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Enquête

Trois expériences peu concluantes

Enquête | publié le : 13.05.2008 |

Trois entreprises de BTP ont mis en place des filières de recrutement d'ouvriers étrangers pour leurs chantiers français. Leur expérience témoigne des difficultés de telles opérations, vouées à rester marginales.

Colas IDF/Normandie : des maçons portugais difficiles à fidéliser

Chaque année, Colas IDF/ Normandie (2 700 salariés ; 600 millions d'euros de chiffre d'affaires), filiale de Bouygues, recrute environ 400 salariés, dont 200 ouvriers, pour travailler, en région parisienne et en Normandie, sur ses chantiers : routes, bâtiment, déconstruction, génie civil. A côté des filières habituelles de recrutement (lycées professionnels, contrats de professionnalisation, intérim...), Thierry Debien, DRH, s'est lancé, début 2007, dans une opération de recrutement de maçons au Portugal, avec le concours de l'entreprise de travail temporaire Adia : « Compte tenu de nos difficultés de recrutement, il faut faire preuve d'imagination. »

Adia sélectionne des maçons au Portugal, avec l'aide de deux salariés de Colas, les fait venir en France, les héberge et les forme pendant cinq semaines, les fait travailler pendant cinq mois en intérim sur les chantiers de Colas IDF/N, avant de leur proposer un CDI, l'objectif de l'opération étant de les embaucher et de les fidéliser. Pendant les six premiers mois, ils sont à la charge d'Adia. Cette prestation coûte à Colas « un peu plus cher que de l'intérim normal », précise Thierry Debien. D'une manière générale, il estime qu'une impatriation n'est rentable qu'à partir d'un certain niveau de qualification, ce qui rend possible économiquement celle de maçons mais pas celle de simples manoeuvres, par exemple.

Difficultés d'intégration

Depuis un an et demi, une centaine de maçons portugais sont venus en France par cette filière, une trentaine ont finalement signé un CDI avec Colas. Thierry Debien explique ces défections par des difficultés d'intégration (les maçons ne parlent pas français et la vie quotidienne en région parisienne n'est pas la même qu'au Portugal), de logement (malgré l'aide de Colas, notamment via le 1 % logement), et de débauchage par d'autres entreprises à l'issue de la formation. Il relève, en outre, que les entreprises espagnoles lui font concurrence au Portugal. « Compte tenu de l'énergie que les services RH ont dépensée, j'aurais souhaité embaucher davantage de maçons », reconnaît Thierry Debien, qui poursuit néanmoins l'opération sur de plus petits volumes, davantage sélectionnés.

Cari : fin de la parenthèse portugaise

L'entreprise de BTP Cari (437 millions d'euros de chiffre d'affaires, 2 400 salariés) a monté, à partir de juillet 2006, une opération de recrutement de maçons au Portugal, baptisée «impatriation socialement responsable», avec Adecco. « C'était un peu après le référendum sur l'Europe, où l'on a beaucoup parlé du plombier polonais ; tout le monde était persuadé que la solution des problèmes de main-d'oeuvre viendrait de l'étranger », se souvient Robin Sappe, en charge de la responsabilité sociale chez Cari. L'opération a été un échec. « Nous souhaitions recruter 14 personnes au Portugal, nous n'en avons sélectionné que 12 ; huit sont venues en France en intérim, mais deux étaient inaptes ou se sont blessées ; après trois mois d'intérim, nous avons proposé un CDI à cinq d'entre elles, mais une seule a accepté, ce qui n'était pas suffisant pour maintenir le programme », raconte Robin Sappe. En cause : essentiellement des problèmes d'intégration.

« C'était une parenthèse, nous sommes revenus à un recrutement national. A partir du moment où l'on communique, on trouve des candidats, même s'il reste vrai que la France manque de compétences », conclut-il.

Bouygues Entreprises France-Europe : très chers ouvriers polonais

Bouygues Entreprises France-Europe est une entreprise de bâtiment et de génie civil (7 000 salariés en France pour un chiffre d'affaires de 2 milliards d'euros) qui travaille en France (sauf en Ile-de-France) et dans les pays limitrophes. Son DRH, Philippe Signe, prévoit de recruter environ 770 ouvriers en 2008, « majoritairement en France, et de façon complémentaire en Pologne et en Roumanie », soit une cinquantaine d'ouvriers en provenance de ces deux pays. Pour ce faire, il s'appuie sur les filiales de Bouygues à l'étranger.

Des pratiques marginales

Pour Philippe Signe, les filières de recrutement dans les nouveaux Etats membres (NEM) de l'Union européenne restent marginales du fait des contraintes réglementaires qui pèsent sur l'immigration, mais aussi en raison du marché de l'emploi dans ces pays. « Il est vain d'espérer faire venir un salarié des NEM en moins de trois mois, car le système français n'est pas souple. Même si les nouvelles règles d'immigration ne sont plus aussi dissuasives qu'auparavant, il reste encore du chemin avant qu'elles deviennent incitatives », explique-t-il. Cette rigidité des règles et des administrations du travail, il les comprend d'ailleurs, eu égard « au nombre de chômeurs dans l'Hexagone » et au fait que « les directions du travail rencontrent des patrons plus ou moins vertueux ».

Pénurie d'ingénieurs

L'autre raison du faible nombre de recrutements dans les NEM tient à ce que « les candidats ne se précipitent pas ». « Je fais du sourcing depuis deux ans en Pologne. Notre avantage concurrentiel y a été pratiquement gommé. Depuis la France, on ne se rend pas compte que ce pays est en pénurie d'ingénieurs et d'exécutants », explique Philippe Signe. Stéphane Vallée, son homologue chez Bouygues Bâtiment international, spécialisé sur les marchés internationaux, dont la Pologne et la Roumanie, confirme : « J'ai dû faire venir une centaine d'ouvriers chinois en Roumanie pour faire face au déficit de main-d'oeuvre qualifiée. »

Au final, Philippe Signe estime que, compte tenu de l'énergie qu'il faut déployer pour faire venir un travailleur de Pologne, il préfère « mettre l'accent sur les ingénieurs et les cadres ». En outre, estime-t-il, « on finit toujours, en France, par réussir à recruter, pour peu qu'on y mette des moyens en communication ».

E.F.