique Thomas Jacquemont, chargé de communication à la CFTC. La fédération CGT des sociétés d'études, qui abrite une centaine de sites d'entreprise, a, quant à elle, développé des modèles pour ses militants. Un vademecum sur les bonnes pratiques du site syndical a également été diffusé dans le journal de la fédération. Mais, point de formation pour les responsables CGT qui désirent investir le Net. « Nous faisons du conseil au coup par coup lorsqu'un délégué nous le demande », confirme Xavier Burot.

Adhésion en ligne

Ces sites préfigurent, en tout cas, ce que sera sans doute le syndicalisme d'entreprise de demain, avec la mise en ligne en temps réel d'informations pratiques (suivi des négociations, la vie des IRP...), des tracts, l'annonce d'actions militantes, des liens vers des sites utiles pour le personnel, des forums de discussion, mais aussi des conseils et des services pour les salariés. Nec plus ultra : la possibilité d'adhérer en ligne. « Bien entendu, même si ce n'est pas leur objectif initial, les sites syndicaux peuvent s'avérer très utiles en cas de tension dans l'entreprise », indique François David, chargé de mission au secrétariat national de la CFDT Cadres.

Une activité très chronophage

L'e-syndicalisme est, cependant, encore dopé par une poignée de sites moteurs. « Alimenter un site web est très chronophage. Le ratio entre le temps investi et les retombées en termes d'audience reste faible. De nombreux sites tiennent uniquement grâce à l'implication d'une seule personne. Lorsque celle-ci part, ils tombent dans l'oubli. Et lorsqu'il y a un conflit social, on remarque que ce sont encore les moyens traditionnels d'expression syndicale (AG, tracts...) qui reprennent la main », observe Ivan Béraud, secrétaire national de la F3C CDFT. Pour combien de temps ?

L'essentiel

1 Vital pour certains syndicats, passage obligé pour d'autres, le site Internet devient un nouveau mode d'expression syndicale dans les entreprises.

2 Animés par des jeunes militants nourris à la culture Internet, ces sites court-circuitent parfois la communication officielle des confédérations syndicales.

3 Les DRH semblent ne pas s'intéresser à ce nouveau phénomène. Le tract et les AG ont encore la vie dure dans les entreprises.

Les DRH restent insensibles aux sites syndicaux

Les DRH doivent-ils craindre les sites web syndicaux d'entreprise ? Si la question demeure fortement corrélée à la qualité et, surtout, à l'audience des sites ou des blogs présents, elle préoccupe manifestement peu les directions des ressources humaines. A tort !, rétorquent certains experts en relations sociales. « C'est regrettable, mais les DRH ne prennent pas en compte ces nouveaux modes d'expression. Ils sous-estiment également leur puissance de feu », assène Jean-Claude Ducatte, directeur du pôle social du cabinet Epsy. « Les DRH n'ont pas vu cette révolution arriver, pour une raison essentiellement d'ordre générationnel », ajoute Hubert Landier, directeur associé de SRM Consulting.

Sauf à y découvrir - bien souvent de manière fortuite - des informations confidentielles (politique de développement, éléments de rémunération, performances financières...), qui peuvent nuire à la bonne marche de leur entreprise, la plupart des DRH ignorent superbement cette littérature syndicale qui se nourrit de l'actualité sociale de leurs entreprises.

Veille régulière

Toutefois, certains la prennent très au sérieux et pratiquent une veille régulière sur les contenus mis en ligne. Ils y puisent moult informations sur le climat social de leur société ou sur les stratégies échafaudées par leurs syndicats. Des renseignements qui peuvent s'avérer très précieux lors des périodes de surchauffe sociale (négociations, conflits...).

Pour annihiler toute tentative d'expression sauvage sur la Toile, des DRH ont préféré prendre les devants en négociant avec leurs partenaires sociaux des accords sur la communication électronique syndicale. Une façon de laver son linge sale en famille sur l'intranet de l'entreprise.

Tableau d'affichage électronique

C'est la démarche suivie dès 2001 par Eutelsat, trois ans avant la promulgation de la loi Fillon de mai 2004 sur la formation professionnelle tout au long de la vie et le dialogue social. Laquelle autorise, par accord, la diffusion des publications syndicales sur l'intranet et via la messagerie électronique de l'entreprise.

« A l'époque, il s'agissait de retranscrire sous forme électronique le classique tableau d'affichage syndical. Les syndicats signataires ont toujours été très respectueux de leurs engagements », se réjouit Izy Béhar, DRH d'Eutelsat et vice-président délégué de l'ANDRH. Résultat : aucun syndicat d'Eutelsat n'a, à ce jour, été s'aventurer sur Internet.

Loin d'avoir bouleversé les modalités du dialogue social dans les entreprises, l'utilisation d'Internet par les syndicats a eu, cependant, comme principal effet, d'ôter toute maîtrise de la communication sociale aux DRH. « Auparavant, après une négociation ardue, les DRH avaient la primeur de la communication interne et externe. Ils avaient le temps de peser leurs mots et de peaufiner leur message. Aujourd'hui, ils sont court-circuités par les activistes du Net. C'est sans doute l'élément le plus marquant de l'avènement des NTIC dans la sphère des relations sociales », observe Jean-Dominique Simonpoli, directeur de l'association Dialogues.

J. F. R.

Second Life, nouveau levier d'expression syndicale ?

Si les syndicats ont encore peu investi les réseaux sociaux (Facebook, MySpace...), l'utilisation du site Second Life et de son univers virtuel en trois dimensions pourrait, à l'avenir, se généraliser. Précurseurs : les organisations syndicales d'IBM. Après l'opération menée en septembre 2007 par les syndicats d'IBM Italie (lire p.32), celle qui a rassemblé, en mars dernier, des représentants syndicaux de plusieurs pays du géant de l'informatique a créé un buzz médiatique. Objet de la fronde : un projet d'externalisation d'activité visant environ 1 800 salariés d'IBM dans le monde.

Le 27 mars, de 18 heures à 22 heures, ce sont une centaine d'avatars de syndicalistes qui ont bloqué l'accès du centre d'affaires virtuel d'IBM sur Second Life. Autre cible incontournable : le stand de l'agence de presse Reuters. « Il s'agissait d'organiser une opération d'envergure internationale en complément d'actions plus traditionnelles sur les sites physiques d'IBM. Second Life est très utilisé par les entreprises qui s'en servent pour recruter ou pour faire du business. Pourquoi les syndicats s'en priveraient-ils ? », lance Gérard Chameau, délégué syndical central CFDT d'IBM France. Pour ce responsable, cette nouvelle forme de militantisme est également « un moyen de montrer que, dans les groupes internationaux notamment, les syndicats peuvent apporter une réponse collective à une problématique sociale mondiale ».